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Porte tournante

Écrit par

Iman M’Fah-Traoré
octobre 7th, 2021

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Non linéaire. Cylindrique. Abrogée. Permise. Circulaire et commune dans sa banalité, la dépendance est un être générationnel. Elle naît en nous, influencée par des chemins mi-choisis, mi-imposés par soi et d’autres. Transmise par le père, la grand-mère, les oncles et les frères et sœurs à l’enfant qui se trouve dans tous les adultes. Inquiets et craintifs, cherchant à défaire plus que notre propre couette, nous reproduisons, imitons et extrapolons ce que nous avons absorbé dans les années précédant le développement d’un niveau de conscience tangible. Nous incarnons ce que nous savons sans tenir compte de la capacité à faire mieux.

Un enfant est le produit de son environnement. Les miroirs doivent être brisés avant d’être réutilisés, reconstruits. Différenciation et émancipation. Verre cassé, chats noirs, malchance. Le cycle est inscrit bien au-delà de nos capacités. On porte en soi les traumatismes et les luttes intergénérationnelles. La lutte pour sa personne est une bataille en aval. Comment peut-on se débarrasser de la douleur des autres? Se recentrer sur un chemin choisi? Le fait de choisir une voie n’est-il pas en soi prédéterminé par les voies choisies auparavant? Être malgré, être parce que.

La bataille n’est pas seulement la mienne, mais le choix d’en sortir victorieuse m’appartient.

Comprendre et revenir en arrière est déjà un travail considérable, l’analyse par la thérapie et la prise de conscience du rôle de l’inconscient peut constituer la première étape.

Deuxième étape, il faut développer des outils.

Troisième étape, il faut maintenir le cap dans des eaux mouvementées, car sinon, c’est le chavirement. Ah, il y a une autre spirale. L’océan tourbillonne et aspire. En flottant plus qu’en se noyant sous des niveaux sécuritaires.

La conceptualisation de la différence entre un verre et douze est héritée. Mon père considère ce deuxième chiffre comme inoffensif et le premier comme acceptable. Au cours d’une soirée? Au cours d’une semaine? Autour d’une table et d’une collation avec des amis? Seul, dans les profondeurs de son esprit?

Tout cela est relatif, mais néanmoins relié à des maladies graves et à des décès prématurés. Les risques sont aussi élevés que les sensations sont agréables. Parfois, ça me pousse à me demander si croire en un dieu est utile. Se rapporter à un élément supérieur semblable à une âme. Être responsable devant un autre être. Cela semble agréable. Et également mouvementé côté déculpabilisation potentielle. Je veux être responsable envers moi-même. Dans quelle mesure je me permets d’être et dans quelle mesure je pousse trop fort, je vais trop loin, je force quelque chose qui n’est pas prêt à éclater.

Étape. Par. Étape.

À quel point l’étape est-elle simple et quel est l’écart entre ce que vous êtes et ce que vous voulez être ? Comme il peut sembler simple d’ouvrir la porte de votre inconscient et de dire…

« C’est vous, la personne qui résout tous les problèmes?

— Je suis simplement ton assistant, viens t’asseoir dans ton bureau.

— Je veux savoir ce qui me fait souffrir, ce qui me perturbe, pourquoi je suis ce que je suis.

— C’est simple, mets ça, passe en revue tous tes souvenirs, et tiens ça.

— Qu’est-ce que c’est?

— La relativité…. Elle te permettra de détenir plus d’intelligence pour comprendre plus loin que la vision et la pensée, de saisir plusieurs vérités à la fois, de renoncer au superflu, de te souvenir du bénéfique.

— Je suis confuse.  

— Je sais. Écoute et suis mes conseils, bientôt tu ne le seras plus. »

Je suis limitée par les mots qui me sont accessibles. Limitée dans ma capacité à exprimer les complexités de ce que je ressens. Je crois au pouvoir de la conversation, de la discussion, je crois en son pouvoir de débloquer certains maux que nous ne pouvons pas saisir clairement, mais que nous pouvons pourtant effleurer. La thérapie et toutes les clés qu’elle contient nécessitent une main qui ne glisse pas. Mes mains ont été graissées. Les pressentant parfois comme impossibles à laver, il m’est arrivé de les essuyer, de tenir le mouchoir en papier pendant que j’étirais un coude pour m’engager timidement dans le désir d’aller mieux.

On dit qu’admettre que l’on a un problème est la première étape. L’étape 1 ne serait-elle pas plutôt le désir de commencer à travailler activement à la résolution du problème en question?

Première étape, développer l’envie de faire des efforts.

Le confort se trouve dans l’habitude. L’intensité de l’effrayant périple que la première étape exige peut être plus grande que celle du rêve de l’endroit où elle mènera : un état plus stable et plus heureux. Le confort dans la certitude.

« Je suis certaine d’avoir une propension à la dépendance.

— N’es-tu pas certaine d’être une personne plus épanouie si tu t’efforçais de laisser cela derrière toi?

