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In Spirit : Répandre l’être intérieur dans le monde

C’est souvent au moment d’un nouveau déménagement que je redécouvre mes livres. Chaque fois que je dois refaire ma bibliothèque, c’est un grand plaisir. Les déplacer, les réorganiser, c’est l’opportunité de poser un regard neuf sur les ouvrages qui s’y cachent. 

Les livres sont si importants. Les idées, grâce à l’écriture, sont conservées quelque part pour toujours. À une époque pas si lointaine internet n’existait pas, seuls les livres nous permettaient le partage des connaissances. Et puis, il y a ce contact sensoriel inégalable : l’odeur du papier et de l’encre, toucher les papiers, leurs textures, le corps participe pleinement à l’incorporation des idées, a l’intégration tactile de l’information reçue. 

Mais surtout, les mots ont une charge énergétique, comme si chaque lecture réactualise l’atmosphère du moment d’inspiration qui traverse l’auteur au moment de la rédaction.

 Les écrits des sages, surtout, ne doivent pas être lus ou étudiés avec une approche logique. Ils doivent être sentis. À chaque fois qu’une émotion monte à la lecture d’une phrase, il faut alors fermer le livre, pour s’y donner totalement sans que l’esprit puisse y mêler une quelconque compréhension ou une opinion. Ce qui est profond est accessible par l’intelligence émotionnelle, celle du cœur et du corps, pas par le mental.

Alors que je remplissais mes cartons de déménagement, Madame de Guyon  m’a happé avec son petit livre La Désapropriation, ou l’Abandonnement de tout soi-même. Ses mots sont comme du miel pour l’être, vivants résonnants de sagesse et de Vérité, vibrants d’une connexion avec ce qui est plus grand que nous, comme si cette femme avait percé les mystères de la vie. J’éprouve une forme de nostalgie ; cela fait plusieurs mois que je n’ai pas eu le temps de plonger dans mes lectures, ou l’opportunité de parcourir le monde pour donner les séminaires de yoga ou tout simplement de m’asseoir sur mon tapis pour pratiquer autant que je le voudrais. 

« Ce qui fait que si peu de personnes se sont abonnées à l’intérieur, c’est qu’on s’est faussement persuadé qu’il fallait quitter toutes sortes d’emplois pour s’adonner à l’intérieur. Il n’y a aucun emploi qui y soit contraire. Saint-Jean-Baptiste conseillait à chacun de se perfectionner en son état.

Il n’est donc pas nécessaire d’abandonner les emplois ni le monde pour être intérieur ; mais il faut tâcher de répandre l’intérieur dans le monde. » (Madame de Guyon)

Sur la même page, un post-it laissé là :

« Le maître de maison. On ne renonce pas au monde extérieur, on ne s’y absorbe seulement plus de la même manière lorsque l’intensité du monde intérieur devient si grande » (Abhinavagupta)

Les mots shivaïtes tantriques aux côtés des mots chrétiens résonnent de la même vérité, de la même expérience intérieure. La culture forme les mots, les codes de langage. Mais l’expérience intérieure ne connaît pas de différence.

Une nuit, je rêve qu’un renard vient me rendre visite. C’est un sage, il me parle et  partage son enseignement. Je suis tirée du rêve par les pleurs de mon bébé qui réclame à manger. Collé contre moi pendant que je lui donne la tétée, je me sens simultanément présente à l’allaitement et encore absorbée par la sensation du rêve. Les deux espaces se fondent l’un dans l’autre. Les mots de Madame de Guyon et d’Abhinavagupta résonnent dans ma chair et dans le  monde qui nous entoure. Je sens combien rien ne manque, ni les lectures, ni les voyages, ni la connexion avec les êtres, parce que finalement, tout est là. Émotion profonde.

La vie nous présente des périodes différentes. Certaines plus propices au regard intérieur, d’autres nous invitent à intégrer la matière. Chaque chapitre offre son lot de défis et d’apprentissages. Quoi qu’il en soit, tout est propice à intégrer le yoga — dans son sens profond et traditionnel — au cœur du quotidien et dans tous ses aspects.

Rien ne peut nous éloigner de l’essentiel si ce n’est nous-mêmes. Les personnes qui nous servent de guide au cours de notre existence ou les lectures nous permettent de découvrir le monde intérieur et nous donnent les outils pour le nourrir. Mais ils ne créent rien. Ils permettent parfois de réactiver cet espace, mais le travail est d’apprendre à y revenir sans que personne ne nous y amène, de s’y installer comme dans une assise stable. Le yoga prend alors tout son sens : parce que l’assise intérieure en son propre centre, et l’assise physique ont la même résonance. Les postures de yoga, ou asanas n’ont qu’un seul but qui n’est ni la santé ou le mieux-être, mais ce retour au monde intérieur qui nous habite, la réactualisation de cet espace interne. Le mot yoga dérive de la racine sanskrit «yug» qui signifie joindre, unir. Cette union est celle de la vie intérieure et extérieure, qui arrive lorsque chacune retrouve leur juste place l’une par rapport à l’autre. La vie externe n’empêche pas la vie interne, et vis-versa. Elles n’appartiennent pas à des mondes opposés, mais existent plutôt comme une réalité pleine qui prend la coloration de chaque personne, de chaque karma. Chacun possède la propre vérité de son chemin, et chaque action est juste pour celui qui l’engendre et la vit. Chacun porte sa propre vérité. Plus je m’abandonne à moi-même, plus l’espace interne va surgir de cette observation de soi quotidienne qui devient comme une sadhana qui ne s’arrête jamais.

 

Lexique

Madame de Guyon
«Jeanne-Marie Bouvier de La Motte, appelée couramment madame Guyon, née à Montargis le 13 avril 1648, morte à Blois le 9 juin 1717, est une mystique française, catholique et laïque.»

Abhinavagupta
«Abhinavagupta, né vers 950 et mort vers 1020, est un maître du shivaïsme du Cachemire, actif entre 975 et 1015. Il fut aussi maître en yoga, tantra, poétique, dramaturgie.»

À propos de l’auteur

Mariette Raina est titulaire d’une maîtrise en anthropologie. Depuis 2015, elle enseigne le yoga et la photographie qu’elle aborde comme des médiums autoréflexifs et introspectifs. Elle a rejoint l’équipe du Centre Never Apart en 2016 en tant que chroniqueuse mensuelle. Elle travaille également actuellement en tant que directrice de recherche pour le projet Age of Union de Dax Dasilva.

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