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In spirit : Nos grands-mères, cette mine de sagesse

Une société sans ses vieilles personnes est une société coupée de ses racines et de son histoire. Dans notre monde moderne, on a oublié que nos aïeux ont une expérience de vie à partager. Depuis la nuit des temps, on s’appuyait sur leurs connaissances et leur sagesse. Ils faisaient partie de la vie quotidienne. 

Nous sommes à un tournant de l’histoire où nous ne pouvons plus ne pas nous questionner sur l’avenir de notre société, et ce vers quoi nous voulons aller. Nous  sommes amenés à nous positionner en conscience. Les réflexions qui suivent ne jugent pas  notre manière de vivre. La comparaison entre l’avant et l’aujourd’hui cherche avant tout à comprendre l’évolution du mouvement global de ces dernières décennies et à voir les pratiques ou les valeurs que nous pourrions reintégrer à nos vies en vue de trouver des solutions pour l’avenir. Ce mois-ci, c’est donc une discussion avec ma grand-mère que je partage.

 

Tu es née en France en région parisienne en 1943, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, tu es issue d’une famille modeste et tu as près de 80 ans. Peux-tu nous partager ton regard sur la période que nous traversons, à la lumière de ton expérience de vie ?

Ce que nous vivons actuellement entraîne forcément une modification radicale de notre société. Il y a non seulement la pandémie, mais aussi d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte et pas des moindres, comme la surpopulation de la planète et les crises environnementales. Tout cela nous amène à réévaluer où nous en sommes. On sent bien que certaines choses doivent changer.

Pendant la guerre, nous avons vécu une période très difficile : éclatement des familles, peur des bombardements, pillage des maisons, arrestations, communications inexistantes avec ceux qui étaient au front. C’est sur les femmes que reposaient tous les travaux, le soin de s’occuper des enfants et d’assurer la subsistance de ceux qui sont restés. Elles se sont aperçues qu’elles pouvaient effectuer les tâches des hommes et ont pris de l’indépendance. Cette période marque le début du changement de la place des femmes dans la société. Ma mère avait son permis de conduire, ce qui était très avant-gardiste pour cette époque.

Nous étions habitués à une vie de labeur, sans beaucoup de distractions. Les conditions étaient très dures, mais c’était une renaissance qui nous attendait, la reconstruction de notre pays et les retrouvailles avec nos proches. Chacun avait à cœur de bâtir un monde nouveau et d’aller vers le mieux: les femmes se sont émancipées, on a découvert une plus grande sécurité aussi. 

Le monde actuel est un défi plus difficile d’une certaine manière, parce qu’à mon époque nous partions de rien. Aujourd’hui, les nouvelles générations ont grandi dans ce monde où tout est à portée de main et prennent donc pour acquis que c’est la normalité. Ils vont devoir soudain se restreindre. C’est pour cela que la crise du COVID est si violente pour certains. Ce n’est pas une position facile.

 

Te souviens-tu de cette transition vers la vie de consommation que l’on connaît aujourd’hui ?

C’est après la guerre que tout a commencé. La guerre avait ouvert de nouvelles perspectives. Les américains nous ont fait goûter à un style de vie différent. On est passé d’une extrême rigueur , à une période où tout était florissant et devenait accessible. C’était une forme de libération. Au début, c’était dans des proportions raisonnables, mais cela a continué de croître sans limites. On ne s’est pas dit, « attention, on ne peut pas agir comme cela éternellement sinon nous allons détruire la planète ». Nous n’avons pas su anticiper, nous n’avions pas de frein. On s’est retrouvé pris dans notre propre élan malgré nous en quelque sorte.

Tu peux donner des exemples concrets de la vie d’avant?

Et bien, par exemple, avant, quand tu te mariais, tu achetais des meubles que tu gardais toute ta vie. Aujourd’hui, on achète, on revend, on jette, et la qualité n’est certainement pas la même. C’est tellement une autre mentalité. Il est certain que cela cause un stress pour l’environnement, entre les ressources nécessaires à la fabrication, puis les déchets produits quand on jette.

Petite, j’avais une poupée en chiffon qui était mon seul jouet, donc pour nous amuser avec ma cousine, on prenait des bouts de bois, des pinces à linge et ce que l’on trouvait autour de nous. On avait peu, juste le nécessaire en fait. En plus, tout était recyclé : les draps usés, on en faisait des torchons ou des serviettes de table. Ma mère retournait ses vieux manteaux pour faire les miens. Grand-père et grand-mère étaient toujours habillés pareil. Quand on voit qu’aujourd’hui, des placards pleins à déborder, c’est démesuré, ce n’est pas viable comme système sur le long terme.

J’ai vécu à une époque où tout servait, on ne jetait rien, on réutilisait, on recyclait. On avait cette culture de la valeur des choses et du soin à y apporter, ce que notre monde moderne a oublié en cours de route. En même temps, je pense que l’on y revient, comme on le voit à travers le crédo écologique de “réutiliser, réduire, recycler”. C’est exactement ce que l’on faisait avant!

On a basculé d’une extrême simplicité dans nos modes de vie à une forme d’opulence qui n’est plus tolérable pour notre environnement. Il y a tout un pan de la société qui s’est endormi dans la non-contrainte. La pandémie nous met face à cette réalité de « limites ». On a perdu le contrôle de la vie telle qu’elle devrait être, c’est-à-dire partagée avec les animaux, la communauté et le respect de l’environnement qui nous entoure.

