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Hors scène, avant-scène – L’histoire de La Brique

Credits

Written By: Bianca Giulione

Edited By: Anthony Galati

Un samedi matin de septembre 2013, ceux d’entre nous qui considéraient La Brique comme un chez-soi savaient que c’était la fin. De jour, La Brique était toujours un espace de répétition et un studio, mais la nuit venue, elle accueillait également un nombre croissant de soirées organisées se terminant habituellement avec le lever du soleil ou l’arrivée de la police. Cette fois, ce fut plutôt le Service des incendies qui vint clore la soirée.

Des espaces comme La Brique (2005–2013) sont définis par le fait même qu’ils ne peuvent l’être. Dotée d’un petit studio d’enregistrement et de quelques pièces où installer de l’équipement, La Brique n’était ni un espace de répétition traditionnel ni un studio professionnel. Ce n’était pas un lieu où vivre, mais, en contrevenant aux restrictions de zonage, jusqu’à cinq résidents pouvaient y demeurer à la fois. Ce n’était pas non plus une salle événementielle, mais La Brique a accueilli des centaines d’événements durant ses huit années d’opération.

Au quatrième étage d’un immeuble situé au coin des rues Durocher et Beaubien, l’espace qui deviendrait bientôt La Brique a longtemps été occupé par des squatters, des entasseurs compulsifs et des junkies. En 2005, un groupe d’artistes francophones nouvellement arrivés de la ville de Québec a commencé à en faire la location. Comme l’explique le cofondateur Xarah Dion, La Brique a été lancée afin de « réunir toutes nos activités dans un espace collectif et alternatif — pour promouvoir la musique avant-gardiste et les formes d’art marginales ».

Les maisons de disque locales du début des années 2000 comme Constellation Records et Hotel2Tango, l’espace studio affilié, ont inspiré Xarah et son ami Asaël Robitaille à s’installer à Montréal. Outre leur intérêt pour l’art et les courants musicaux d’avant-garde du 20e siècle, ils étaient à la recherche d’un lieu où ils pourraient « partager leur créativité, leurs idéologies politiques et leurs ressources avec une collectivité plus nombreuse ». Xarah, Asaël et leurs amis Simon Delage et Jean-Philippe Girard ont emménagé ensemble. Ensemble, ils ont créé Léopard et moi, le groupe maison de La Brique — un projet qu’ils décrivent sur leur page Bandcamp comme du rock progressif.

Asaël Robitaille, 2007.

Beaucoup d’espaces DIY ont des appellations familières, quasi insensées. Hors contexte, le nom La Brique peut sembler inoffensif, mais son étymologie en dit long. Xarah, Simon et Asaël avaient tous les trois quitté l’école d’art La Fabrique et avaient choisi « La Brique » comme un coup de gueule à leur ancienne école, tout en faisant référence à l’expression « attendre avec une brique et un fanal ». Pour Simon, La Brique représentait un endroit où des personnes créatives pouvaient travailler sans restriction sur les projets de leurs choix et aller à contre-courant des scènes artistiques contemporaines. C’était « absolument tout ce dont nous avions besoin : un lieu où vivre, un espace de répétition, une salle de spectacle, un studio, un endroit où flâner, une cuisine commune, etc. » Xarah garde en mémoire l’unique numéro du magazine L’avant-scène qui regroupaient des écrits de la collection La Brique, ainsi que d’artistes et intellectuels tels le compositeur Gabriel Dharmoo et le philosophe Alexis Goupil.

En 2006, la musicienne montréalaise Marie Davidson a fait la connaissance de Xarah et Asaël à La Sala Rossa durant un spectacle de Léopard et moi. Ils l’ont invitée à venir assister à un concert « à la maison », proposition qui lui avait semblé plutôt curieuse à l’époque ! Marie est rapidement devenue une habituée de La Brique et y venait quotidiennement pour jouer de la musique et passer du temps avec le nombre croissant d’amis de résidents. Dans les premiers temps, l’équipement était communautaire, explique Marie, « On devait laisser notre équipement. » L’atmosphère était on ne peut plus propice à la collaboration. Marie et Xarah ont formé Les Momies de Palerme, une entité notoire dans le paysage expérimental de La Brique. Leurs prestations immersives mettaient de l’avant des synthétiseurs, de la guitare, du chant et du violon remastérisés, des projections vidéo, des accessoires et des costumes. Xarah a par la suite rencontré Pierre Guerrineau alors qu’ils travaillaient tous les deux dans un restaurant de fast-food où les membres de Léopard et moi se rejoignaient fréquemment. Avant que le groupe local Essaie Pas ne soit un duo connu pour ses chansons axées sur le synthétiseur et la batterie, il s’agissait plutôt d’un trio créé en 2008 par Pierre, Marie et Simon au son improvisé, psychédélique et rock.

