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Because The Internet

Écrit par

Collective Culture
avril 12th, 2021

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Cet essai est publié dans le cadre de la chronique mensuelle Collective Culture.

Écrit par Bobbi Adair

Édité par Jazmin Batey

Photo: Cho Gi Seok

Après plus d’une année de pandémie qui a nécessité une connexion internet ininterrompue, la peur de devoir resocialiser m’enveloppe comme un voile fin. Entre la perspective de réintégrer les espaces de bureau ou d’affronter des rencontres hors ligne gênantes dans les rues que nous avions soit-disant hâte de retrouver, une grande part de moi préférerait éviter tout cela en faveur d’une « intimité numérique ».

À ce stade, je suis persuadée que les technologies qui ont soutenu mes relations ont également diminué mon désir d’interagir physiquement. Comme si le rythme auquel beaucoup d’entre nous devenaient asociaux ne suffisait pas, la pandémie a accru cette introversion. Au moindre signe de réintégration dans la vie sociale, je me suis retranchée encore plus loin dans ma nouvelle normalité : les écrans. J’aimerais maintenir ma distance sociale après avoir trouvé du réconfort dans les espaces flous où le numérique et l’intime se rencontrent.

La prise de conscience de cette nouvelle anxiété, de la nécessité d’être « resocialisée », m’a fait m’interroger sur le confort et l’efficacité de mon existence liée à l’internet. Ma numérisation m’a-t-elle soutiré une partide mon humanité; suis-je plus une automate blasée que je ne le pensais si je dois réapprendre à avoir une conversation en personne ou à accepter un câlin? Ou plutôt, la reconstruction numérique de mes capacités de socialisation et de communication m’a-t-elle fait découvrir de nouvelles communautés en ligne et consolider des relations que j’appréciais beaucoup hors ligne? La réponse à ces questions est évidente… oui. Néanmoins, le ou la philosophe techno qui sommeille en nous a besoin d’un moment pour se demander si les technologies qui nous changent soutiennent vraiment notre besoin humain de nous sentir présent.e.s, vu.e.s et entendu.e,s, ou si elles favorisent un avenir post-quarantaine antisocial.

J’ai récemment envoyé un courriel à la mauvaise adresse et le destinataire m’a répondu : « Bobbi, je ne suis pas le drone que tu cherches. » Cette réponse ne m’a pas quitté depuis, tel un subtil constat de notre transformation en humanoïdes censés penser et agir comme les technologies artificielles dans lesquelles nous vivons aujourd’hui. Outre l’invasion de ma vie professionnelle dans mes espaces de vie mentale et privée, il n’y a pas de chaleur ou d’intimité dans une connexion par courriel; juste l’attente d’une efficacité inhumaine par le biais d’une réponse instantanée. En même temps, l’idée de retourner dans un bureau me fait craindre que les mêmes niveaux d’efficacité fébrile dont je faisais preuve à la maison soient maintenant attendus en personne…

Dans un de mes livres préférés, The Internet Does Not Exist, Joana Hadjithomas dit une de ces évidences qui ne sont jamais suffisamment claires avant d’avoir été vécues :

L’internet est précisément le lieu où vous partagez du temps, mais où vous ne partagez pas d’espace… vous êtes en même temps réduit à un lieu : votre ordinateur portable, votre mobile, n’importe quel truc du genre, où vous pouvez être localisé.

À une époque où il est déjà assez contraignant d’être confiné.e à un seul endroit, la seule façon de « voyager » à travers le temps et l’espace est l’internet. La réalité est devenue artificielle. Personnellement, la banalité d’être en ligne pour le travail et le divertissement semble inéluctable. Face à la réalité du travail à domicile ou dans des espaces isolés, la survie financière de plusieurs d’entre nous a dû reposer sur l’internet. Venant du monde de la publicité numérique, la relation existant entre l’internet et moi n’était pas un territoire inconnu. Et pourtant, l’anticipation suscitée par chaque courriel resté sans réponse ou par un message instantané que je recevais était un nuage noir qui planait sur mes soirées, bien après 18 heures, et parfois même ma fin de semaine.

Dans Email Is Making Us Miserable, Cal Newport établit que le fait d’expliquer à son cerveau que les interactions négligées révélées par une boîte de réception saturée n’ont pas grand-chose à voir avec la santé de ses relations ne semble pas empêcher un sentiment correspondant d’anxiété généralisée. Il s’avère que je suis une personne, pas un routeur de réseau, et que mon exposition répétée aux technologies de pointe, de l’information et des communications n’a pas amélioré ma condition humaine en me rendant plus efficace ou plus en phase avec mes collègues. Je n’arrivais pas à me déconnecter mentalement et, pour une fois, l’internet me rendait malheureuse.

Je ne suis pas technophobe pour autant. En fait, je me suis laissée gagner par les pièges et les excentricités étrangement belles que l’on peut trouver dans la singularité. Sous le pseudo Bobbi Digital — inspiré de l’alter ego de RZA, Bobby Digital — j’ai trouvé des espaces en ligne où l’expression créative, l’éducation et l’idéation commune se rencontrent. J’ai constaté très tôt qu’il existait toujours une communauté dans un coin quelconque de l’internet qui, d’une manière ou d’une autre, atténuait mon sentiment d’isolement, et où les drones comme moi trouvaient un sentiment de validation et une sorte de chez soi. Depuis les premiers jours de Vibe.To (réservé aux natifs et natives de Toronto), Blackplanet.com (qui se passe de commentaires) et même le service Blackberry Messenger (BBM), en passant par les finstas (des faux comptes instagram où on ne ressent pas le besoin de se faire valoir en ligne), les blogues Tumblr, les sites de fanafiction spécialisée et même Soundcloud, l’internet a toujours été ma monstruosité préférée. Il est merveilleusement artificiel, mais aussi réconfortant que de trouver un.e ami.e dans une classe de centaines d’élèves à l’école.

