Nous savons ce dont nous avons besoin: misogynoir et les fxmmes Noires
Suite au verdict de l’affaire Breaonna Taylor et de la présumée fusillade de Megan Thee Stallion par Tory Lanez (et de la réaction consécutive du public), j’ai pensé qu’il était temps de discuter de misogynoir!
Inventé en 2008 par la Dre Moya Bailey et Trudy, le terme misogynoir décrit la «misogynie raciste anti-Noir·es dont sont victimes les fxmmes Noires.» Les fxmmes ne peuvent pas séparer leur fxminité de leur identité noire, d’où l’importance de ce mot. Les expériences et les interactions des fxmmes noires avec le monde sont marquées par le sentiment anti-Noir et la misogynie travaillant en tandem. Il est primordial de comprendre comment cette réalité se manifeste. La misogynoir fonctionne à la fois au niveau institutionnel et interpersonnel. Elle façonne la façon dont le monde voit les fxmmes Noires et biaise fréquemment la façon dont les fxmmes Noires se voient elles-mêmes. De nombreux articles ont été écrits à propos de la misogynoir. Le lien ci-joint provient de Wear Your Voice Magazine — une de mes publications préférées, personellement. Elle propose une série d’articles sur la misogynoir et une foule d’information sur l’approche intersectionnelle et les expériences des voix marginalisées.
Mais, pour donner aux gens une compréhension personnelle de la misogynoir et de ses effets, je me suis entretenue avec 9 fxmmes noires : Amika Cooper, Anna Akoto, Ayan Rowe, Carina Samuels, Mouna Traoré, Teshaunna Gray, Teauanna Gray, Raquel Vassell et Keosha Dwyer à propos de leur expérience de la misogynoir et des façons dont les gens peuvent faire mieux en notre nom.
Merci aux fxmmes qui ont prêté leur voix pour cette pièce. Je vous aime toutes très fort et je suis tellement reconnaissante de vous avoir dans ma vie!
1. Quelles ont été les expériences notables ou marquantes de misogynoir au cours de votre vie?
Keesha – Un de mes moments les plus marquants a été lorsque j’étais à l’université. Je me spécialisais dans les études féministes et je vivais avec une femme blanche cisgenre hétéro en majeure d’anglais. À l’époque, le département d’études féminines mettait sur pied un groupe qui allait transformer le programme d’études féministes en une école séparée. Sur les vingt-cinq étudiant.e.s du programme, environ cinq étaient Noir.e.s., dont moi-même. Des lettres ont été envoyées à différentes personnes disant que le département d’études féministes souhaitait les voir participer à ce groupe. Je n’ai pas reçu de lettre, mais ma colocataire en a reçu une. Quand j’ai l’ai appris, je me suis sentie blessée, déçue et très en colère. Je leur avais donné mon argent pour étudier dans leur département, mais ils ne voulaient pas que je participe à une conversation aussi importante que celle-ci. De plus, dans un programme qui enseigne l’intersectionnalité, l’inclusion, la théorie critique raciale, etc., n’aurait-il pas été essentiel d’inclure dans cette conversation le peu d’étudiant·es Noir·es inscrit·es? Le message était sans équivoque : quand il s’agit de débats critiques comme celui-ci, l’opinion d’une fxmme blanche avec majeure en anglais était plus importante que celle d’une fxmme Noire étudiant dans leur département.
J’ai expliqué ma frustration à ma colocataire, que je trouvais absurde qu’on lui demande de participer et pas moi. Elle m’a alors regardé et m’a dit : « Tu n’as qu’à me dire ce que tu veux dire et je parlerai à ta place. » Ça m’a rendue furieuse. Elle n’a jamais reconnu à quel point il était vicié qu’on l’inclut et pas moi. Elle n’a jamais proposé de m’emmener avec elle ou de ne pas y aller par solidarité. Sa solution a été de «parler pour moi». J’étais non seulement plus qualifiée pour faire partie de ce groupe, mais elle a jugé que la chose la plus utile était de me priver de voix en parlant pour moi plutôt que de me permettre de le faire moi-même. C’est l’exemple parfait de misogynoir opérant à un niveau institutionnel et interpersonnel.
