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Ramboys, dieux à cornes et sorciers queer

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Michael Dudeck

« Lorsque le premier bébé rit pour la première fois,
son rire se brisa en un million de morceaux,
et ils sautèrent un peu partout.
Ce fut l’origine des fées. »
– J.M. Barrie, Peter Pan

C’était un soir humide de juillet en 1994 et j’avais dix ans. Épuisé après une journée remplie de balades en vélo, de petits incendies et de toutes les autres choses qui occupent un jeune nerd dans les banlieues du nord de Winnipeg, je suis rentré au bungalow de ma famille, ai engouffré mon repas et suis descendu dans le monde secret de mon sous-sol non aménagé. Là, j’ai rampé à travers le labyrinthe d’un temple que j’avais confectionné à l’aide de draps, de couvertures, de vieux meubles et de valises. Rampé jusqu’à mon sanctuaire où un petit téléviseur couleur régnait sur un autel constitué de vieilles encyclopédies. Là, je me préparais à mon initiation à l’ordre queer des sorciers de l’art à travers le portail d’un documentaire télévisé dont j’avais encerclé le titre dans le TV Guide de ma mère.

Je venais tout juste de terminer la cinquième année et j’avais commencé à comprendre que j’étais destiné à devenir artiste. D’aussi loin que je me rappelle, je dessinais, sculptais et bâtissais des mondes fantaisistes pour ensuite créer des rituels et des spectacles privés dont j’étais le seul spectateur dans la sainteté de mon sanctuaire souterrain. Le fantastique, la science-fiction et les mythes, provenant de romans, de bandes dessinées, de la télévision, des films, de jeux vidéos, de la musique, du théâtre et de l’art, ont animé mon univers imaginaire.

Je me suis mis à développer des béguins pour certains garçons, surtout des sportifs qui n’avaient peu ou pas d’instinct créatif ou de pouvoir d’imagination. Au départ, ils m’avaient demander de les aider à illustrer des devoirs de livres de contes, mais une fois témoins de mes talents de composition, ils m’ont tous demandé de les dessiner comme ils s’imaginaient — en mieux — avec des coupes de cheveux inusitées, des tatouages, des abdominaux définis. J’avais la capacité unique de pouvoir les transformer en adonis musclés, en superhéros et en lutteurs avec mes mains, comme par magie. J’ai rehaussé mon statut social dans la jungle des cours d’école en apprenant à animer les fantasmes des garçons, ce qui par le fait même a déclenché les fantasmes que ma puberté n’avait que commencé à former. Ceci est devenu mon point d’accès pour pénétrer le fossé sexospécifique qui existait à l’époque entre les garçons et les filles (et les garçons efféminés). L’art m’a permis d’intégrer mes désirs les plus profonds à mon moi créatif et d’en faire des composantes actives de ma réalité plutôt que de les garder cachés parmi les monstres de mon « placard ». Ce fut également mes premiers pas de sorcier queer : la transformation du fantastique en tangible, l’ancrage de l’imaginaire dans le réel, grâce à la magie et les mystères de l’art.

L’épisode que j’avais encerclé et pour lequel je m’étais cérémonieusement préparé provenait d’une série télévisée canadienne hebdomadaire intitulée Adrienne Clarkson Presents, durant laquelle Adrienne Clarkson, ancienne gouverneure générale du Canada, explorait la vie et les œuvres d’artistes, d’architectes, d’écrivains et de visionnaires célèbres dans le but d’élargir le vocabulaire culturel d’un Canada insulaire avant l’invention de l’internet. Je me souviens avoir regardé avec ma grand-mère un épisode qui portait sur Vincent Van Gogh.

Mais cet épisode allait être différent. Je le ressentais jusque dans mes os queer, tel un chien qui prédit un tremblement de terre. Le sujet allait être un artiste canadien contemporain et ouvertement homosexuel, affublé d’un nom digne d’un sorcier et qui travaillait à des œuvres basées sur l’élaboration d’un mythe visuel, cultuel et ouvertement sexualisé. L’épisode était intitulé Evergon : Making Homo Rococo et semblait réunir toutes les facettes discordantes de mon développement — chaque mot du titre illuminait des synapses dans mon imagination, comme des hiéroglyphes dont je voyais la forme sans comprendre la signification.

