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Disney et la représentation de la diversité

Écrit par

Laurent Maurice Lafontant
juillet 7th, 2021

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Alors que le dernier film d’animation des studios Walt Disney et de Pixar, Luca d’Enrico Casarosa, vient de sortir, et que Raya et le Dernier Dragon réalisé par Don Hall et Carlos López Estrada, est sorti en mars dernier, je profite, en tant que fan de ce genre, pour jeter un regard sur l’évolution de ces productions familiales en termes de représentation queer et de diversités culturelles. Le premier film que j’ai vu au cinéma à l’âge de quatre ans était La Petite Sirène qui d’ailleurs partage plusieurs points communs avec Luca.  Au cours de mon enfance, tous les mois de décembre, j’allais regarder la sortie du nouveau ‘chef-d’œuvre’ de Disney au cinéma Impérial à Port-au-Prince en Haïti. C’est ainsi que j’ai visionné la plupart des films des années 90, qu’on a appelées la ‘période de renaissance’ des studios Disney.

 

Enfant, je me sentais différent des autres et étranger à mon environnement. En ce sens, les personnages de Disney m’ont toujours rejoint. De La Petite Sirène à Tarzan, les protagonistes de ces films sont toujours ostracisés par rapport à leur communauté. La sirène Ariel rêve de quitter le monde sous l’océan pour vivre sur terre parmi les humains. Belle ne sent incomprise par les habitants de son village. Mulan ne correspond pas aux stéréotypes de genre de sa société etc. J’ai réalisé que j’étais gai à 19 ans, bien après avoir vu les films Disney, mais avec le recul, je trouve que même si ces films donnent en premier plan, une vision uniquement hétérosexuelle des relations amoureuses, ils avaient quelque chose qui m’interpellait en tant que personne queer. Plus tard, j’ai appris que le compositeur des chansons de La Belle et la Bête et La Petite Sirène, Howard Ashman était un homme gai décédé à la suite de complications liées au sida. Sachant cela, on peut analyser les paroles de ses chansons autrement. Surtout que celles-ci mettent beaucoup l’accent sur le sentiment de la différence, de la quête d’appartenir à un monde qui nous accueille tel qu’on est.

 

Dernièrement, Raya et le Dernier Dragon et Luca sont les films les plus queer que j’ai vu de Disney même si ce n’est pas du tout explicite. Dans ces deux films, il n’y a aucune romance, et les relations entre les personnages principaux sont présentés comme des amitiés chères et fortes. C’est laissé à l’interprétation du spectateur. L’actrice Kelly Marie Tran qui prête sa voix à Raya a même affirmé avoir joué le personnage avec l’idée qu’elle flirtait par moment avec l’antagoniste Namaari. Et le fait qu’il n’y ait aucune histoire d’amour avec un personnage masculin permet de donner plus libre cours à l’imagination des personnes qui veulent voir plus que ce qui se passe à l’écran. Du côté de Luca, on parle d’une amitié d’enfance très forte entre deux garçons et une fille. Encore une fois, il n’y a aucune romance. Mais on voit les deux garçons, Luca et Alberto témoignés une forte affection l’un pour l’autre. Et quant à Giulia, elle n’a rien de typiquement féminin pour une fille. On peut dire qu’elle s’habille comme un gars. Elle est sportive, fonceuse, et elle voit les deux garçons comme uniquement des amis. Je vois derrière le choix des créateurs, une manière de laisser plus de liberté aux personnes et surtout aux enfants qui regardent ces films afin qu’ils puissent s’identifier aux personnages à l’écran en fonction de leur propre identité de genre et orientation sexuelle.

 

Par rapport aux films des années 90s qui incluaient obligatoirement une histoire d’amour hétérosexuelle, les choses ont un peu évolué en 2021, mais on ne peut pas encore parler d’une grande ouverture inclusive. À la place de mettre clairement des personnages queer, on préfère enlever toute romance. Les personnes queer doivent encore se contenter des sous-entendus pour se reconnaître alors qu’on n’hésitait pas à parler de romance entre un homme et une femme dans les précédents Disney. Au moins, on peut se réjouir que l’époque où seuls les vilains étaient codifiés comme des personnages queer est révolu. Ursula dans La Petite Sirène, Jafar dans Aladdin, Scar dans le Roi Lion, le gouverneur Ratcliffe dans Pocahontas, sont tous des personnages qui reproduisent des clichés associés aux personnes queer dans l’univers Disney. De nos jours, ce sont les héros qui sont codifiés comme queer. Mais tout de même, il semble que Disney joue plus sur l’ambiguïté, du style don’t ask, don’t tell. Il reste encore du chemin à faire que Disney et Pixar présentent clairement des personnages LGBT dans un film pour toute la famille.

