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Conversations avec nos relations: Midnight Wolverine

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Photo: Lucius Dechausay

N. d. T. : En anglais, les pronoms de Midnight Wolverine sont they/them. L’article utilise le pronom iel et les points médians pour refléter le choix de Midnight Wolverine.

Aani! Dolly Berlin ndizhinikaas.

(Bonjour! Je mappelle Dolly Berlin)

Je suis une showgirl burlesque, productrice d’événements et fière femme queer/Bi+ d’origine ojibwée basée à Tkaronto (Toronto). Depuis le début de 2021, je collabore avec Never Apart pour vous présenter cette chronique mettant en lumière quelques-unes des personnes autochtones bispirituelles et queer qui se distinguent dans le monde des arts. Après une pause estivale et avec tant de choses en mouvement, il est grand temps que je plonge dans la vie de l’artiste dénée métisse Midnight (parfois MX) Wolverine. 

J’ai rencontré Midnight Wolverine au Fierce ! Festival en 2018, après qu’iel ait reçu une ovation (en dansant sur un morceau d’Halluci Nation, je crois). Midnight/MX, a une capacité naturelle à incarner des personnages très différents sur scène tout en restant toujours très authentique. Comment ne pas apprécier vivement quelqu’un qui incarne une version drag du personnage déjà très théâtral de Thomas — interprété par Evan Adams dans le film culte Smoke Signals — et qui passe ensuite à un strip-tease politique inspiré par le conflit des pipelines, en tenue perlée façon dominatrice chic? Son slogan late night tease, trickster and shapeshifter (taquinerie de fin de soirée, filouterie et métamorphose) est tout à fait approprié. 

Mx Wolverine a eu une saison de Fierté très chargée, présentant une nouvelle vidéo de drag intitulée Boujee Indigiqueers et tournée dans le parc Underpass devant une peinture murale de Cheif Lady Bird (dans laquelle vous pouvez me trouver aussi). Au-delà de la scène, iel a publié un recueil de poésie, a mené avec succès une campagne de sensibilisation et, comme je l’ai appris, travaille présentement sur d’autres écrits et projets.

 

Photo: John Brodie

Bonjour Midnight, présentez-vous!

Mon nom de scène est Midnight Wolverine et je suis aussi connu·e sous le nom de Mx Wolverine. Je suis un·e drag king et artiste burlesque indigiqueer et bispirituel·le vivant à Tkaronto (également appelé Toronto). Dans « la vraie vie », je suis également interprète, écrivain·e et conférencier·ère. L’ensemble de mes œuvres tend à se concentrer sur les thèmes de résistance, joie, identité de genre et sexualité indigiqueer dans une perspective de revendication. Et finalement, je pense, sur la résurgence des corps et des opinions indigiqueer.

Je sais que vous êtes originaire des Territoires du Nord-Ouest. J’aimerais vraiment commencer par là et discuter de l’art et de la communauté queer qui s’y trouve. Y en a-t-il une? 

Lorsque j’ai grandi dans les Territoires du Nord-Ouest, il n’y avait absolument pas de communauté queer ou de personnes queer, à ma connaissance.  L’homosexualité était complètement invisible. En grandissant en tant qu’autochtone queer refoulé·e, je ne pensais même pas que c’était une option ou une chose qui existait. Ce n’est que lorsque j’ai quitté le Nord que j’ai appris à connaître la réalité queer et que les choses ont commencé à prendre un sens et que j’ai découvert mon identité en tant que personne bispirituelle. C’était donc difficile de grandir dans le nord, parce que c’était très isolé et qu’il y avait un manque d’opportunités, au-delà de ce qui se faisait à l’école. Mais j’ai fait un peu de théâtre, de performance et de danse.

Ce que je dois au Nord, c’est mon lien avec la terre et le territoire. C’est pourquoi une grande partie de mon art, de mes écrits et de mon travail utilise des éléments de la terre pour illustrer les histoires que je veux raconter. J’ai un lien fort avec la terre elle-même, les eaux, les arbres et les animaux du Nord. Même mon nom Wolverine est un animal qui se trouve dans les territoires où j’ai grandi. Le carcajou est un personnage animal ou un être central dans la culture dénée, donc le fait même de me baptiser Wolverine était un moyen pour moi de garder un lien avec le Nord. Et je dirais que toute ma force et ma créativité viennent du sentiment d’appartenance à quelque chose de plus grand que moi qui est, en fin de compte, ce territoire traditionnel et mon lien ancestral.