La façon de vivre, c’est un état d’esprit. Quand on comprend mieux les guerres, les pandémies qui ont existé à d’autres époques, certaines situations dans lesquelles les gens vivent encore de nos jours dans de nombreux pays du monde, cela nous rend humble, nous rappelle la chance que nous avons de bénéficier de toutes ces facilités de vie que nous avons dans les pays d’Europe ou d’Amérique du Nord. Quand on comprend, on arrête de demander plus, et au contraire on s’investit pour mettre sa pierre à l’édifice. On se sent impliqué. Et c’est sur cette ouverture d’esprit que le monde de demain va se construire. Se rendre compte que le véritable bonheur est là où nous sommes, dans les choses simples, comme une promenade en forêt par exemple.

Justement, et la nature dans tout ça ?

La proximité avec la nature nous rappelle que tout est réglé par des cycles qui sont en harmonie avec notre environnement. C’est un sujet sensible dans le monde occidental, parce que l’on n’écoute plus notre terre nourricière, on l’épuise et l’humanité surexploite ses ressources tout en chassant les populations animales qui s’y trouvent, créant ainsi des déséquilibres.

La terre a connu de nombreuses transformations, de nombreuses mutations des espèces. Mais actuellement, l’accélération de ces transformations impacte de façon bouleversante et inédite notre quotidien (réchauffement climatique, fonte des glaces, montée des océans, dégradation des côtes). C’est très visible et flagrant dans les lieux où l’on est en contact avec la nature. 

Il y a vingt ans nous allions à la plage avec mes petits-enfants en Normandie sur les côtes sauvages. Ils adoraient jouer dans un immense espace dunaire. Celui-ci a aujourd’hui presque disparu, et pour en conserver le peu qu’il reste, il est désormais interdit au public. On observe le même phénomène avec la mer : ils passaient des heures dans les rochers à marée basse à observer les anémones, les poissons, les crabes, les algues. Aujourd’hui, il n’en reste presque plus rien, l’écosystème a disparu à 90 %. La chaîne des espèces a perdu son bel équilibre, car l’homme a voulu la modifier et surtout exploiter ses richesses sans mesure et avec beaucoup d’inconscience. Je vais sur les plages normandes depuis ma plus tendre enfance, et je vois la dégradation très évidente de l’écosystème au fil des années.

Qu’est ce que tu entrevois comme solutions pour demain ?

Cette opulence qui caractérise le 21e siècle est disproportionnée par rapport à notre planète et ses ressources. Il faut revenir en arrière, ce qui est difficile parce que c’est plus simple de progresser que de reculer. Après la guerre, on ne partait de rien, on avait tout à recréer et à gagner. Mais aujourd’hui, c’est le contraire. On doit faire marche arrière pour trouver le juste milieu. Il est toujours plus facile d’aller vers une plus grande liberté que de penser que nous allons devoir réduire nos dépenses, nos déplacements et vivre plus modestement en sachant profiter de ce que la terre nous offre tout en la préservant. Cela ne pourra pas être autre chose qu’un monde qui se base sur les cycles biologiques, sur notre horloge interne et celle des espèces, parce que la disharmonie dans laquelle nous vivons actuellement nous montre que de faire autrement n’est tout simplement pas viable.

Mais attention, quand je mentionne un “retour en arrière”, je parle de retour à des valeurs de base que nous avons oubliées en cours de route. Pour ce qui est de la forme que cela va prendre, de l’espace concret dans lequel ces valeurs vont s’ancrer, là, il y a tout à construire. Il ne s’agit pas de chercher à retrouver la vie d’avant, mais plutôt d’avancer vers un juste milieu où tous les êtres vivants y retrouvent leur équilibre. Les générations futures ne peuvent plus faire l’économie du respect de ce qui nous entoure, que ce soit envers les êtres humains, les animaux et l’écosystème en général. Il y aura la construction d’un monde nouveau, si nous apprenons à protéger notre bien le plus précieux qu’est la Terre. Le respect est la clef de voûte du monde de demain. 

Pour ceux qui entrent actuellement dans la dernière tranche de leur existence comme moi, il n’y a pas beaucoup de visibilité pour le futur, mais nous pouvons partager notre expérience pour que les nouvelles générations bâtissent le monde en devenir. C’est inspirant de voir que les jeunes se questionnent et essaient de faire un retour vers la nature et un mode de vie raisonné. Ils achètent des produits de petits producteurs, ils encouragent l’économie locale, ils cherchent des solutions et un autre modèle de vie. Ils veulent autre chose. Nous sommes pleins d’espoir, car notre jeunesse représente ce changement, la construction d’un monde nouveau et c’est grâce à elle que notre planète va retrouver sa pérennité et entrer dans un fonctionnement durable.

Crédit Photo:

«La Nature de Normandie» par Aude Vermont
«Ma mère avait son permis de conduire, qui était très avant-gardiste à l’époque» par Mariette Raina
«Un GI américain en 1945» par Mariette Raina
«Ces choses simples qui font tout … les crêpes de Mamou» par Stéphane Desmeules
«Paysage sauvage de Normandie» par Mariette Raina
«La maison de Saint Jean-de-la-Rivière, Normandie» par Stéphane Desmeules

 

A propos de l’autrice:

Mariette Raina a rejoint l’équipe du Never Apart Center en 2016 en tant que chroniqueuse mensuelle. Ses articles se concentrent sur la spiritualité, l’art et les questions environnementales. Mariette est titulaire d’une maîtrise en anthropologie. Elle enseigne également le yoga et la photographie qu’elle aborde comme des médiums auto-réflectifs et introspectifs.

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