À présent, qu’en est-il de la représentativité culturelle? Moi qui étais intéressé par l’Histoire, les civilisations anciennes, les mythes et la fantaisie, je me plaisais beaucoup à découvrir les divers univers à travers lesquels les films de Disney me faisaient voyager; le royaume fictif d’Agrabah en plein désert du Moyen-Orient dans Aladdin, la Grèce mythologique avec Hercules, la Chine du Ve siècle dans Mulan, Paris de la fin du Moyen-âge avec le Bossu de Notre-Dame, les châteaux européens avec la Belle et la Bête et l’Amérique au temps de la conquête et de la colonisation dans Pocahontas. L’Afrique était également représentée, mais uniquement comme un continent sauvage et dépourvu de populations et de civilisations. C’est le cas dans le Roi Lion, une histoire avec des personnages animaux, et dans Tarzan, où les seuls humains sont des Anglais blancs qui débarquent dans une jungle au cœur du Congo. Le pays n’est jamais nommé dans la version de Disney, mais c’est généralement le lieu où sont censées se dérouler les aventures de Tarzan – on y reviendra plus tard.

 

Évidemment la représentation de toutes ces cultures dans les films de Disney n’avait pas pour but d’offrir un point de vue authentique sur celles-ci. Le studio s’inspirait le plus souvent de légendes et contes originaires de cultures autres que la culture américaine, et quand les créateurs puisaient leur inspiration dans du matériel lié aux Amériques, c’était généralement dans les cultures précolombiennes (Pocahontas et Mon Frère l’ours). Les histoires se déroulaient pour la plupart sur des territoires situés en dehors des États-Unis et toujours à une époque distante de la nôtre, mais paradoxalement, elles véhiculaient avant tout les valeurs américaines contemporaines et la vision du monde en vigueur aux États-Unis. Après tout, un film doit parler à ses contemporains. On se doute que Disney n’aurait pas attiré les foules comme il l’a fait si le studio avait représenté les cultures de manière très authentique, avec des valeurs souvent éloignées de celle du modèle américain occidental. Qu’importe la culture qu’on montre à l’écran, le but est toujours de la transformer de sorte qu’elle rejoigne les Américains, qui sont le premier public visé.

 

Dans Hercule (1996), les dieux grecs, qui forment un ensemble complexe, sont divisés en fonction du manichéisme chrétien entre bons et mauvais, ce qui ne correspond pas du tout à la mentalité et à la vision du monde de la Grèce antique. Notre héros naît dans une famille très nucléaire, de style chrétien, avec Zeus pour père et Héra pour mère, et Hadès joue l’oncle méchant qui règne dans les enfers en tant que dieu des morts et qui rêve de devenir le dieu suprême. Le film clôture avec Hercule qui déclare son amour pour la belle Mégara – et adieu la tragédie grecque ! Le film a d’ailleurs été reçu très négativement par les Grecs.