En regardant à nouveau cet artéfact média de quarante-quatre minutes, vingt-quatre ans après mon premier visionnement dans mon temple souterrain, je suis stupéfié devant cette capsule témoin d’archéologique médiatique, mais également devant une rare documentation de l’insertion de l’art queer dans une scène dominante nettement différente. Rendons à chacun son dû, Clarkson n’a pas manqué de mettre en relief le caractère sexuel explicite des œuvres d’Evergon, décrivant sa sexualité ouverte et sa pratique, et en présentant une entrevue entre sa mère et lui, présage des œuvres à venir pour lesquelles il deviendrait connu, soit les photographies nues de sa mère.

Margaret y discutait de son cheminement d’acceptation du style de vie et de la sexualité de son fils, se dénouant par sa participation volontaire à la mythologie des Ramboys créée par Evergon en posant comme la déesse de la sagesse Ramba Mama. Je réfléchis à présent aux ondes sismiques qu’a provoqué la vision d’un artiste ouvertement homosexuel soutenu publiquement par sa mère, alors qu’ils discutaient de leurs chemins de transformation et d’acceptation. Je réfléchis à la manière dont cet épisode allait inspirer et façonner mon propre coming out — un rite de passage et un pèlerinage primordiaux à presque toutes les mythologies queer.

Le documentaire suit Evergon et sa bande de garçons rebelles alors qu’ils entreprennent une expédition rituelle de Montréal à Boston, en passant par New York, afin d’effectuer une fouille archéologique fictive visant à localiser des artéfacts sacrés provenant de la culture inventée de toute pièce des Ramboys. Dès leur arrivée à New York, la bande est filmée parcourant des magasins de costumes et même un atelier de taxidermie où une tête de cerf très particulière (incurvée vers l’intérieur) est extraite d’un troupeau de trophées muraux. La magie de l’empreinte mentale est épatante : cet archétype à cornes, la pièce maîtresse du photoshoot filmé (qui sera ensuite utilisé à maintes reprises dans diverses œuvres des Ramboys), s’avère être le même artéfact avec lequel j’ai choisi d’apparaître lors de mon premier photoshoot collaboratif avec Evergon en 2014. Qui plus est, la narration fantastique de Clarkson suggère que la tête de cerf peut très bien s’avérer être « les restes d’une tribu rivale perdue » — et ma mythologie queer personnelle, centrée autour d’un culte voué à un cerf messianique aux genres multiples, réalise métaphoriquement cette prophétie.

Le choix de l’artiste pour le nom Evergon, sa barbe tressée et son rôle de professeur et mentor à de jeunes artistes queer sculptant leurs propres univers l’ont aligné dans mon jeune esprit à d’autres sorciers magiques naviguant les labyrinthes du fantastique (Merlin de la légende arthurienne, Gandalf de Tolkien, Sparrowhawk de Le Guin et Taliesin de Zimmer-Bradley). Evergon aurait reçu ce surnom de la part d’un ami; ne trahissant ni genre ni nationalité, ce pseudonyme décrit savamment « les propriétés fluides et non résolues de l’identité : ever gone. »

Toutefois, l’identité d’Evergon ne se limite pas à une seule entité — en vue du discours grandissant sur la multiplicité et l’identité et la pratique typiquement queer d’inventer des personnages et des identités dans la veine du drag — l’artiste utilisait trois autres avatars interchangeables, chacun doté de caractéristiques uniques et d’agendas artistiques lui étant propre. Ces entités incluent Egon Brut — un collecteur quinquagénaire friand d’œuvres homoérotiques, Celluloso Evergoni — l’artiste homorococo, homobaroque, homo haute-renaissance qui fait le pont entre la pratique contemporaine de la photographie et la peinture et la sculpture – et l’unique avatar féminin Eve R. Gonzales, décrite par Evergon comme « une octogénaire espagnole avec des cataractes et des pieds endoloris » qui déambule dans des cimetières et photographie principalement des statues d’hommes, des natures mortes et des objets fétichistes (et selon la narration accrocheuse de Clarkson, « injecte la sève du sexe dans les branches sèches de l’histoire de l’art ».)