Anna — En tant que la seule fxmme Noire dans ma fonction au travail, il y en a tellement que j’ai perdu le compte. Une chose qui se produit tous les jours, plusieurs fois par jour, est que certains membres de la clientèle refusent mon aide et préfèrent attendre mon collègue (peu importe le délai et sans q’il ne les ait aidé au préalable) ou il/elle/iel demandent à parler à un employé masculin.
Amika — Je pense que le moment le plus mémorable a été celui où un homme Noir originaire des Antilles m’a draguée de la part de son patron blanc lors d’un événement. J’étais au début de la vingtaine et, au premier abord, j’ai pensé en entendant son accent qu’il serait comme un oncle, un port sûr dans une mer pleine de Blancs. Ce n’était évidemment pas le cas. Et ce qui était plus insultant, c’est que cet homme Noir ne pouvait pas comprendre à quel point je me sentais blessée et vexée. Il se souciait plus du lien financier qu’il avait avec l’homme blanc beaucoup plus âgé qui l’avait envoyé me parler que du bien-être d’une jeune fille Noire venant d’une île pas trop éloignée de celle dont il était originaire. Même si c’était bouleversant, ce qui fait mal, c’est que cet incident est inscrit dans toute une vie de commentaires et de microaggressions de la part de proches, d’amis et d’intimidateurs, dans toutes les façons dont beaucoup d’hommes Noirs n’ont pas réussi à me faire sentir en sécurité en leur présence.
Keosha — Mes expériences les plus marquantes de misogynoir impliquent l’intimidation. Je n’ai pas seulement été victime d’intimidation parce que je suis Noire et que j’ai la peau très foncée, mais aussi parce que j’avais des bras soi-disant masculins, que j’étais maigre et que j’étais faite d’une certaine manière. Ces éléments sont vraiment liés. J’étais considérée comme laide pas seulement parce que je suis Noire, mais parce que je ne suis pas assez féminine. Laide parce que je suis une femme qui ne correspond pas au modèle auquel les gens pensaient qu’une femme devait ressembler. On m’a surnommée « Black Attack, » on m’a dit que j’étais maigre, que je ressemblais à du goudron, que j’avais des bras d’homme et d’autres trucs du genre. Et, chaque fois où j’ai voulu de défendre, on m’a qualifiée d’agressive et on a dit que j’étais en colère et que j’avais toujours quelque chose à dire. Et j’ai eu l’impression qu’il n’y avait pas de place pour l’autonomie sociale.
2. Que souhaitez-vous que les gens fassent pour que vous vous sentiez plus vue, entendue, soutenue et aimée en tant que fxmme noire?
Carina — Cessez de nous regrouper en utilisant le mot female en anglais. C’est un peu comme le nouveau bitc*. Je l’entends quand on cherche à exprimer une idée qui englobe toutes les fxmmes et il est généralement utilisé par quelqu’un qui a manifestement intériorisé une masculinité toxique et qui pense dans le cadre d’un paradigme patriarcal. C’est tellement provocant et j’entends souvent les hommes cisgenres Noirs l’utiliser. J’ai l’impression qu’une fois que les fxmmes ont refusé de se faire traiter de bitc*, le mot a été troqué pour female. Évidemment, ça dépend de la façon dont il est utilisé et de qui l’utilise, mais au bout du compte, quand il sort de la bouche d’un homme cisgenre hétéro, c’est une façon de dire bitc* sans vraiment le dire.
Amika — Je pense que la réponse se trouve dans la question. Les gens ont besoin de voir, d’écouter, de soutenir et d’aimer réellement les fxmmes noires. Et pas en dépit de notre identité noire, mais pour tout ce que nous sommes. C’est vraiment aussi simple que cela.
Les gens ont besoin de voir, d’écouter, de soutenir et d’aimer réellement les fxmmes Noires. Et pas en dépit de notre identité Noire, mais pour tout ce que nous sommes. C’est vraiment aussi simple que cela.
