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Conversations avec nos relations: Thirza Cuthand

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Aani! Dolly Berlin ndizhinikaas.

(Bonjour! Je mappelle Dolly Berlin)

Je suis une showgirl burlesque et productrice d’événements basée à Tkaronto (Toronto), mais en pause à cause de la pandémie. En tant que fière femme queer/Bi+ dorigine ojibwée, je suis très heureuse et honorée de collaborer avec Never Apart pour vous présenter cette chronique mettant en lumière quelques-unes des personnes autochtones bispirituelles et queer qui se distinguent dans le monde des arts.

Ce mois-ci, je me suis entretenue avec Thirza Cuthand, une cinéaste à qui on attribue la création du terme Indigiqueer. Personnellement, je suis tombée sur ce terme il y a quelques années, je suis presque sûre sur Instagram (une vraie milléniale), et ça a fait tilt! J’adore le fait que le langage soit en constante évolution, que ce soit les langues traditionnelles qui perdurent ou l’anglais. Maintenant établie à Toronto, Thirza avait d’abord utilisé le terme au début des années 2000 comme titre du volet autochtone et bispirituel de la programmation du Vancouver Queer Film Festival, sous l’orthographe Indigequeer.

Thirza se décrit comme une vidéaste et cinéaste qui a réalisé diverses vidéos qu’on peut qualifier d’expérimentales et qu’elle considère divertissantes et penchant plus vers la construction narrative. J’ai toujours été intriguée par l’art cinématographique et vidéo et je l’apprécie, mais aujourd’hui, je sais que beaucoup d’artistes ont un respect renouvelé pour les artistes qui travaillent à la création d’œuvres partagées dans un format numérique. J’ai participé à de nombreux festivals et événements cinématographiques en tant qu’artiste et commissaire et je suis ravie de m’entretenir avec elle.

Salut Thirza, parlez-nous un peu de vous!

Je m’appelle Thirza Cuthand, Je suis Nehiyaw et Écossaise de Saskatoon. À l’origine, mon peuple est originaire de la Première Nation de Little Pine, en Saskatchewan. Depuis 1995, je réalise des vidéos qui portent sur le genre, la sexualité et sur des questions autochtones.

Commençons par le début. Comment avez-vous commencé à faire des films?

J’ai affiché mon homosexualité très jeune, j’avais 14 ans. La représentation des lesbiennes adolescentes était inexistante entre le début et le milieu des années 90, alors la première vidéo que j’ai réalisée portait sur le fait d’être une adolescente et une lesbienne à la recherche d’autres lesbiennes adolescentes et de ne pas pouvoir les trouver. J’ai réalisé cette vidéo dans le cadre d’un atelier organisé par un festival du film queer qui s’est tenu à Saskatoon pendant un an seulement. Le festival avait fait venir un vidéaste chevronné pour nous apprendre à faire des vidéos, et c’est comme ça que j’ai commencé. Le film a été présenté ensuite dans plusieurs festivals, car personne ne parlait d’être une adolescente lesbienne, à l’exception peut-être de Sadie Benning. Mes parents étaient artistes, alors j’ai toujours voulu faire du cinéma ou une autre forme d’art. Dès le moment où j’ai commencé à réaliser des films, j’ai tout de suite su que c’était pour moi.

Que faisaient vos parents ?

Mon père est sculpteur et ma mère a fait un tas de choses. C’est une artiste visuelle, mais elle fait du perlage maintenant, elle perle des virus.

Très cool!

C’est la question qui commence à être un peu galvaudée, mais je dois la poser : comment la pandémie a-t-elle changé votre vie l’année dernière?

Je n’ai pas autant travaillé avec les gens que d’habitude. Durant une des baisses des cas, j’ai fait un tournage qui était plus axé sur l’industrie, mais nous devions quand même suivre toutes les nouvelles mesures exigées dans le milieu du cinéma. Mais la plupart du temps, je n’ai pas eu beaucoup de tournages; j’ai fait des projets avec des images d’archives ou ce n’était que moi et une caméra. Ça a été une année un peu solitaire.

Vous aviez exploré des sujets dystopiques avant la pandémie. Trouvez-vous cela ironique maintenant? Est-ce un sujet que vous pensez continuer à explorer?

C’est intéressant parce que deux de mes vidéos les plus récentes incluaient des masques à gaz et les gens m’ont dit « oh, tu te servais déjà de masques à gaz avant que ce virus n’apparaisse ». C’est un drôle de hasard.