Ici, la procréation s’adapte à l’expérience queer par le biais d’une progéniture d’avatars et la fornication de ces fictions insémine et reproduit une série d’œuvres d’art et de mondes d’art. De la même manière dont nous attribuons des caractéristiques essentielles aux dieux de l’Antiquité qui personnifient des qualités archétypes (ex : Athéna déesse de la Guerre et de la Sagesse ou Apollon dieu de la Lumière et de la Raison), le panthéon d’Evergon représente une base de données psychologique sur laquelle l’artiste s’appuie afin d’exprimer différentes perspectives provenant du même phénomène en se servant d’une identité fictive pour articuler les contradictions et styliser les différences.

Le projet des Ramboys a d’emblée été envisagé par l’artiste comme une collaboration entre deux avatars, soit Egon Brut et Celluloso Evergoni. L’artiste décrit ainsi la cosmogonie du commencement des Ramboys :

«  Au début de l’année 1990, lors d’une marche dans les parcs des zones riveraines de la ville de Chicago… Là, on retrouvait en tag sur les murs des indications de territoires raciaux de garçons prostitués, c.-à-d. B Boys (garçons noirs), Jew Boys (garçons juifs), Spic Boys (garçons latinos), etc. Nous (Egon et Celluloso) nous sommes mis à réfléchir à cette question en lien avec le roman Les Garçons sauvages de William Boroughs et à Sa Majesté des mouches de William Golding… Nous avions des masques de béliers à l’atelier qui avaient servi à des œuvres antérieures. En servant du bélier comme symbole universel de la “promiscuité masculine”, nous avons commencé à imaginer une race mythologique de Ramboys. » (ndr : traduit de l’anglais)

C’est cette intégration de comportements et de rituels de la vie queer contemporaine qui a poussé Evergon à non seulement fantasmer ou fétichiser, mais également à « mythologiser ». Baudelaire a écrit que « le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté » et la grande dame de la science-fiction Ursula Le Guin a allégué qu’un « adulte créatif est un enfant qui a survécu ». Tout au long du documentaire de Clarkson, Evergon discute de l’importance du jeu dans son processus créatif, comparant ce qu’il fait à des jeux d’enfants adultes.

Jouer à faire semblant, le précurseur du fantasme, occupe une grande place dans la vie de tout enfant, mais tout particulièrement dans celle d’un enfant queer, dont l’élément féérique, le sens du jeu et la promiscuité persistent fréquemment à l’âge adulte. En grandissant dans un monde hétéropatriarcal, les jeunes queer doivent habituellement parfaire leur développement sexuel dans les enceintes sûres et fictives de l’imaginaire. Cet élément d’imagination projetée, imprégnée de désir sexuel colore le développement de la sexualité par la promotion privée, et parfois isolante, de perversions. Que ce soit dans l’arène fantastique de la boîte de nuit (dont on parle souvent comme d’une église gaie) ou dans le monde artistique où chacun est homosexuel sous preuve du contraire, les artistes queer réalisant des œuvres manifestement queer se voient ainsi créer des contes de fées qui racontent des histoires queer par l’entremise du jeu, de l’interprétation et de la production d’objets d’art fétichistes.

Alors qu’Evergon cite Les Garçons sauvages de Burroughs et Sa Majesté des mouches de Golding en tant que précurseurs fictifs des Ramboys, mon point de référence le plus proche du haut de mes dix ans était les Garçons perdus du Pays imaginaire et les aventures de Peter Pan. Aujourd’hui sujet à un examen postcolonial pertinent dû à sa représentation odieuse des populations autochtones, le récit relate néanmoins les aventures et mésaventures d’une secte de garçons dans un monde gouverné par l’imaginaire. Peter Pan, le protagoniste de l’histoire (interprété avec une certaine connotation queer par l’actrice Mary Martin dans la version musicale de 1960), porte une ascendance mythologique au dieu grec Pan qu’on retrouve souvent représenté avec des cornes comme les Ramboys, avec un large phallus en érection, en pleine relation sexuelle avec des nymphes ou des boucs et jouant ou batifolant dans des champs, des vallées ou des boisés.

