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Le chant des Aziza

Écrit par

Laurent Maurice Lafontant
juin 7th, 2021

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Ce poème est dédié à Shakiro et Patricia, deux jeunes femmes trans qui sont en prison, à Douala au Cameroun et à toutes personnes LGBTQ+ qui mettent leur vie en péril en osant être qui elles sont.  

Vous pouvez contribuer au gofund.me « Soutien aux 2 trans Shakiro et Patricia en prison »

À couvert sous le voile du monde

À l’abri des étoiles du firmament

Loin des regards d’autrui

Je vis secrètement avec les miens, les Aziza

Dans notre cité sous terre, notre refuge

Nous ne nous voyons jamais dans la lumière du jour

Nous ne nous promenons jamais sous les étoiles du soir

À l’écart de tout, nous ne brillons que pour nous

Entre nous, nous nous célébrons, nous nous aimons

Dans la cité des exilés, invisible au monde

Nous ne nous voyons jamais dans la lumière du jour

Nous ne nous promenons jamais sous les étoiles du soir

À l’écart de tout, nous ne brillons que pour nous

Entre nous, nous nous célébrons, nous nous aimons

Dans la cité des exilés, invisible au monde

Ainsi devait aller la vie pour une créature comme moi

Vivre cachée hors du danger, vivre heureuse avec les miens

Demeurer à jamais entre nous dans notre cité sous terre.

Dehors, sous le soleil, c’était le règne de nos monstres

Hors du voile, le lynchage nous accueillerait à bras ouverts

Mais, voilà qu’un soir, j’entrevois la possibilité d’une autre vie

Un rêve me montre des créatures semblables à moi

Elles se mariaient, s’aimaient, s’embrassaient au Grand jour

La foule les applaudissait, criait de joie à leur passage.

Et j’ai souhaité une telle vie pour les Aziza de ma cité

Hélas, mon rêve terrifiait les Aziza. Nul ne devait franchir le voile

Se révéler, c’est dévoiler notre existence à tous

Attirer le regard d’autrui sur nous était mortel

Rompre notre secret mettait en péril notre liberté

Vivre caché était notre manière de nous préserver

Depuis ma vision, la vie sous terre me tue à petit feu

Vivre caché, c’est aussi s’effacer du monde, je réalise.

Notre grotte m’apparait désormais comme notre tombeau

Mes amours deviennent une prison à mes yeux

Je veux aimer et présenter mon amour au monde

J’ose! Je franchis le voile qui sépare ma cité du reste du monde

Exposé sous le soleil, la gêne me pousse à nouveau à me couvrir

Je veux me soustraire aux regards des autres, retourner sous le voile

Mais le rêve d’exister sous le soleil m’arme de courage

Apeuré, seul, petit, j’avance dans ce nouveau monde hostile.

Étrange, bizarre, moqué, curiosité de foire, pointé du doigt,

Je suis mis à l’écart, je n’ai pas ma place sous le soleil

Mon rêve se révèle avoir été une illusion

Mais je refuse pourtant de disparaître dans l’oubli

C’est moi qui vais donner vie à mon rêve

Autrefois, les créatures comme moi vivaient librement sous le soleil

Nous occupions tous les royaumes, les cités et les villages.

Il était un temps où nous étions vus comme des êtres spirituels

Nous étions les gardiens des histoires et les détenteurs des secrets

Nous avions notre place sur cette terre qui était aussi la nôtre

Jusqu’à ce que les autoproclamés rois de ce monde aient peur de nous.

Notre liberté les dérobait de leur emprise souhaitée sur notre monde.

Par crainte de la vie, ils s’organisèrent pour soumettre le monde à leurs règles.

Le bûcher, la potence, la flagellation, traumatisèrent les résistants.

Depuis ce temps, les créatures comme moi apprirent à s’isoler sous terre.

À couvert sous le voile du monde

À l’abri des étoiles du firmament

Loin des regards d’autrui

Nous ne vivons pas, nous mourrons lentement

Dans notre cité sous terre, notre refuge

Par notre invisibilité, notre histoire a sombré dans l’oubli

Nos ennemis se chargeaient de nous dépeindre à l’image de leurs peurs

Nos descendants n’avaient plus de modèles, plus d’héritages

Voués à vivre dans la honte, à ne pas exister, à s’auto-exiler en enfer

Ainsi, nous, les Aziza, avons oublié notre histoire et notre destiné.

Pour faire renaître les Aziza dans l’esprit du monde

J’ai révélé leurs couleurs éclatantes aux différents royaumes

Les peuples sont tous entrés en transe avec moi

Nous avons dansé, nous nous sommes libérés

Par notre histoire, nous inspirons les autres à fleurir

Mais la fête terminée, la chasse royale a repris son cours

Mon exposition a révélé la fragilité de leur contrôle

La peur les a fait redoubler de cruauté

De nouveau, ils nous persécutent, nous débusquent

Désormais, nous, les Aziza, ne sommes plus à l’abri

Par le feu, nous sommes chassés de notre refuge

Exhibés de force à la foule, le soleil nous dégoûte

Déportés, enchaînés, enfermés dans leurs prisons

Nous ne brillons plus, nous ne célébrons plus.

Seuls, loin de leur monde, loin de notre sanctuaire

Vivre sous le soleil, c’est guerroyer pour notre vie

Prendre notre place dans le monde, c’est épouser la violence

Donner de l’espoir aux nôtres, c’est s’exposer à la torture

Écrire notre histoire, c’est un combat sans fin

Vivre avec fierté, c’est se confronter à la mort.

À propose de l’auteur

Laurent Maurice Lafontant est né en Haïti et a immigré au Québec en 2001. En 2008, il obtient son diplôme de l’Université Concordia à Montréal en Beaux-arts après une double majeure en études cinématographiques et études littéraires. Depuis 2008, Laurent s’implique dans la communauté LGBTQ+ en devenant intervenant au Gris-Montréal et bénévole à Arc-en-ciel d’Afrique, un organisme qui œuvrait pour les personnes LGBTQ+ des communautés noires. Il a réalisé deux courts documentaires sur la question de l’homosexualité au sein des communautés noires à Montréal: Être soi-même (2012) et Au delà des images (2014). Laurent est actuellement le président de la Fondation Massimadi, et le coordonnateur de l’évènement Massimadi: festival des films et des arts LGBTQ+ Afro. Laurent est également un écrivain qui a publié son premier roman « La dernière lumière de Terrexil » au printemps 2018.

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