La dystopie est en quelque sorte ce dans quoi nous vivons déjà, alors si vous faites de l’art contemporain, il sera dystopique. Je pense que ce qui m’intéresse, c’est d’essayer de trouver des choses encourageantes dans la dystopie. C’est ce que j’ai essayé de faire avec Reclaimations et ça m’intéresse toujours.

En ce qui concerne les choses sur lesquelles je travaille en ce moment, nous entamons la production d’un long métrage sur la violence contre les femmes autochtones. C’est dystopique, mais c’est notre réalité à l’heure actuelle.

Vous avez présenté vos œuvres dans le monde entier et avez vécu dans différentes régions. Comment la réception de votre travail varie-t-elle selon les régions?  

Oui, je trouve qu’il y a un racisme bizarre en Angleterre.

Oh. « Bizarre ».Ha.

Je crois que c’est surtout qu’ils ne comprennent pas que nous existons toujours et que nous sommes toujours là aujourd’hui.

À mes débuts, lorsque j’avais des projets plus mordants, j’ai entendu dire qu’un film avait été projeté en Amérique du Sud et qu’il n’avait pas été très bien accueilli parce que j’y étais complètement nue. En général, il y a toujours des régions conservatrices où la réaction est un peu différente. Les prairies sont difficiles, quand on sait à quel point elles peuvent être racistes. Mais généralement, le public qui vient voir mes films ne l’est pas.

Je vous ai vue dans les séances de lecture Racoon Clan Readings du Slut Island Festival, je me souviens avoir trouvé ça très drôle. Avez-vous déjà fait de la comédie ou envisagé des adaptations sur scène de vos œuvres?

J’ai déjà joué sur scène, mais plutôt du côté artistique pour les galeries ou le public de l’art performance. Le stand up me terrifie, car j’ai entendu dire qu’il pouvait y avoir beaucoup de masculinité toxique dans le milieu. Mais j’écrirais peut-être un livre drôle, ou des mémoires.

L’aspect narratif de vos courts-métrages ressemble beaucoup à un monologue, ou à un poème dont les images sont ensuite liées au film. Le monologue est-il l’élément de base d’un projet ou construisez-vous la narration autour des éléments visuels?

Je commence presque toujours avec le monologue et je choisis les éléments visuels et les clips audio conséquemment. Je me souviens avoir suivi un cours de sono et mon projet final était une vidéo sans effets sonores où je ne faisais que parler et on m’a dit : « ce n’est pas une piste sonore! ».

Alors depuis, j’essaie de faire en sorte que ce soit un peu plus intéressant que seulement moi qui parle.

Parfois, je commence par des éléments visuels; je pense à une image qui m’attire vraiment et que je veux utiliser. Mais le plus souvent, c’est le monologue.

Avez-vous de nouvelles œuvres ou des expositions numériques prochainement? 

Mon installation intitulée Médecine et Magie, qui a été commissariée par imagineNATIVE et présentée l’année dernière, sera présentée à la Berlinale en juin. Du coup, je me demande… J’y vais ou je n’y vais pas? J’ai eu mon premier vaccin, mais en même temps… (Thirza gémit nerveusement).

Le collectif COUSIN Collective et moi participons au Doc Fortnight du Museum of Modern Art avec un film que j’ai réalisé sur le fait d’essayer d’être dans la Whitney Biennal — des trucs louches se passaient avec le conseil d’administration. J’ai également un projet au Queer Film Festival de Toronto cette année. Et, en janvier, nous avons terminé un court métrage basé sur le long métrage sur lequel nous travaillons. C’est l’histoire d’une femme autochtone qui monte dans un taxi et les choses dérapent, mais elle obtient un pouvoir qui lui permet de s’en sortir. Le film utilise la pyrotechnie, des cascades et de la conduite de voitures; c’est le tournage le plus sophistiqué que j’aie jamais fait. Nous sommes en train de trouver un festival pour le présenter en avant-première. 

Quels sont vos festivals préférés auxquels vous avez participé?

La Berlinale. J’y ai participé l’année dernière et c’était un festival amusant; il figure parmi les grands festivals avec des célébrités et des événements. C’était vraiment intéressant. Il y a aussi eu des festivals queer punk plutôt underground, comme un qui a eu lieu dans un squat berlinois, dans un petit parc, et un autre à Austin, au Texas, appelé Outsider Fest, qui était aussi très amusant et qui proposait des performances, de l’art visuel et des vidéos/films queer.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le film?