Dans son livre Another Mother Tongue : Gay Words, Gay Worlds datant de 1984, l’écrivaine Judy Grahn formule une hypothèse sur l’origine de l’expression anglophone horny utilisée pour décrire l’excitation sexuelle. Judy Grahn suggère que ce mot pourrait provenir du dieu celte à cornes Cernunnos, « notamment lié à la sexualité masculine et fréquemment représenté avec un sexe dur. De plus, cette érection survient lorsqu’il est dans la présence d’hommes et non de femmes. » Les néo-païens modernes ont ressuscité cet archétype comme un totem de masculinité et de sexualité, ce qui cadre avec l’appropriation d’Evergon du bélier comme symbole de promiscuité masculine. L’écrivaine spécule sur l’association étymologique d’un nombre d’expressions queer, comme bulldyke venant de la reine guerrière celte Boudicca et les mots faggot, flaming et poof, associés dans la langue anglaise à l’homosexualité chez les hommes, dérivant du mythe de l’homme efféminé qui dérobe un fagot de bois enflammé à une déesse et apporte la civilisation à l’humanité.

Je soupçonne que tandis qu’Egon Brut s’est concentré sur les associations symboliques sexuelles et masculines du bélier, l’intérêt que porte Celluloso Evergoni, pour l’histoire ancienne l’a peut-être poussé à imaginer que la trajectoire du jeune homme à corne remonte encore bien plus loin dans le temps. Dans la Rome et la Grèce antiques, divers cultes anciens utilisaient le motif iconographique du kriophorous ou porteur de bélier pour représenter un adolescent debout portant un bélier sur ses épaules. Dans son manuscrit Descriptions de la Grèce datant du deuxième siècle, l’écrivain et érudit Pausanias relate une histoire dans laquelle Hermès le messager des dieux :

« détourna une peste de la ville en portant un bélier autour des murs;
pour commémorer cet acte, Calamis fit une statue d’Hermès portant un bélier sur ses épaules. Le jeune (homme) reconnu comme étant le plus beau marche autour des murs lors du festin d’Hermès, portant un bélier sur ses épaules.. » (ndr : traduit de l’anglais)

Fait ironique, cette image classique sera par la suite dépaïennisée (donc par le fait même désexualisée) et transformée en l’iconographie chrétienne du Bon berger où le Christ remplace le jeune éphèbe et que le bélier se voit décorné et transformé en agneau, symbole des foules innocentes et douces auxquelles le Christ prêchait. Les mythologies sont parfois plus dévergondées que leurs sujets.

On ne peut contempler les Ramboys, avec leurs séduisants jeux de lumière sur Polaroid, ou toutes autres œuvres homorococo, homobaroque ou homohaute-renaissance attribuées à Celluloso Evergoni, sans tenir compte de leur relation à l’illustre queer Le Caravage. Dans un contre-jeu ironique de la transformation mythologique mentionnée ci-dessus (alors que le bélier païen devient l’agneau chrétien), l’œuvre Saint-Jean-Baptiste du Caravage datant de 1602 dépeint le saint comme un jeune éphèbe nu enlaçant un bélier. Cette association symbolique mystifie les historiens d’art, l’archétype du bélier n’ayant vraisemblablement pas de lien symbolique au saint, ce dernier étant fréquemment représenté avec un agneau pour faire référence à son annonce de la venue du Sauveur.

Une des rares protagonistes féminines de l’histoire de Peter Pan est Wendy qui, chargée de prendre soin de ses frères adolescents, se voit entraînée au Pays imaginaire et devient une figure maternelle pour la communauté exclusivement masculine des Garçons perdus. Ces derniers la rejettent d’abord pour ensuite démontrer une soif de force vitale maternelle, le besoin d’être apaisés et réconfortés, le désir de se faire lire des histoires jusqu’à ce qu’ils s’endorment. Evergon explique que lorsqu’il élaborait le culte des Ramboys, il souhaitait « que les garçons aient une sorte de déesse de la sagesse qui ne soit pas paternelle. Je voulais qu’elle ne soit en aucun cas de l’ordre masculin; la solution était donc de choisir le féminin. » Pour cela, il a fait appel à sa mère Margaret pour incarner le rôle de la RamBa Mama, ce qui, par le fait même, ancre le culte à une trajectoire historique de l’identité queer remontant jusqu’au Proche-Orient ancien.