Dans Mulan (1998), plusieurs libertés sont prises pour s’aligner sur les mœurs occidentales. Par exemple, l’une des fameuses scènes du film est lorsque l’héroïne coupe ses cheveux pour se faire passer pour un homme et revêtir l’armure de son père, alors que dans la Chine de l’époque, les hommes gardaient leurs cheveux longs. Cette scène, à ce qu’il paraît, a été ridiculisée par le public en Chine. D’ailleurs dans la version de 2020 avec des prises de vue réelles, la scène a complètement disparu dans l’optique d’être plus fidèle à la Chine de l’époque – et force est d’admettre que le film a perdu en charge émotionnelle pour les fans du dessin animé. Cette nouvelle version du film tente d’être plus authentique et respectueuse vis-à-vis de la culture chinoise, mais le film a été un échec à la fois auprès des occidentaux, très déçus des changements apportés, et auprès du public chinois – qui n’a du reste même pas eu accès complètement au film, en raison d’une controverse liée à l’internement forcé de la minorité musulmane ouïghoure. Certaines critiques chinoises dénonçaient le fait que la vision de la Chine, dans le film, était vieillotte et peu originale (tradition, honneur…) et qu’elle était en décalage avec l’audience actuelle. Pour ma part, je trouve aussi que la version animée, malgré les anachronismes et l’occidentalisation du film, offre une œuvre plus touchante émotionnellement. Parfois, travestir la réalité pour rejoindre le spectateur dans ce que l’émotion a de plus vrai à offrir peut s’avérer nécessaire.

 

Dans Aladdin (1992), le royaume fictif d’Agrabah est dépeint comme étant barbare et sauvage, avec un marché où les vendeurs menacent de couper la main des voleurs; les marchands sont des arnaqueurs, les nobles riches sont insensibles face aux enfants pauvres de la rue, le Sultan est faible et manipulable.  Le film ne permet pas au public de sortir en retenant une valeur ou une coutume orientale positive, même si cette région du monde a contribué énormément à l’histoire de l’humanité. Hormis Aladdin qui est dessiné avec des traits plus européens et qui apparaît simplement ‘bronzé’, les personnages sont caricaturés. Quant à la princesse Jasmine, son costume relève du fantasme orientaliste nourri par le monde occidental sur la femme arabe. Une femme, d’autant plus si elle est un membre de la famille royale, ne se promènerait jamais le ventre, les bras, et les épaules nus. C’est la princesse qui est la plus sexualisée, et elle utilise même sa sexualité comme une arme, contrairement aux autres princesses européennes qui sont timides et attendent toujours que ce soit leur prince qui les embrasse. Aladdin véhicule avant tout des valeurs réputées universelles, mais qui correspondent à l’époque américaine contemporaine ou aux valeurs qu’elle veut transmettre – être fidèle à son cœur, vivre un amour romantique. Agrabah ne sert que de décor exotique. Hercules (1997) et Mulan (1998), bien qu’étant américanisés, offrent beaucoup plus en termes d’authenticité historique et culturelle. Mais les valeurs finales avec lesquelles le public ressort restent occidentales. Il est à noter que ces derniers films ont été réalisés aussi plus tard.

Dans Pocahontas (1995), les créateurs s’inspirent d’une légende amérindienne et romancent le vécu tragique de l’héroïne en mettant davantage l’accent sur l’amour entre les deux protagonistes de milieux différents comme puissant remède contre la guerre et la haine raciale.  Comme Jasmine, Pocahontas veut être libre de suivre son cœur et épouser l’homme de son choix. Pocahontas montre un meilleur portrait des Amérindiens qu’Aladdin des Arabes. Ils ne sont pas stéréotypés dans les dessins et ne sont pas présentés comme des sauvages, mais certains ont critiqué le fait que le film les dépeint en se conformant au cliché du « noble sauvage ». Ils sont ainsi assez pacifiques et vivent en harmonie avec la nature, contrairement aux Anglais qui ne sont intéressés qu’à piller les ressources du sol. La civilisation européenne n’est pas montrée comme supérieure à celle de la tribu des Powhatans. Disney n’est pas fidèle à l’histoire et tente de trouver un juste milieu pour satisfaire tout le monde. Il demeure que c’est le premier film pour lequel le studio s’efforce de réfléchir à la représentation de la diversité en embauchant des consultants amérindiens. Il y a donc, pour la première fois, la volonté de ne pas offenser les représentant d’une culture non occidentale. En outre, aborder aussi clairement le racisme dans un film destiné à un public pour enfants était quand même un geste audacieux. En 1996, Disney abordait des thématiques qui étaient également sociales, dans le Bossu de Notre-Dame. Le méchant du film, le juge Claude Frollo, était clairement un xénophobe, raciste, qui voulait purger la ville de Paris des gitans (Roms).