Qu’est-ce qui vous a incité·e à déménager en Ontario? 

Dès que j’ai eu 18 ans, je me suis dit, « sortez-moi d’ici », ce qui est dommage parce que le Nord est magnifique, mais les jeunes n’ont pas beaucoup d’occasions de voir et de découvrir le monde. Je suis venu·e en Ontario pour aller à l’université et j’ai fini par y rester. J’ai toujours eu l’esprit ouvert et j’ai toujours voulu voir et découvrir ce qu’était le monde; je ressentais donc le besoin de quitter la maison. Ça a été incroyable parce qu’à partir de là, j’ai beaucoup voyagé à l’étranger et j’ai pu voir le monde.

Les possibilités de faire le travail que je veux faire, en particulier sur le plan créatif, n’existent toujours pas dans cette région. J’espère qu’un jour les jeunes auront l’occasion de participer à des pratiques plus créatives et à l’art au sein de leur communauté. Pour l’instant, ça se limite encore aux centres urbains. Je suis venu·e à Toronto après avoir vécu à Guelph, principalement pour trouver une plus grande communauté queer. Et c’est exactement ce qui s’est passé dès mon arrivée. J’ai rejoint la communauté drag et burlesque et c’est ce qui me retient, depuis, ici dans la ville.

Comme j’ai vécu toute ma vie dans une ville, je peux facilement me faire une image idyllique de la vie hors du rythme trépidant de la ville. Avez-vous une préférence pour l’un ou l’autre?

C’est vraiment une façon différente de vivre. Je ne suis pas une personne de ville, je n’ai jamais pensé que je me retrouverais ici. J’aime les grands espaces et être entouré·e d’arbres et d’animaux. Et j’ai besoin de ça; la vie urbaine ne m’inspire pas. Elle ne suscite aucune sorte d’idées créatives — celles-ci me viennent plutôt des moments que je passe à l’extérieur de la ville. J’ai besoin de retourner dans le Nord pour retrouver l’inspiration, me ressourcer et avoir de nouvelles idées. Et puis revenir et les mettre en œuvre. Mais ce que la ville m’apporte, c’est un sens de la communauté, en particulier la communauté queer, et un accès plus proche au burlesque et au drag. Si je pouvais partager mon temps entre les deux, je le ferais.

Avez-vous toujours pensé que vous seriez artiste de scène? Comment cela a-t-il commencé?

Je n’avais aucune idée de ce qu’était le drag ou le burlesque, mais j’avais une certaine fascination pour ces disciplines. Quand j’ai déménagé, la première chose que j’ai faite a été de chercher des cours de burlesque et ça a été le coup de cœur. Je savais que c’était quelque chose que je voulais faire. La progression vers le drag s’est faite tout naturellement. Je ne me souviens même pas comment ça s’est passé, je pense qu’on m’a initié·e au concept des drag kings et que j’ai commencé à expérimenter. J’ai ensuite rencontré un drag king local et j’ai fait ma toute première performance de drag sur la scène de Pride Toronto quelques mois plus tard. Après cette prestation, il n’était plus question de faire marche arrière!

Photo: Mo Thunder

Avez-vous eu un mentor pour le drag ou bien avez-vous fait vos propres expériences?

Je ne connaissais personne en ville à mon arrivée. J’ai cherché sur Google les spectacles de drag king et j’ai trouvé le spectacle mensuel Kings and Classics. J’ai assisté à un spectacle à la salle Buddies In Bad Times. C’était la première fois que je voyais des drag kings. Je suis resté·e debout, seul·e au fond de la salle, derrière toutes les personnes que je connais maintenant, et je me suis dit, « c’est quelque chose que je dois faire ». Je suis rentré·e chez moi et j’ai essayé de me maquiller en drag king pour la première fois. Je ne me souviens plus comment nous avons fait connaissance, mais Pretty Rikki (le producteur de Kings and Classics) a joué un rôle déterminant dans mon évolution en tant que drag queen, grâce au spectacle mensuel qu’il gérait et à son ouverture d’esprit face aux nouveaux artistes.