Les cultes voués à la mère universelle, émergeant d’abord en Phrygie pour ensuite se propager à travers le monde antique, étaient souvent dotés d’un ordre de prêtes féminisés (qui peuvent avoir été des hiérodules, soit des prostitués sacrés, qui se livraient à des rites sexuels avec d’autres hommes dans le cadre d’un culte voué à leurs déesses). Un grand nombre de ces ordres exigeaient que leurs initiés aient d’abord recours à la castration rituelle. Cela ressemble étrangement à la pratique drag qui veut que l’interprète replie son sexe et le colle à ses fesses, ainsi qu’à l’émergence contemporaine de la chirurgie de réattribution sexuelle qui, en ce qui concerne l’historiographie queer, peut être lue comme une pratique actuelle de castration rituelle queer.

Cette lignée de prêtres eunuques inclut les Galles du culte phyrigien de Cybèle, les megabysos du culte d’Atémis à Éphèse, les Corybantes, le culte d’Hécate à Lagina en Carie, ainsi que les cultes syncrétiques gréco-orientaux d’Aphrodite et d’Astarté. On les décrit fréquemment affublés d’une longue chevelure bouclée efféminée, de maquillage et des bijoux chargés, dansant dans les rues en tintant des cymbales et frappant sur des tambours en frénésie extatique autour d’iconographies de la grande Mère. Dans la Cité de Dieu, œuvre connue de saint Augustin, l’évêque d’Hipponne d’interpréter la signification religieuse et mythologique du culte de l’eunuque :

« La mutilation de ces Galles consacrés au service de cette grande déesse a pour but d’indiquer que, pour obtenir la semence, il faut cultiver la terre, quand eux-mêmes s’en sont privés précisément à cause du service qu’ils lui rendent? Acquièrent-ils, en s’attachant à cette déesse, une semence qu’ils n’ont pas; ou plutôt ne perdent-ils pas celle qu’ils ont? »

Bien que les Ramboys ne soient fort probablement pas castrés (ils sont en fait représentés avec une masculinité phallique et athlétique), ils gravitent métaphoriquement autour de leur déesse de la sagesse et sont également « dépourvus de semences ». Evergon a cherché à aborder ce problème à travers la pensée mythologique, l’inscription visuelle d’une méthode alternative de procréation : l’enlèvement de bébés humains au clair de lune.

Cet enlèvement et éducation « mythographiques » font également référence à l’ancienne pratique hellénique de pédérastie selon laquelle un homme adulte (erastês) servait de mentor à un garçon plus jeune (erômenos) dans toutes les facettes de la vie y compris, de manière controversée, en ce qui avait trait au sexe et à la sexualité. Lorsque le garçon atteignait l’âge adulte, il choisissait à son tour un erômenos; le cycle d’enseignement sexuel et spirituel répété à nouveau. Evergon utilise cette métaphore afin d’aborder les controverses liées à ce comportement à notre époque, et peut-être plus important encore, pour confronter les craintes toujours présentes dans les débats modernes au sujet de l’homosexualité et du soi-disant agenda homosexuel qui chercherait à dérober de jeunes innocents de leurs enceintes hétérosexuelles et de les transformer en personnes queer au moyen de diverses perversions et intoxications.

Dans le documentaire de Clarkson et durant une entrevue vidéo réalisée avec l’artiste dans les îles Canaries, Evergon affirme qu’il voit la photographie comme une technologie de fiction, plutôt qu’un outil servant à reproduire le réel. Evergon, Celluloso Evergoni, Egon Brut et Eve R. Gonzales représentent une orgie continuelle de fictions édifiées l’une sur l’autre pour créer une stratification de jeu, de sexe, de séduction et de mythe.

