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In spirit : Autoportrait à travers l’Inde

Ce mois-ci, j’ai envie de voyager. L’Inde me manque. Mes amis de là-bas, sa lumière, son thé, le son des temples. Avec un nouveau-né de six semaines à la maison et surtout le COVID 19 qui continue d’enflammer le pays, il m’est impossible d’y retourner pour encore plusieurs mois probablement. Mais l’Inde, tout comme les autres lieux avec lesquels on peut avoir une forte connexion, n’existe pas seulement dans l’espace. La présence vivante d’un lieu est au-delà des lois géographiques, la connexion à son énergie est tel le parfum dont on ne touche pas l’origine, mais qui embaume pourtant nos narines.

Même lorsque l’on connait un endroit, chaque voyage est unique. J’ai fait mon dernier voyage en Inde avec Mathéo, mon frère de douze années plus jeune que moi. Pour son vingtième anniversaire, il m’a demandé si je pouvais l’accompagner en Asie du Sud. J’ai alors imaginé la découverte ce pays à travers l’art, une passion que nous avons en commun. Photographie, mouvement et autoportrait, les médiums se sont mélangés organiquement pour jalonner nos rencontres.

Nous débutons notre voyage à Kamakhya, lieu traditionnel de l’Inde hors des sentiers touristiques classiques réservés aux Occidentaux. Par contre, les touristes et pèlerins indiens y affluent pour rencontrer la déesse. Là-bas, l’énergie sacrée résonne. Au fil des nombreux temples que nous visitons, je raconte à mon frère l’histoire des déités, la signification des symboles, lui décris les rituels et les codes. 

Surtout dans les milieux ruraux et les villages, l’esthétique indienne est brute. On trouve des artisans et un savoir-faire transmis de génération en génération. Les couleurs de l’Inde sont fortes, saturées. Les peintures des chambres d’hôtel et des maisons de village sont souvent inattendues pour un Occidental : roses, bleues , vertes. Les textures des murs, la poussière, la lumière et la chaleur oppressante créent une ambiance unique à ce pays. Je me sens comme un poisson dans l’eau, je reconnecte avec cette esthétique que j’aime tant. Mon appareil photo dans une main et mon carnet de notes dans l’autre, nous arpentons les ruelles.

Nous arrivons à Bénarès sous la chaleur écrasante de l’après-midi, juste après la période de mousson. Les Ghats sont encore submergés, le Gange s’étale de tout son long, offrant une vue extraordinaire du fleuve sacré.

Être accompagné en voyage permet de redécouvrir un pays que l’on croit connaître, à travers le regard de l’autre. C’est un processus rafraîchissant à condition de ne pas imposer à l’autre notre vision du voyage. C’est un doux équilibre entre partager les clés de certains codes ou éléments culturels comme des portes que l’on ouvre, et en même temps laisser l’autre s’ouvrir et découvrir, sans lui voler son expérience ou l’entraver dans le cheminement de découverte. Finalement, c’est un processus très proche de celui d’élever un enfant. Il ne s’agit pas de lui imposer notre vision du monde, mais au contraire, c’est à nous d’être disponibles et d’accepter de ne pas savoir, de ne rien connaître. Être prêt à découvrir à chaque instant est une position d’humilité et d’écoute.

À Bénarès, je mêle autoportraits et photo de rues.

Mumbai, nous atterrissons chez mon ami Ritam. Photographe renommé en Inde et en Occident, Ritam m’a déjà suivi dans mes périples indiens plus d’une fois. Voyageant à travers le monde pour ses contrats, il est le représentant d’une Inde moderne, capable de naviguer entre divers codes culturels. Encore une fois, nous discutons des heures durant de l’Inde traditionnelle et de ses histoires qui me fascinent tant, et de l’Inde moderne dont il me partage les codes et les savoir-faire. Tradition et modernité se chevauchent sans cesse dans ce pays, non pas comme des oppositions, mais comme le revers d’une même pièce dont l’un ou l’autre prend le dessus suivant les circonstances. 

Un jour, Ritam vient me voir et me demande si je peux le photographier à ma manière. Il me confie que depuis qu’il est photographe, il a eu l’occasion de prendre en photo de nombreuses vedettes, de travailler pour des clients prestigieux, mais qu’il est rarement pris en photo. Nous allons donc à son studio, sans plan. Je regarde l’espace et la lumière. La pile de malles posées contre le mur nonchalamment devient mon fond de scène et nous commençons à créer. À travers ces photos je parle de lui, de sa sensibilité, des non-dits qui planent sur les cultures qu’elles soient de l’est ou le l’ouest, sur les familles et les individus, et à travers eux de la force de l’être profondément humain qui se cherche, unicité qui nous rassemble malgré nos cultures si différentes. C’est  à propos de lui, de moi, mais aussi de chacun de nous.

Lors de mon séjour à Bombay, j’ai aussi rencontré Danny, venu exprès de Pune pour travailler ensemble. La plupart du temps il ne fait que des autoportraits. Je lui demande : « qu’est-ce qui t’a amené à cette démarche ? » Alors il m’explique qu’il est souvent en voyage pour son travail d’ingénieur, et que la photo s’est présentée naturellement, d’abord pour tuer le temps, puis est petit à petit devenue une forme d’expression de liberté dans une culture très conservatrice et réprimée. Nous échangeons sur la signification profonde de la photo, de la recherche sous-jacente à l’image.

Au cours de mon parcours photographique, autant devant que derrière la caméra, j’ai petit à petit compris que pour le modèle, tout comme pour le photographe, le processus de création d’une photo peut être libérateur. Si c’est vrai pour de nombreuses formes d’art, la photographie a cela de particulier qu’elle nous confronte directement à notre image. Il y a le vécu de l’expérience du moment en tant que tel, instant grisant que toute création connaît. Mais il y a aussi l’après, lorsque l’on découvre la photo prise. 

Cette dynamique qui existe derrière l’acte photographique peut se présenter comme une mise en abyme de la quête intérieure et du processus d’introspection. C’est une forme d’acceptation de la mise sous microscope de notre personne, s’observer dans notre vulnérabilité, nos peurs, notre perte de contrôle. La photographie à cela de beau qu’elle peut renforcer notre image de nous-mêmes, nous complaire dans un rôle, la croyance que nous nous connaissons, ou elle peut aussi être une prise de risque et un lâcher prise. Tout comme le voyage avec l’autre, elle est un voyage en soi, témoin d’une rencontre directe avec notre alter ego où s’opère le dévoilement d’un autre visage de nous-mêmes.

Crédits photo: Mariette Raina, autoportraits, série indienne 2019

Mariette Raina @mariette.raina

Mariette est titulaire d’une maîtrise en anthropologie. Le yoga a toujours fait partie de sa vie depuis qu’elle a rencontré l’enseignement du yoga cachemirien et sa tradition en 2008. Elle se rend régulièrement en France, au Brésil, au Chili et au Canada pour partager enseigner le yoga. En tant qu’artiste, elle utilise les médiums du corps, de la photographie et de l’écriture pour enquêter sur l’acte de perception, le rapport à l’image, ainsi que le corps comme vecteur d’expression entre la tradition et les temps modernes. Depuis 2015, elle enseigne la photographie aux Activités culturelles de l’Université de Montréal. Mariette a rejoint l’équipe du centre Never Apart en 2016 en tant que rédactrice d’articles mensuels pour la chronique spirituelle, où elle a également organisé une exposition en 2018 Traces de vie: un voyage du Canada en Asie du Sud et travaille sur le projet de Dax Dasilva Age of Union.

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