Même dans une ville où la vie nocturne et l’industrie du spectacle queer sont très développées, il est encore rare de voir des drag kings se produire sur scène, par rapport aux drag queens. 

Il y a une grande ségrégation entre les spectacles de drag queens et les spectacles de drag kings. Ce sont des gens comme Pretty Rikki et ZacKey Lime et Alexandher Brandy (les co-créateurs de House of Kings) qui se disent, « il n’y a rien pour nous, alors nous allons créer un spectacle ou des soirées pour nous ». Iels ont commencé à collaborer avec des gens comme la librairie Glad Day en disant, « nous avons besoin d’un espace pour les drag kings » et en organisant des soirées de micro ouvert pour que la relève puisse faire ses premiers pas sur scène. Mais pour ce qui est des drag kings et queens qui partagent une scène ensemble, ça n’existe pas encore. J’ai été invité·e à me produire lors d’un spectacle de drag queens sur la rue Church. Je crois qu’il y avait 16 drag queens et j’étais le seul drag king. Me produire là-bas plutôt que dans une salle réservée aux drag kings était une toute autre expérience. En comparaison avec Vancouver, par exemple, où la communauté des drag kings est très bien établie depuis un certain temps, Toronto accuse un retard, même si les habitants de la ville savent qu’il existe une forte communauté locale de drag kings. Je ne sais pas ce qu’il faudrait pour que cet univers prenne de l’ampleur et que les gens soient plus ouverts aux drag kings et aux artistes qui construisent une identité scénique de genre autre que la leur.

Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui veulent se lancer dans le drag ou la performance de genre et qui ne savent pas par où commencer ?

J’ai été à votre place, je ne savais pas comment m’y prendre. En raison de la pandémie, il y a eu beaucoup de spectacles virtuels, et je pense que cela va continuer. Ce qu’il y a d’étonnant dans les spectacles virtuels, c’est qu’ils permettent de réunir des artistes des quatre coins du pays — et du monde. Alors même si vous êtes dans le nord, par exemple, vous pouvez regarder un spectacle de drag. Recherchez des spectacles. J’ai appris le maquillage grâce à des tutoriels sur YouTube et en trouvant sur Instagram des drag kings et des artistes qui s’amusent avec l’identité de genre que je trouvais inspirant·e·s. Abonnez-vous à leurs comptes pour voir leurs maquillages et leurs costumes. Parlez-leur; je constate que beaucoup d’artistes acceptent de correspondre avec de nouveaux artistes. Demandez-leur des conseils. Nous sommes particulièrement ouvert·e·s à l’arrivée de personnes racisées sur la scène. Et surtout, amusez-vous, jouez et explorez dans votre chambre devant un miroir, c’est ce que j’ai fait!

Le look des drag kings a changé. C’est agréable de voir plus de diversité.

Surtout avec les jeunes qui arrivent maintenant et qui sont intergenres et de diverses identités de genre. Iels influencent le milieu et disent, « non, nous ne rentrons pas dans ces binaires, même au sein de la scène du drag », et redéfinissent ce à quoi ça ressemble. Iels élèvent le drag et la performance de genre à un tout autre niveau.

Votre tournage pour la Fierté de cette année était génial ! Je vous ai vu·e dans plusieurs événements numériques au cours de la dernière année et demie. Avez-vous aimé le passage vers la performance en ligne?

Oui et non. C’était difficile parce que j’adore les spectacles en direct et le public. Je me nourris de l’énergie de la salle et de la communauté. J’ai donc un peu perdu cette magie. Je trouve très difficile de me produire virtuellement sans ressentir cette énergie. Comme je suis une personne à la fois occupée et introvertie, les spectacles étaient un espace où je pouvais aller en sachant que j’allais tomber sur quelqu’un que je connaissais et que j’avais hâte de voir. Ça me manque de pouvoir rester en contact de cette façon, car à moins de participer activement aux médias sociaux, il est difficile de rester au courant de ce qui se passe. Mais c’est vraiment cool de créer une nouvelle forme de spectacle, de jouer le rôle de réalisateur·trice, de directeur·trice de la photographie et de chorégraphe. Des gens ont créé des vidéos musicales de drag exceptionnelles, ce qui est bénéfique pour notre art. Et l’accessibilité. Cela dit, les spectacles me manquent!