Le mot fiction tire son origine du latin fictio qui signifie « façonner », puis « imaginer, forger de toutes pièces ». Ceci montre le rôle central de l’art, et de l’artifice, à la pratique magique de matérialiser l’imaginaire. À dix ans, la réification que préconise Evergon m’a porté à comprendre que mes talents et mes désirs pouvaient s’entrecroiser et qu’une fois réunis, pouvaient produire une alchimie capable de traverser le temps et l’espace. C’est précisément ce que sont les Ramboys : une culture queer ancienne, extraite des lieux de drague urbaine du Jardin des délices de l’imaginaire d’Evergon.

Ainsi, l’exposition Ramboys : A Bookless Novel est produite par NeverApart, sorte de Pays imaginaire digne d’un Peter Pan queer contemporain, et présidée par Michael Venus, autre entité magiquement autoconstituée. L’exposition même est un temple queer chargé de la mission divine de commémorer et réinsérer dans la culture les reliques de nos braves aïeux queer qui ont créé des mythes afin de marquer nos histoires, en concevant les champs, les vallées et les boisés où nous folâtrons maintenant.

Si la culture queer est vraiment une culture — ou une secte — elle nécessite des mythes propres à son origine et que ces mythes soient diffusés dans de multiples formes et dans une myriade de langues, afin que les Moon Babies découvrant leur homosexualité puissent concevoir des mondes à créer et à habiter, comme je l’ai fait à 10 ans dans la sécurité et la sainteté de mon temple secret. Le monde requiert plus de monde et les personnes queer n’ont pas besoin de s’écrire dans le monde tel qu’il est, mais plutôt d’imaginer, de créer et d’inviter ceux venant d’autres mondes à s’écarter des sentiers battus jusqu’aux confins de nos jardins et de jouer là où les fées demeurent. Le royaume enchanté du multivers d’Evergon, peuplé de Ramboys, de déesses de la sagesse et de Moon Babies, est un Eden queer où l’on peut sans cesse revenir par l’intermédiaire de portails que seuls les marginaux savent trouver.

« Ne cherchez pas à devenir comme vos adversaires. Vous avez le fardeau et le grand bonheur d’être des étrangers. Chaque jour que vous vivez est une sorte de triomphe. This you should cling onto. Ne déployez aucun effort pour tenter de rejoindre la société. Restez là où vous êtes. Donnez votre nom et numéro de série et attendez que la société se forme autour de vous. Car elle le fera très certainement. »

-Quentin Crisp (ndr : traduit de l’anglais)

1 «Evergon: Making of Homo Rococo» Adrienne Clarkson Presents. Société Radio-Canada (SRC). 19 juillet 1994.

2 Renaud, Jean-Francois. «Ramboys: A Bookless Novel and Other Fictions.» Ramboys: A Bookless Novel and Other Fictions, Egon Brut, Celluloso Evergoni & Eve R. Gonzales. Ottawa Art Gallery 1995, 11-33.

3 Domfer Videos. “Evergon 1997 in the Canary Islands.” Capsule web. https://www.youtube.com/
watch?v=WS8TXDYD5VQ. Youtube, 1er novembre 2008. Web. Date d’accès: 1er mars 2018.

4 Russel, Bruce Hugh. «Queer Epiphanies and the Pathogenesis of Paranoia.» Ramboys: A Bookless Novel and Other Fictions, Egon Brut, Celluloso Evergoni & Eve R. Gonzales. Ottawa Art Gallery 1995, 50-51.

5 Grahn, Judy. Another Mother Tongue. Boston: Beacon Press, 1984. 138. Impression.

6 Pausanias, Description de la Grèce, vol. 4, trans. William H. S. Jones, Cambridge MA: 1935, p.265.

7 Domfer Videos. “Evergon 1997 in the Canary Islands.” Capsule vidéo. https://www.youtube.com/
watch?v=WS8TXDYD5VQ. Youtube, 1er novembre 2008. Web. Date d’accès: 1er mars 2018.

8 Budin, Stephanie. The Myth of Sacred Prostitution in Antiquity. New York: Cambridge University Press, 2008. Impression.

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