— Comment puis-je être certaine? Je ne l’ai pas vécu.

— N’es-tu pas certaine de vouloir faire le grand saut?

— Comment puis-je l’être? Je n’en connais pas les conséquences.

— Est-ce que ta peur est conditionnée par ta certitude que ce qui te fait souffrir est la cause et non le symptôme?

— Arrête. »

C’est peut-être ce qu’on veut dire quand on dit que la première étape consiste à admettre que l’on a un problème. Peut-être que cela fait moins référence au problème de la toxicomanie qu’à sa véritable cause.

L’étape 1 serait d’accepter la chose troublante qui nous pousse à consommer des substances pour la réprimer, la cacher, la fuir.

Par conséquent, l’étape 2 peut être de courir vers elle, les yeux fermés, en criant à pleine bouche, comme on le ferait si son seul salut était de sauter d’un immeuble en feu sans se soucier de ce qui se trouve en dessous.

Cette étape correspondrait-elle à la transition d’une plus grande intensité de la peur de rester dans l’accoutumance vers un besoin ardent d’accéder à une existence préférable ? Cette démarche repose sur la conviction qu’une telle existence elle est réalisable et supérieure à la nature de son existence actuelle, basée sur la survie et digne d’être exfoliée.

 La question demeure : où se trouve cette certitude et qu’est-ce qui la rend plus difficile à rechercher? La continuité générationnelle et la reproduction du vice semblent l’enfouir encore plus profondément. L’absence de modèles variés renforce naturellement l’enfouissement en asséchant le sol qui la recouvre. La terre craquelée et la rareté du potentiel n’offrent aucune autre option.

Un enfant socialisé dans le dysfonctionnement et devenu adulte doit être sensibilisé à l’existence de la fonctionnalité, surtout si l’on considère le monde dans lequel nous vivons, la proximité des humains, la pluralité des voix, des histoires, réelles et fictives, diffusées au-delà de la bouche à l’oreille et sur les écrans et les appareils. Cependant, ce même adulte peut avoir du mal à réaliser son propre rôle dans l’obtention de cette fonctionnalité.

Appliquons maintenant cette abstraction à la nature héréditaire de la dépendance, notamment sa tendance à se dupliquer jusqu’à la multiplication et qui nous éloigne encore plus de la facilité à nous en débarrasser.

L’importance de la thérapie et de l’analyse des causes profondes des dépendances est indéniablement bénéfique. Nous nous trouvons dans une impasse lorsque nous nous tournons vers les besoins pharmaceutiques de masse qui consistent à bourrer nos enfants de médicaments, soi-disant en raison d’un déséquilibre chimique dans leur esprit, ce qui est scientifiquement impossible à tester. Ne vous méprenez pas, je comprends la valeur de la médecine et du traitement des maladies par les médicaments nécessaires, mais certaines choses sont trop répandues, comme la paresse et le fait d’engourdir plutôt que de traiter.

Lorsqu’il s’agit de découvrir et de cibler la source de la maladie plutôt que son symptôme, la toxicomanie, n’est-il pas contre-productif de remplacer une dépendance par une autre ?

Même si elle est prescrite pour des raisons médiales, la dépendance ne reste-t-elle pas la même dans les deux cas en ce qui concerne l’incapacité de fonctionner sans une substance spécifique, surtout lorsqu’elle est prescrite à des cerveaux encore en développement, des jeunes de moins de 25 ans? Ne devrions-nous pas permettre à nos jeunes esprits d’essayer de développer de véritables outils de santé mentale avant de les traiter avec des médicaments?

En France, si une personne a besoin de médicaments antidépresseurs, elle aura recours à un psychiatre. En Amérique, si une personne a besoin de la même chose, elle verra à la fois un thérapeute et un psychiatre. Le capitalisme manque de modération, car il privilégie l’accumulation. L’application des lois du capitalisme à la santé mentale pose-t-elle un problème?

Si l’on considère que les antidépresseurs ne sont qu’un pansement pour de tels états d’esprit, la thérapie, si elle est bien conduite, peut aider à développer des outils permettant de faire face aux difficultés, de les gérer et de les surmonter. Pouvons-nous transformer la porte tournante des médicaments en pratiques holistiques? 

À propos de l’auteure

Iman M’Fah-Traoré est une Franco-New yorkaise. Née à Paris, elle a déménagé à New York dans sa jeunesse et s’est spécialisée en politique et gouvernance à l’université Ryerson de Toronto. Elle fréquente actuellement la New School for Global Studies à New York. L’écrivaine ivoirienne et brésilienne est impliquée au sein de The Womanity Project, une organisation à but non lucratif qui vise à promouvoir l’égalité des genres par des ateliers innovants. Elle travaille actuellement sur la publication de son premier livre de poésie. Ses écrits sont spécialisés dans les domaines suivants : LGBTQ+, deuil et traumatisme, poésie et essais sur la race et l’ethnicité.

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