Mouna — Voyez-nous comme des êtres humains! Dans la société en général, mais aussi au sein de notre propre communauté, les fxmmes Noires ne reçoivent pas d’humanité. Il existe une sorte de mythologie d’endurance attribuée aux fxmmes Noires, selon laquelle nous ne pouvons pas être vulnérables. Si nous sommes agressées, c’est de notre faute; si nous sommes violées, c’est parce qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez nous. Que nous sommes en colère ou que nous sollicitons ce genre de violence. D’après mon expérience, c’est ce que je crois qu’on nous attribue. Nous voyons tellement d’images de femmes Noires en train d’être violentées qu’on suppose presque que c’est quelque chose que nous pouvons endurer.
Anna — Personnellement, je voudrais que les gens allient leur sympathie à l’action. Le nombre de gens qui m’ont pris à part ou qui m’ont envoyé un message pour exprimer à quel point ils se sentent mal face à une situation ou pour dénoncer quelque chose que quelqu’un m’avait dit est fou parce que 1) c’est toujours fait en privé et 2) rien n’en découle. Les mots ne changent rien, surtout ceux qui sont prononcés en privé. Si vous m’estimez vraiment en tant que personne et que vous croyez que mes expériences sont réelles, montrez-le.
Teauanna — Incluez-nous dans tous les domaines et narratives qui nous concernent. Ne parlez pas pour nous.
Teshaunna— Croyez-nous quand nous parlons! Croyez que nos expériences proviennent d’un point de vue informé. J’ai souvent parlé de choses que je connais, quand il s’agit de préjugés raciaux, de préjugés sexistes, etc. Croyez que j’ai l’expérience de toute une vie dans ce genre de contexte. Mes sentiments viennent d’un point de vue informé et me guident lorsque je vous dis que je me sens mal à l’aise, et je sais pourquoi… Croyez-moi!
Keosha —J’aimerais que les gens se montrent plus volontaires d’alléger le fardeau des fxmmes noires. Que les autres leur donnent plus de souplesse et d’aisance. Les fxmmes Noires subissent régulièrement une pression déraisonnable pour s’épanouir, s’élever, réussir, agir en adulte quand d’autres ne le font pas et être la meilleure version d’elles-mêmes. On nous demande d’être des meneuses fortes, et je pense que les gens percevraient cet épuisement s’ils/elles/iels nous donnaient plus de liberté, de repos et d’espace pour faire des erreurs.
Alléger le fardeau des fxmmes Noires est extrêmement important, car une grande partie de notre travail est émotionnel, physique et mental. Nous soutenir, c’est nous permettre de ne pas toujours avoir à faire ce travail. Nous remplacer et nous entendre lorsque nous sommes fatiguées et surmenées. Les gens pensent que nous sommes la force incarnée et ne voient pas la vulnérabilité, la douceur, la tendresse qui sont en nous. Nous appeler des «superwomen» et nous qualifier de «super résilientes» nous empêche souvent d’être soutenues et de recevoir de l’aide.
Incluez-nous dans tous les domaines et narratives qui nous concernent. Ne parlez pas pour nous.
3. Avez-vous quelque chose à dire aux personnes qui veulent être de meilleur·es allié·es pour les fxmmes Noires?
Anna — 1. Éduquez-vous. Grâce à cet article, vous connaissez maintenant le terme misogynoir. Familiarisez-vous avec ce qu’elle est, à quoi elle peut ressembler et évaluez dans quelle mesure vous y participez ou créez un environnement qui lui permet de proliférer.
2. Dénoncez-la. Lorsque vous voyez ou entendez quelqu’un qui participe à la misogynoir, exprimez-vous. Les conversations privées qui dénoncent des actes publics ne donnent rien.
3. Faites quelque chose. Réfléchissez à la manière dont vous pouvez susciter le changement dans les espaces que vous occupez. Ça peut être de confronter quelqu’un sur la façon dont il/elle/iel traite ou parle des fxmmes Noires. Ça peut être de changer la norme—ça peut être de mettre fin à une amitié (eh oui). Si nous faisons tous des changements, le monde sera meilleur.