Malgré tous les fils d’actualité que j’ai parcourus et les sites sur lesquels j’ai téléversé des bribes de moi-même, j’ai vite compris que l’intimité n’est pas quelque chose qui peut être produit en masse comme s’en vantent les technologies sociales — elle requiert un certain niveau d’exclusivité. L’idée de produire en masse de l’intimité réfute en soi la pureté de la connexion évoquée. Par chance, ces technologies d’extraction de données ont joué en notre faveur en facilitant les microcommunautés qui prennent forme autour d’expériences partagées, de mèmes partagés et de deuils partagés. Dans ces espaces numériques, j’ai pu créer des souvenirs, acquérir la compréhension mutuelle que je recherchais et maintenir des liens qui avaient commencé hors ligne.

Même pendant la pandémie, certaines technologies et plateformes ont vu leur popularité grimper en flèche, justement parce qu’elles semblent prendre en considération le besoin inné de ses utilisateurs pour quelque chose de plus significatif qu’une photo Instagram ou un tweet.

Bien qu’elle ait déjà gagné, perdu et regagné en popularité, l’application sur invitation Clubhouse a trouvé sa place au premier plan de la plupart des médias sociaux en combinant une certaine exclusivité, un appel à un organe sensoriel humain différent — à savoir nos oreilles — et de petits espaces au sein de la plateforme appelés des « salons ». À une époque où nous aspirons à une « intimité numérique » pas médiatisée par des filtres ou des retouches artificiels, la plateforme audio Clubhouse se targue de faciliter les conversations humaines en temps réel. Ces conversations semi-naturelles sont médiées par la technologie et non modifiées pour s’adapter à la limite de caractères, au style ou au code de celle-ci. Certaines des conversations en ligne les plus intéressantes que j’ai eues ont commencé dans des salons de deux ou trois personnes qui s’élargissaient en fonction des sujets abordés plutôt que de l’apparence de leur profil numérique.

Bien que plusieurs de ces connexions se soient éteintes aussi rapidement qu’elles avaient commencé, comme mon intérêt pour l’application lorsque les salons sont devenus trop bondés, elles ont servi à satisfaire mon besoin de ce qui semblait être une connexion intime à ce moment-là. Mais même sur une appli comme celle-ci, le fait de devoir parler plutôt que de simplement écrire mes pensées, mes sentiments et mes réfutations créait une anxiété inexplicable, comparable au trac, en sachant que de vrais humains écoutaient chaque cadence de ma voix. En quête de l’intimité dont j’avais besoin, j’ai également découvert, ou redécouvert, la vulnérabilité dont je me cachais à l’intérieur de mon oasis numérique. Tout comme l’anxiété que j’éprouvais à l’idée de revenir sur la scène mondiale hors ligne, le confort anormal que j’éprouvais à vivre derrière un écran a fait surface dans mon esprit, car j’ai souvent choisi d’écouter les conversations au lieu de m’y joindre.

Malgré l’amour que je porte à l’internet, il est beaucoup trop simple de conclure que notre dépendance exponentielle à son égard pendant la quarantaine est à blâmer pour la peur que certain.e.s d’entre nous* (*à savoir moi) éprouvent à resocialiser. Comme l’affirme Lovink, le social nécessite, dans l’environnement virtuel, notre implication constante, sous la forme d’un clic. Nous devons établir le lien réel. Les machines ne feront pas les connexions vitales pour nous, peu importe à quel point nous pouvons déléguer. Peu importe que la technologie ait contribué à accroître mon anxiété, à inhiber mon humanité ou à améliorer ma capacité à me connecter aux autres, ce n’est pas l’internet dont j’ai le plus peur. En réalité, c’est l’idée de revenir dans le monde sans le masque d’un profil Internet pour dissimuler ma peur humaine innée d’un monde en constante évolution. Contrairement aux machines auxquelles nous sommes devenu.e.s particulièrement dépendant.e.s, notre équilibre mental, physique, émotionnel et spirituel nécessite un entretien minutieux et des contrôles automatiques pour éviter tout dysfonctionnement. Comme pour toute chose, notre recherche constante de l’équilibre s’accompagne de l’acceptation du fait qu’avec chaque outil qui régit notre existence et nos interactions, nous apprenons de nouveaux comportements. Chaque changement auquel nous nous habituons nous donne l’occasion d’en apprendre davantage sur notre propre évolution.

À propos de l’autrice

Se décrivant fréquemment comme une Taureau capricieuse, Bobbi est dans la vingtaine et fatiguée la plupart du temps; elle occupe de l’espace en tant que femme noire dans le monde de la publicité et de la stratégie de marque à Toronto. Bobbi exprime ses rêves, ses craintes, ses expériences et ses réflexions les plus agaçantes sur la race, la technologie et la culture populaire en tant que membre de l’équipe de rédaction de Collective Culture. Elle est également coordinatrice de rédaction, mettant à profit son expérience d’aide-enseignante et son amour des mots. Si vous la cherchez, vous la trouverez ici : @_bobbidigital

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