 

Il faudra attendre environ 20 ans avant que Disney aborde une thématique plus directement liée au racisme ou à la colonisation. En 1999, le sujet est évacué de Tarzan, alors que l’origine des aventures de ce roi de la jungle est directement liée au colonialisme et au racisme. Il est à noter que pour le créateur de Tarzan, Edgar Rice Burroughs, ce nom signifie littéralement peau-blanche et son œuvre entend démontrer la supériorité de l’Homme blanc sur le continent africain. Pour ne pas du tout aborder le sujet et simplifier l’histoire, Disney a enlevé les Noirs du continent africain, ce qui fait que dans la version animée, les premiers humains que Tarzan rencontrent sont blancs, envoyant comme message que l’homme blanc incarne la représentation de la civilisation et de l’humanité par défaut, ce qui ne peut être considéré comme moins raciste. En pensant éviter le sujet, Disney finit quand même par affirmer la vision dominatrice de l’homme blanc qu’avait le créateur à la base. L’histoire de Tarzan est celle d’un jeune homme partagé entre son appartenance aux groupe des gorilles et son désir de rejoindre les humains dont il vient d’apprendre l’existence. On ne peut que se demander pourquoi la rencontre de Tarzan avec des personnes noires ne déclencherait pas ce questionnement sur son humanité et son lien avec les singes. Pourquoi la première femme dont il tombe amoureux doit être une blanche? Il est vrai qu’il est impossible, dans le contexte de Tarzan, d’introduire des Noirs dans le décor sans aborder de front la dimension raciale et colonialiste de l’époque.

 

La Princesse et la Grenouille (2009) se déroule à la Nouvelle-Orléans dans les années 1920 en pleine ségrégation raciale. Le film garde la culture liée au jazz et conserve la spiritualité vodou mais plus sous forme de magie sombre et de merveilleux, pour ajouter une touche de fantasy. Et tout le racisme ainsi que l’histoire de l’esclavage sont complètement évacués du film. L’inégalité sociale est présentée uniquement sous l’angle du classisme. La protagoniste Tiana a une meilleur amie blanche, Charlotte, dont le père est l’homme le plus riche de la ville, et cela ne cause aucun problème. Alors que Pocahontas avait reçu de mauvaises critiques pour avoir pris beaucoup de libertés dans la manière de représenter le conflit entre autochtones et colons, peu de critiques ont reproché aux créateurs de La Princesse et la Grenouille de romancer le Nouvelle-Orléans des années 1920. Pourtant, La Princesse et la Grenouille donne une image encore plus fausse de l’Amérique de cette époque en dépeignant une amitié entre une Blanche et une Noire à une époque où les deux communautés vivaient séparément. Peut-être est-ce lié au fait que La Princesse et la Grenouille est un conte fictif et ne s’inspire pas d’une personne qui a existé? Mais le lieu et l’époque sont bien réels, tout comme la culture de jazz et le vodou. S’il s’agissait de rester dans la fiction, on n’aurait pu aussi bien placer l’histoire dans une ville imaginaire. Si on voulait éviter d’aborder le racisme, on aurait pu aussi enlever les personnages blancs et faire en sorte que l’histoire se déroule dans la communauté noire de la Nouvelle-Orléans. Pourquoi avoir voulu absolument que Tiana ait une amie blanche alors qu’il aurait été plus crédible que sa meilleure amie soit noire dans ce contexte ? Est-ce la crainte que le public ne se précipite pas dans les salles en l’absence de personnage principal blanc? Il est vrai que même dans les communautés noires, plusieurs n’auraient pas voulu que le conte mettant en scène la première princesse afro-américaine de Disney ait une trame raciale qui rompt avec le rêve qu’offre Disney, alors même que l’introduction du méchant sorcier vodou avait été critiquée. Il reste que malgré son succès, La Princesse et la Grenouille est le film qui a nettement moins rapporté d’argent que Rapunzel (Tangled) ou La Reine des Neiges (Frozen) et d’autres films du même genre.