C’est l’histoire d’une lesbienne autochtone qui a le pouvoir d’allumer des feux avec son esprit. Une boule de feu dans le ciel lui donne ce pouvoir. C’est en quelque sorte basé sur une histoire vraie, car une nuit, mon ami et moi roulions dans la campagne et nous avons vu cette boule de feu vert dans le ciel. J’ai pensé «  voilà quelque chose que je ne comprends pas dans ce monde! ». Nous finalisons la version préliminaire et nous ferons une demande de fonds de production à l’automne.

Parlons un peu du terme Indigiqueer qui fait référence aux identités autochtones queer. J’ai lu votre article de blogue et je voulais vous dire merci pour ce terme! Comment l’utilisez-vous ces jours-ci?

J’ai tendance à davantage utiliser bisprituel.le, mais j’alterne entre les deux. C’est bizarre, car je ne l’ai jamais considéré comme une identité lorsque j’ai commencé à l’utiliser. Mais je l’apprécie et je l’utilise un peu plus maintenant que je sais que d’autres personnes l’utilisent. 

Je l’ai également vu utilisé dans le titre du recueil de poèmes Full Metal Indigiqueer de Joshua Whitehead. Vous êtes-vous déjà rencontrés?

Oui, je crois que c’était à Vancouver. Il m’a remercié d’avoir diffusé le mot. Il est vraiment sympathique et on se suit sur Twitter.

Certaines de vos œuvres explorent également le thème de la santé mentale et je remarque que vous utilisez de plus en plus le mot « folie » pour en parler. Êtes-vous à l’aise de nous en parler?

Lorsque j’ai reçu mon premier diagnostic de bipolarité, il y avait, et il y a toujours, beaucoup de stigmatisation autour de cette maladie, car elle fait partie des maladies mentales qui effraient le plus les gens. Une de mes amies, qui était aussi une militante folle ou une consommatrice de services psychiatriques (je ne sais pas comment elle veut s’identifier), m’a présentée à d’autres personnes qui avaient eu recours aux services des maladies mentales. Parfois, lorsqu’on fait appel à des services de santé mentale, les prestataires de services ont un certain jugement et on peut le sentir, ce qui est surprenant. Mais en même temps, il y a cette camaraderie qui se produit quand on rencontre d’autres personnes qui ont aussi été dans un service psychiatrique. C’était comme découvrir une autre communauté et une autre façon de voir le monde.

Je n’ai pas fait beaucoup de vidéos sur les maladies mentales, mais celles que j’ai faites ont pour but d’éliminer la stigmatisation et d’aider les gens à comprendre qu’ils peuvent parler de ces choses.

Avez-vous eu l’occasion d’être en contact avec votre communauté au cours de la pandémie?

Mes ami.e.s à Toronto sont pour la plupart bispirituel.le.s et je suis restée en contact avec elles et eux et je les ai rencontré.e.s dans des parcs. J’ai participé à un pow-wow bispirituel virtuel à San Francisco qui a habituellement lieu en présentiel. Il y avait une activité de speed dating bispirituel qui était vraiment charmante. C’était agréable de parler à des gens de toute l’Amérique du Nord. D’une certaine manière, la situation actuelle nous a donné l’occasion de parler à des gens plus éloignés que d’habitude.

Pouvez-vous nous dire autre chose sur les liens entre votre identité et la réalisation de films?

Il y a toujours quelque chose de nouveau que j’ai envie d’explorer. À une époque, j’ai essayé de faire une fécondation in vitro pour avoir un bébé, mais ça n’a pas fonctionné. Je fais donc un film cette année sur cette expérience et sur le sentiment d’aliénation que l’on ressent à la clinique de fertilité lorsqu’on est célibataire et qu’il y a tous ces couples autour de soi; à quel point il est étrange de vivre cette expérience seule.

Beaucoup d’entre nous consomment l’art de nouvelles façons. Y a-t-il des personnes qui vous divertissent à l’heure actuelle?

J’ai commissarié une programmation kink pour le festival Fairy Tales qui sera bientôt disponible et est principalement composée de créateur.trice.s racisée.e.s. Il y a des œuvres assez extrêmes, des trucs qui dérangent, mais ça devrait être intéressant! Tous.tes les participant.e.s à ce programme méritent d’être vu.e.s.(https://www.fairytalesfilmfest.com)

Elle me dit que le titre de la programmation de Fairy Tales est Blood, Cum, Spit and Leather (Sang, sperme, crachat et cuir en français). J’ai hâte de découvrir les projets dont elle nous a parlé et de voir les projections de Medicine and Magic, Extractions, Less Lethal Fetishes et d’autres œuvres réalisées par Thirza.

Thirza Cuthand en ligne et Vimeo

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