Amika —J’en suis au point où j’en ai assez de donner des instructions aux gens et de leur dire comment traiter les autres humains comme des humains. Je pense que le meilleur moyen d’être un·e allié·e est de s’intéresser à leur cause, à leur bien-être et à leur humanité comme s’il s’agissait des vôtres. Si une personne vous dit que vous lui avez fait du mal, croyez-la et écoutez-la. Vous ne pouvez pas être un·e allié·e tout en priorisant, ou en vous laissant guider par votre ego.
Mouna — Surcompensez et surcorrigez votre comportement parce qu’il est plus que probable que vous n’en faites pas assez! Ou alors vous faites le strict minimum, alors faites-en encore plus que ce que vous pensez devoir faire.
Raquel — Soyez un·e allié·e quand nous ne sommes pas dans la pièce! Tant de gens veulent être «pour nous» quand nous sommes présentes — surtout les hommes Noirs. Publier sur Twitter que nous devons «soutenir nos reines Noires» avant de raconter comment vos amis problématiques ont agressé sexuellement quelqu’un, c’est pas assez.
Faites-le tout le temps! Quand nous ne sommes pas dans la pièce et quand nous sommes dans la pièce. Défendez-nous tout le temps. Si vous voulez être là, soyez un véritable allié·e.
Ayan —Et pas seulement quand c’est pratique ou populaire de l’être.
Voici l’essntiel: les fxmmes noires méritent mieux. La misogynoir est un mot avec lequel les gens doivent se familiariser. C’est une structure de pouvoir incroyablement efficace qui dicte la conscience collective depuis longtemps. Par dessein, cette culture nous a conditionnés à dévaluer les fxmmes noires, mais si vous voulez faire partie de la solution, écoutez-nous. Nous savons ce dont nous avons besoin.
Encore une fois, merci aux incroyables fxmmes qui ont participé à cet article. Merci à Gillian Mapp d’avoir fourni les images qui ont servi à cet article. Merci également à Anna Akoto pour la révision et pour m’avoir écoutée tout au long de mon processus créatif. Pour finir, je m’adresse à toutes les fxmmes noires : je vous aime, je vous vois et je vous apprécie. N’hésitez pas à me contacter si vous avez besoin d’une oreille ou d’une nouvelle amie!
Crédits
Rédaction: Keesha Chung
Édition: Anna Akoto
Photographies: Gillian Mapp, de sa série FUBU
Mannequins: a l l i e, Sydney Beaumont, Keesha Chung, Mecha Clarke, Amika Cooper, Mouna Traoré
Publication Instagram: @KeoshaLove
À propos de l’autrice
Keesha Chung est une réalisatrice émergente basée à Toronto (cinéaste, scénariste, productrice), créatrice de contenu, productrice et modératrice d’événements, modèle professionnelle et co-fondatrice de Collective Culture. Après avoir obtenu une licence en études féministes à l’Université Concordia, Keesha a co-fondé Collective Culture, une plateforme qui met en valeur les voix et les expériences des personnes racisées par le biais du développement de contenu et de la programmation. Elle a travaillé dans le domaine des médias pendant plus de dix ans et a collaboré avec des artistes et des organisations du monde entier. Voici quelques-uns de ses collaborateur·ices : Never Apart, Route Eleven Productions, VICELAND Canada, Sephora Canada, AfrOURban, CBC Arts, BAND Gallery and Culture Centre, Scarbrough Pictures, CIINEMA, Sophomore Magazine, Artscape Daniel’s Launchpad, Concordia’s Fine Arts Student Alliance, Sankofest + Khyber Centre for the Arts, HerDay, BlackLives Matter Toronto, Goldelox Productions et Ryerson Image Centre.
Avec tous ses efforts créatifs, son but est de défier les politiques de représentation et de mettre en valeur les voix et les histoires des créatif·ves de couleur qui l’inspirent. Elle sera diplômée du programme de cinéma et de narration multiplateforme du Humber College en décembre 2020.
Voir les commentaires
Sans commentaires (Cacher)