 

En 2016, la thématique du racisme et de la discrimination semble traitée indirectement dans Zootopia, un univers uniquement peuplé d’animaux et dans lequel les proies et les prédateurs, jadis opposés pour les raisons biologiques que l’on connait, ont trouvé un moyen de vivre ensemble. Néanmoins, les tensions et les préjugés se perpétuent. Zootopia se veut une métaphore des villes occidentales multiculturelles où se côtoient une grande diversité de cultures et où chaque groupe entretiendrait des préjugés envers les autres. Mais dans Zootopia, les créateurs du film font en sorte qu’il soit impossible d’associer une ethnie, une culture, les Blancs ou les personnes racisées à la catégorie de proies ou à celle des prédateurs. Dans une première lecture du film, je me demandais si les prédateurs symbolisaient les Noirs en occident, mais si c’est le cas, la métaphore est fausse, considérant que dans l’Histoire moderne occidentale, les Blancs ont été les premiers à soumettre les Noirs en les amenant comme esclaves en Amérique, et que du point de vue des Noirs, il serait plus juste de voir les Blancs comme des prédateurs. On ne peut pas dire que les lapins sont les Blancs et les renards les Noirs; cela ne fonctionne tout simplement pas, précisément parce que ce n’est pas l’intention du film du tout. Même le personnage principal, une lapine, ne peut être transformé en une allégorie directe au sexisme puisqu’elle est certes discriminée, mais en raison du fait qu’elle est une proie; or, que les lapins mâles subiraient le même traitement qu’elle, mais par une femelle d’une autre espèce. Le film, volontairement et habilement, brouille les pistes pour rendre impossible tout lien de ce genre avec nos vraies sociétés. Le film utilise une métaphore très large afin que tout le monde puisse en avoir pour son argent, mais sème en même temps la confusion. En fin de compte, ce n’est pas un film qui traite du racisme puisqu’on ne peut pas vraiment en tirer une conclusion sur le fonctionnement de nos sociétés. Il serait plus juste de dire que le film traite de préjugés en générale que de racisme. Par ailleurs, dans Zootopia, il n’est pas évident de dire que les proies sont plus privilégiées que les prédateurs ou l’inverse.

 

En 2019, Disney aborde de façon boiteuse la thématique de la colonisation dans la Reine des Neiges 2, et 25 ans plus tard, Pocahontas n’a rien à envier par rapport au traitement du sujet. Les Northuldra qui représentent les indigènes de la Scandinavie sont présentés comme des êtres magiques qui vivent en harmonie avec la nature.  La thématique de la colonisation ne devient claire que vers le troisième acte du film. Une solution radicale est vite trouvée et le film se conclut par une paix avec les deux peuples sans qu’il y ait eu de véritable cheminement et de prise de conscience de l’enjeu. 25 ans après Pocahontas, le traitement du sujet n’a pas du tout évolué. D’ailleurs cette thématique de la colonisation a été ajoutée par Disney pour se fait pardonner par le peuple des Sami qui reprochait au studio d’avoir emprunté des éléments de leur culture sans toutefois collaborer avec eux. Ainsi, avec le deuxième volet, Disney a travaillé avec des Sami pour avoir leur approbation dans la manière de représenter ces autochtones de la Scandinavie. Force est de constater que les films dans les années 90 comme Pocahontas et le Bossu de Notre-Dame osaient plus aborder directement des enjeux sociohistoriques liés au racisme et à la colonisation.

Récemment, les studios ont donné vie à une histoire inspirée de la mythologie polynésienne, Moana. Ce film semble avoir été bien reçu à la fois par les Occidentaux et par les Polynésiens, même s’il y a eu quelques controverses au sujet de la représentation de Maui comme personnage obèse, alors que dans le mythe il est un jeune adolescent mince au corps sculpté. Et l’histoire de Maui elle-même a été quelque peu modifiée pour les besoins du film. Mais le message de fond ne change pas. Moana est appelée à suivre son cœur, à changer la tradition pour en choisir une plus ancienne, celle qui consiste à explorer les mers du Pacifique. La plus grande révolution a été de n’introduire aucune histoire d’amour quelle qu’elle soit. Le film reste toutefois américanisé dans ses valeurs. Plusieurs Polynésiens affirmant qu’une femme ne peut devenir chef selon leurs coutumes, alors que dans le film, le fait que Moana soit l’héritière n’est pas du tout un objet de conflit. Ce changement est très adapté à l’air du temps – et la trame narrative de la jeune femme qui ne peut accéder à une fonction hiérarchique a déjà été traitée mainte fois. Ainsi cela révèle encore comment les cultures ‘autres’ sont adaptées en fonction d’enjeux actuels.

