Noncompliant aka DJ Shiva: la techno hard avec du groove
Indianapolis n’est peut-être pas le premier endroit où votre esprit se tourne quand quelqu’un dit «techno», mais la «ceinture rouillée» du Midwest a favorisé un vrai dévouement au rave et du grand talent, comme Noncompliant aka DJ Shiva. Elle a grandi à quelques heures de voiture de Chicago et de Detroit, des villes qui ont fortement influencé son groove et ses rencontres avec d’autres DJs des années 90.
Noncompliant—depuis longtemps connue sous le nom de DJ Shiva —a été DJ pendant plus de 20 ans, et son son est toujours aussi frais. Elle a fait apporté un côté queer à la techno hard, sans pour autant perdre de vue le groove. Noncompliant est également une voix rafraîchissante via sa présence en ligne: elle ne craint pas les conversations sur l’aspet «travail» du DJing, la politique, le genre et les choses difficiles de l’industrie. Son nouveau surnom de DJ ne pourrait pas être un meilleur ajustement.
Nous nous sommes entretenues par courriel sur son métier, son parcours musical et son approche face au DJing et à la vie de tournée.
Je m’intéresse aux opportunités de mentorat dans la scène rave. Qui ont été vos principaux mentors et de quelle façon ont-ils contribué à votre cheminement?
Ce sont principalement mes pairs qui m’ont aidé à comprendre un tas de trucs au cours de mon parcours, alors qu’ils apprenaient ou vivaient des choses semblables. Des amis m’en ont appris sur le mixage, la production ou même la façon de voyager chaque fin de semaine tout en gardant un emploi à temps plein, et ce, sans perdre la raison (bien qu’aucun d’entre nous n’ait réellement trouvé comment!).
Comment votre travail de DJ affecte-t-il vos productions et vice versa, si c’est le cas?
J’approche toujours les choses en me demandant si ça me donne envie de me trémousser, mais je joue rarement mes morceaux quand je mixe… je ne sais pas ce que cela signifie. Avec un peu de chance, ça inspire quand même le trémoussement. En tant que DJ, j’aime le mouvement et la variation; c’est probablement l’élément qui se rejoint le plus. Mais j’aime également les pistes qui font travailler le DJ. Les morceaux n’ont pas à faire tout le travail, sinon, il suffit d’engager un jukebox.
Vous venez d’une tradition rave très américaine. Quelles différences remarquez-vous entre les foules européennes et nord-américaines (leurs réactions à vos sets, l’ambiance des soirées, les salles de spectacles, etc.)?
La différence flagrante est le nombre de salles vides dans lesquelles on peut se produire aux États-Unis (je ne peux pas encore me prononcer sur le Canada), simplement parce que le techno demeure très très marginal. Vous pouvez bien vous considérer comme une vedette, je peux trouver des coins où moins de dix personnes connaitront votre nom. Ça remet l’égo en place. Je considère qu’apprendre à se donner à fond devant seulement une dizaine de personnes est le baptême du feu du DJ du Midwest.
En revanche, on peut se trouver dans des villes perdues, à jouer pour des petites foules chaleureuses qui sont enthousiasmées par le seul fait qu’un événement ait lieu dans leur ville. C’est vraiment super quand ça arrive. J’ai récemment mixé une toute petite fête dans le sous-sol d’une maison, présentée pour et par des personnes queer de Bloomington en Indiana — une de mes meilleures soirées depuis des lustres. Ce genre de fêtes système D représente bien d’où je viens et remonte encore plus loin que mes racines rave, jusqu’à mes racines punk.
Selon vous, quel est le rôle social d’un DJ?
Je ne peux pas parler pour les autres. Chacun a ses propres raisons et motivations d’être DJ.
Personnellement, je VEUX donner du rythme à la soirée, mais je ne veux pas non plus qu’elle devienne une expression d’hédonisme bête et égoïste pendant trop longtemps. J’apprécie les zones autonomes temporaires, mais je pense que, trop souvent, on tombe dans le « pour moi, mais pas pour toi » : à savoir des gens qui pensent que nos espaces sont sûrs pour tout le monde, car eux-mêmes ne sont pas victimes d’harcèlement ou d’agression ou qu’ils ne sont pas intéressés à régler des problèmes parce que c’est le soi-disant prix de la liberté.