Flyer pour Coolfest 7.

« L’année 2007 à Montréal représentait une époque où les néophytes et les vétérans du milieu de la musique donnaient des représentations à tant d’endroits dans la ville qu’il était impossible pour moi d’assister à chacun d’entres eux, sans compter le fait que je donnais moi-même de nombreux spectacles. J’avais l’habitude de dire que si les admirateurs ne venaient pas toujours nous voir, ce n’était pas parce qu’ils allaient à d’autres concerts, mais plutôt parce qu’ils en donnaient eux-mêmes. La musique weird convenait à tellement d’artistes et semblait si simple à interpréter que les admirateurs ont rapidement mis sur pied leur propre groupe. La scène musicale était si développée que des tonnes d’artistes locaux ne s’étaient jamais rencontrées ou n’avaient jamais joué ensemble — j’ai voulu aider à les rassembler. » — Blake Hargreaves, fondateur de Coolfest

Coolfest était un des premiers événements d’envergure à avoir lieu à La Brique et demeure à ce jour un des plus importants. Amorcée par un appel sur ligne fixe entre Blake et Xarah à La Brique, la première édition de décembre 2007 a mis en vedette 24 prestations de musiciens locaux, réunissant ainsi des artistes qui n’auraient autrement jamais fait connaissance. Pour les nombreux membres de la communauté de La Brique, Coolfest était un point culminant, la quintessence de la raison d’être de l’espace. Pour Simon, l’expérience a été « bouleversante, chaotique, sincère, hors de contrôle et absolument géniale. »

Coolfest 7 (nommé pour l’année de sa création) a réuni des francophones et des anglophones ouverts d’esprit et s’est montré digne d’être répété. Coolfest 8 regroupait 39 groupes et artistes en trois jours, un stand de vente, de la quadrophonie et deux scènes. La Brique représentait la toile de fond idéale pour les ambitieux efforts des organisateurs. Les archives de Coolfest le décrivent comme un «  festival cool réunissant musique et plaisirs sensoriels qui encourage une débauche saine et une exploration artistique intuitive. » Au dire de ses nombreux participants, la description vise dans le mille.

Edwin de Tonstartssbandht, 2009.

En 2009, les résidents de La Brique ont dû se défaire de leurs matelas à cause des pressions exercées par la ville d’Outremont en rapport aux affections industrielles de l’espace. Le fait que La Brique ne puisse plus servir de logement a poussé le collectif à accepter de nouveaux membres pour aider à payer l’ensemble du loyer. À la même époque, un espace semblable à La Brique nommé Lab Synthèse a fermé ses portes; Sebastian Cowan a donc choisi d’installer son studio d’enregistrement et espace bureau dans les locaux de La Brique. Sa présence a servi d’intermédiaire avec la communauté musicale expérimentale anglophone. Sebastien fait remarquer qu’il n’aurait jamais créé sa maison de disques Arbutus Records s’il n’avait pas d’abord connu La Brique; son expérience l’a motivé à prendre plus de risques créatifs avec les spectacles qu’il organisait et les groupes pour qui il créait des enregistrements.

L’année 2012, vouée à l’Apocalypse si on en croit le calendrier maya, fut particulièrement importante pour La Brique. Après l’inauguration de Coolfest XII,  comptant quatre concerts pour les solstices et les équinoxes de l’année 2012, il n’y avait plus aucun doute que La Brique était un endroit majeur pour les collaborations musicales entre anglophones et francophones. À l’époque, Pierre travaillait au mixage et au mastering de plusieurs groupes, dont notamment Dirty Beaches. Doldrums, Ramzi et Nacomi—  un heureux mélange de nord-américains vivant à Montréal— ont participé à un bon nombre de spectacles. Pour Teo Zamudio qui a quitté le Mexique en 2012 pour s’installer à Montréal, La Brique était la parfaite introduction à la métropole et sa scène musicale. C’est à La Brique qu’il a rencontré les artistes avec qui il a créé Nacomi et qu’il a par la suite fondé l’ancien label God Athletics.

 

 

Paul Trafford, 2013.