 

Raya et le Dernier Raconte est le premier film du studio à représenter la culture sud-asiatique. Il raconte l’histoire d’une princesse guerrière nommée Raya qui est à la recherche du dernier Dragon, dans le but de ramener la paix dans un monde fictif appelé Kumandra, divisé en cinq régions différentes. Comme Moana, Raya ne semble pas mettre en scène une histoire d’amour. Et dans ce film, les femmes dominent l’affiche – Raya, sa rivale, et la dragonne. En 2021, mettre de l’avant des femmes fortes et des femmes racisées n’est plus autant un acte audacieux ou une révolution, si l’on considère qu’actuellement, c’est ce que le public demande. Disney a souvent mis de l’avant des femmes fortes et déterminées, à leur façon et selon l’époque de leur sortie, dès ses débuts avec Blanche-neige et sa belle-mère, avec Cendrillon ou les fées dans la Belle au Bois-dormant, mais surtout dans la période de la ‘renaissance de Disney’ dont je parle. La seule différence, au début, est qu’elles n’étaient pas forcément liées romantiquement à un homme, mais ce n’est pas spécialement ce qui les rend plus fortes que les personnages féminins des années 90. La vraie révolution, finalement, tient dans le fait qu’on n’est plus forcé de recourir à une trame romantique dans un film. Autant dans Pocahontas et dans Aladdin, l’histoire d’amour faisait partie de la trame narrative, autant dans Mulan, en 1998, l’histoire romantique semble superflue. Cet ajout semble fait pour consolider l’hétérosexualité du personnage. Mais à cette époque – et encore dans la plupart des films d’aujourd’hui –, la norme à Hollywood veut que les personnages principaux connaissent une histoire d’amour.

 

Pour conclure, Disney continue de nous faire voyager dans de nouvelles cultures, à des époques très distantes de la nôtre, en s’inspirant de leurs mythes pour ajouter des éléments fantastiques dans ses films. Disney prend plus de précautions pour ne pas offenser les gens qui s’identifient aux cultures représentées. Les personnages ne sont pas dessinés de manière caricaturale, les mœurs ne sont pas rabaissées. On fait attention à ce que le public ne ressorte pas avec des idées négatives sur le peuple représenté. Mais on constate qu’il n’y a pas un grand changement par rapport aux années 1990, dans le sens où le studio ne fait que suivre les tendances actuelles et parce que l’authenticité de la culture passe toujours au second plan. En fait, c’est le changement des mœurs de la société qui pousse les studios à progresser. Et quand il s’agis d’enjeux sociaux comme le racisme, le colonialisme, le studio demeure très timide. Comme on peut le constater dans l’actualité à travers les pays occidentaux, que ce soit en Amérique et en Europe, il demeure extrêmement difficile et même tabou d’aborder frontalement le racisme. À l’instar de Disney, je m’inspire moi aussi, de mythes et de civilisations anciennes pour donner libre cours à mon imagination; je me renseigne pour être à peu près juste dans ma représentation; mais au bout du compte, j’utilise également les symboles et le langage d’autres peuples ou cultures pour me raconter et pour partager ma vision du monde.

À propose de l’auteur

Laurent Maurice Lafontant est né en Haïti et a immigré au Québec en 2001. En 2008, il obtient son diplôme de l’Université Concordia à Montréal en Beaux-arts après une double majeure en études cinématographiques et études littéraires. Depuis 2008, Laurent s’implique dans la communauté LGBTQ+ en devenant intervenant au Gris-Montréal et bénévole à Arc-en-ciel d’Afrique, un organisme qui œuvrait pour les personnes LGBTQ+ des communautés noires. Il a réalisé deux courts documentaires sur la question de l’homosexualité au sein des communautés noires à Montréal: Être soi-même (2012) et Au delà des images (2014). Laurent est actuellement le président de la Fondation Massimadi, et le coordonnateur de l’évènement Massimadi: festival des films et des arts LGBTQ+ Afro. Laurent est également un écrivain qui a publié son premier roman « La dernière lumière de Terrexil » au printemps 2018.

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