En somme, je ne peux pas vous dire quel est le rôle social d’un DJ; je peux simplement dire que mon rôle personnel est de jouer des morceaux cool, de promouvoir des espaces sûrs, de soutenir les femmes et les personnes marginalisées à faire partie du milieu musical comme elles le souhaitent et de faire de mon mieux pour pousser les espaces musicaux à être plus positifs et satisfaisants qu’une démesure hédoniste.
Êtes-vous capable de réconcilier votre amour du techno à votre identité queer? (Selon vous, y a-t-il de plus en plus d’événements queer ouverts à du techno plus hard?)
On constate certainement qu’il y a de plus en plus de soirées techno queer qui apparaissent ici et là — c’est une évolution extrêmement positive. Il y a de bons espaces en ligne qui se transforment en de petits rassemblements, comme le groupe Gays Hate Techno, mais au quotidien je suis tellement géographiquement isolé qu’il est facile pour moi de me sentir vraiment déconnecté de tout ça. Plusieurs de mes expériences dans des espaces queer se résument avec moi qui grince des dents pendant que les gens s’éclatent sur des remix de musique pop franchement nuls.
Je pense à la séparation entre le house et le techno; de nos jours, celle-ci paraît très marquée. Vous semblez être capable de vous inspirer des deux, en jouant par exemple du techno avec du house plus rapide. Que pensez-vous à ce sujet?
Dans les bons vieux jours du rave, j’habitais à trois heures et demie de route de Chicago et à quatre heures et demie de Détroit. Je passais non seulement du temps dans ces deux villes, mais il était assez facile de faire venir aux héros musicaux à Indianapolis pour jouer. J’ai eu droit au meilleur du house et du techno. Pour danser, j’ai besoin de musique qui fait bouger le derrière. Elle peut être dure à souhait, mais elle m’ennuiera très rapidement si on n’y trouve pas un léger élément funk. Même chose quand je mixe. Je peux y aller très fort quand j’en ai envie, mais je ressens quand même le besoin d’y maintenir un élément de groove. Il faut un certain groove et une certaine énergie, sinon le techno hard finit par ressembler à chant funèbre bruyant joué au fond d’une cave. Quel ennui !
On perd tant de variété lorsque les gens choisissent leur petit sous-genre et refusent de s’en écarter. L’accès à la musique digital me permet de trouver des morceaux tous styles confondus de manière beaucoup plus abordable qu’auparavant. Le fait d’animer une émission de radio pendant quatre ans m’a encouragé à approfondir cette recherche et m’a permis de faire jouer mes trouvailles parce que je détestais vraiment me répéter. Et bien sûr, la mode des sets plus longs donne dans cette optique. Ceci dit en règle générale, je penche quand même pour le tapant.
Dans une entrevue précédente, vous avez dit que Radio WUEV à Evansville avait été pour vous une source de nombreuses découvertes musicales. Comment découvrez-vous maintenant de la nouvelle musique?
Mon processus actuel est moins intense qu’il l’était lorsque je faisais l’émission de radio, mais ça m’a appris à garder l’oreille ouverte et d’être constamment à la recherche de nouveautés. Je trouve de la musique dans des baladodiffusions, des critiques, dans une liste de divers magasins de musique en ligne, des promos et parfois même dans les bacs de vinyles usagés des magasins de disques (j’ai toujours l’intention de convertir les albums que j’achète, mais je remets sans cesse à demain parce que je n’ai pas de tables tournantes).
Je travaille en informatique, ce qui me donne beaucoup de latitude pour écouter des mix, parcourir des promos et acheter de la musique parce que je peux mettre des écouteurs et travailler pendant que la musique joue. Si une piste arrive à attirer mon attention pendant que je travaille, c’est assez bien pour que je la mette dans mon panier d’achats. Je fais confiance à mes oreilles et à mon instinct; si un morceau me donne une sale moue pendant que je travaille, il sera parfait pour mes mix.
— Toutes les photos sont pas Seze Devres —
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