À l’époque, 80 $ par mois vous procuraient une clé pour entrer à La Brique et vous permettaient de venir jouer de la musique et d’y passer du temps à votre guise. Il s’est rapidement avéré difficile pour le comité administratif de maintenir un certain contrôle sur les allées et venues et de se garder à jour sur les paiements dus. Qui plus est, le loyer officiel de l’espace La Brique avait augmenté de mille dollars par mois. Caila Thompson-Hannant, l’interprète Mozart’s Sister, trouvait cette ouverture aux différents genres, styles et scènes artistiques extrêmement inspirante bien que son équipement et celui d’autres artistes ont été volés durant un spectacle. La Brique a organisé une levée de fond pour dédommager les victimes du vol, mais l’incident avait rompu le lien de confiance qui régnait chez les membres de la communauté.

Jean Bourbonnais a vécu dans un des studios à partir l’automne 2012 jusqu’à la fermeture de La Brique. Son implication remonte à 2010 lorsqu’il a organisé un festival montréalais de satanisme. Il souhaitait particulièrement que plus de musique électronique soit présentée à La Brique. Bien que plusieurs interprètes incorporaient déjà des synthétiseurs, des batteries et du Ableton depuis des années, les disques techno joués par sa nouvelle connaissance Paul Trafford ont su combler un vide créatif ressenti chez plusieurs membres de La Brique.

 

Forbidden Planet.

Le fondateur de Forbidden Planet Jurg Haller, Paul et autres DJs et producteurs invités ont fait vibrer les nuits estivales de 2013 jusqu’aux petites heures du matin, à coup de disques et de prestations en direct. Le comité administratif était partagé face à ces soirées : d’une part, elles contribuaient au loyer, mais de l’autre, les plaintes concernant le bruit qu’elles engendraient attiraient l’attention du Service des incendies et des forces de l’ordre. Au dire des amateurs de musique dance underground, les soirées Forbidden Planet de La Brique étaient du jamais vu à Montréal. Malheureusement, le déclenchement d’une alarme incendie durant une soirée Forbidden Planet est venu mettre fin au règne de La Brique sur la suite 402. Les responsables de La Brique avaient déjà été avertis que leurs événements bondés enfreignaient les règles de sécurité et le propriétaire de l’immeuble n’était malheureusement plus disposé à gérer les multiples complications entraînées par La Brique.

Nombreux sont ceux qui ont été touchés par la fermeture de La Brique. Aussi mélodramatique que cela puisse paraître, l’expérience était semblable à un deuil ou la perte d’une demeure dans un incendie. Nacomi s’est séparé, Teo raconte qu’il n’a plus beaucoup vu un bon nombre d’habitués, Marie et Pierre ont été expulsés de leur appartement à leur retour de tournée ; ces derniers avaient célébré leur mariage à La Brique quelques semaines plus tôt. De nombreux musiciens ont éprouvé des difficultés à trouver des nouveaux espaces de studio ; ceux qui ont réussi n’ont tout de même pas trouvé des lieux aussi inspirants que La Brique l’avait été. Pour plusieurs, le cœur de Montréal s’était éteint.

Il est impossible de décrire la valeur d’un lieu comme La Brique d’une manière assez légitime et néolibérale pour faire plaisir aux administrateurs culturels, mais voilà qui justifie précisément sa raison d’être et concrétise l’héritage qu’elle lègue. La Brique offrait un espace loin des idées préconçues des cerbères du financement des arts qui décide du genre de musique qui mérite d’être fait et entendu, loin des salles de spectacles aux frais exorbitants, loin de l’attitude laissez-faire des promoteurs, loin des endroits aux couvre-feux raisonnables. La Brique demeure la référence de ce dont les communautés créatives montréalaises sont capables et rien d’autre à ce jour n’aura été aussi avant-scène.

 

 

Des remerciements tout particuliers vont à Xarah Dion, Marie Davidson, Pierre Guerineau, Simon Delage, Blake Hargreaves, Jean Bourbonnais, Caila Thompson-Hannant et Sebastian Cowan pour avoir pris le temps de participer à ce reportage. Merci à tous ceux et celles qui ont fait de La Brique ce qu’elle était.

 

Photo Credits:

Feature Image – Ariane Paradis

Asaël Robitaille – Ariane Paradis

Coolfest 7Blake Hargreaves

Edwin – Unknown

Paul Trafford – Christopher Honeywell

Forbidden Planet – Christopher Honeywell

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