Pouvons-nous parler un peu de ce que vous faites au quotidien?

J’ai lancé We Matter, une organisation et campagne nationale dédiée à la santé mentale des jeunes autochtones. C’est quelque chose que j’ai fait pendant de nombreuses années. L’année dernière, j’ai pris du recul par rapport à mon rôle et à mes responsabilités pour me consacrer à une carrière artistique à plein temps, alors je suis maintenant écrivain·e et artiste indépendant·e à plein temps. C’est à la fois effrayant et extraordinaire parce que contrairement à l’époque où j’avais un emploi à temps plein, j’ai maintenant le temps et l’espace pour me consacrer à mes projets créatifs. En plus d’être un·e drag king et artiste burlesque, je travaille également comme acteur·trice et j’écris pour le cinéma et la télévision. Je fais beaucoup de sensibilisation et de conférences sur la représentation des jeunes autochtones et des bispirituels.

Ce qui est formidable de l’organisation We Matter, c’est qu’elle est toujours en activité et gérée par une équipe entièrement autochtone. J’ai travaillé à la lancer et maintenant d’autres personnes s’en occupent, ce qui est génial. Ce qui compte, c’est la visibilité et surtout la représentation positive qui montrent aux jeunes qu’il y a un avenir pour eux au-delà de la douleur et de la perte.

Ok et la poésie! Vous avez un livre intitulé Fireweed. Comment avez-vous décidé de publier vos poèmes?

J’écris de la poésie depuis toujours et pour moi, ce livre semble déjà tellement vieux! J’ai écrit Fireweed en 2016, mais il n’a été publié qu’en 2019. C’était tout un processus. J’ai d’abord écrit pour moi, j’écrivais tout simplement de la poésie après n’avoir pas écrit pendant une longue période. Après avoir écrit tous ces poèmes, j’ai décidé de les réunir sous forme de livre. C’était quelque chose que j’avais besoin de partager avec le monde, pour la représentation, la visibilité, la guérison, toutes ces conversations importantes. Le processus de recherche d’un éditeur a ensuite été très long. C’est vraiment cool de voir qu’il circule toujours et que les gens le demandent, en parlent et l’achètent. C’est vraiment incroyable et ça montre à quel point il est important pour les artistes autochtones de pouvoir faire connaître leur travail, car d’autres personnes voudront le découvrir et en faire partie.

Selon moi, l’écriture est l’une des formes d’art les plus intimes, j’admire ceux et celles qui s’y adonnent.

C’est terrifiant. Ce livre réunit toutes les facettes les plus secrètes des 23 premières années de ma vie. Mais je savais que je voulais le publier parce que je savais que mes mots trouveraient écho auprès d’autres personnes et c’est ce qui était important pour moi.

Quelle est la prochaine étape pour vous?

Je travaille sur de nombreux projets passionnants dont je ne peux pas vraiment parler. Mais définitivement en télévision et cinéma; je suis dans ce monde maintenant et j’espère contribuer à porter à l’écran des histoires autochtones et indigiqueer authentiques. J’ai l’impression que nous vivons une révolution dans la création de contenus autochtones : il y a tellement de choses en cours de production, de Trickster à Reservation Dogs en passant par Rutherford Falls, tous ces projets commencent à paraître. Le point de vue et les histoires des autochtones queer n’ont pas encore été portés à l’écran, et je veux trouver un moyen de promouvoir les histoires de drag kings et les artistes de genre parce que c’est quelque chose qui demeure inédit. Mon objectif à long terme est de combiner le drag et le burlesque avec le contenu grand public.

J’ai hâte!

D’ici là, abonnez-vous à Midnight Wolverine.

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