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In Spirit : Yoga, Tantra et Non-Dualité

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Il y a dix ans exactement, je rencontrais la tradition qui allait devenir le cœur de ma vie : le shivaïsme tantrique non duel du Cachemire. J’avais vingt ans, et l’évidence de ce rendez-vous fut sans le moindre doute. Mon quotidien prit un tournant radical pour plonger dans les profondeurs de cette mystique hindoue, par l’étude de ses principes, la pratique du yoga qui s’y rattache et sa transposition dans chaque espace de la vie.

Au cours de mes années d’études anthropologiques, j’ai petit à petit orienté tous mes travaux vers des sujets liés à la tradition indienne, allant du Bollywood à l’investigation des saddhus, en passant par celle des vers sanskrits de Shankaracharya. J’ai alors découvert les penseurs éclairés de l’histoire qui ont contribué à faire connaître cette tradition à l’Occident et à illuminer la beauté de la culture indienne (philosophie, danse, art, sculpture et musique entre autres) jusqu’alors trop peu appréciée à sa juste valeur : René Guénon, André Padoux, Lilian Silburn et Alice Boner.

Les mots qui viennent de la clarté sont des entités vivantes qui guident vers la résonnance de cette Vérité qui vit en chacun de nous. On les trouve dans les poèmes de Lalla, qui mélangent shivaïsme et soufisme, ou encore chez le grand maître du Cachemire Abhinavagupta qui, avant ses trente ans, était déjà considéré comme l’un des plus importants gurus de la tradition tantrique de son époque. Les mystiques des autres approches répondent du même écho qui nous fait plonger en nous-mêmes, comme maître Eckhart, Madame de Guyon, Juniad, Abdel Kader ou Ibn Arabi. Il faut compter Gitta Mallasz ou Jacques Lusseyran, des éclairés sans forme et sans tradition, mais qui étaient eux aussi totalement mus par la voie non duelle.

Pour ce qui concerne les modernes, certains gardiens de la connaissance voguent entre académie et inspiration : Mark Dyczkowski, Bettina Beaumer, Boris Marjanovic, Vivek Nath ou encore celui qui fut pour moi un mentor dans mes années d’étude, Dr shaman Hatley. Ce dernier, je réalise aujourd’hui, fut plus qu’un professeur. Il est un de ces êtres profondément brillants qui sont trop peu nombreux dans les universités.

Le voyage se prolonge sans continuité, les questionnements ne cessent jamais, les apprentissages qu’apportent la vie sont quotidiens et les multiples rêves comme un monde parallèle que l’on rejoint lors du sommeil, un accès sur un autre plan chargé de sens, de messages et d’enseignements directs. Le shivaïsme tantrique du cachemire est ouvert, par la voie académique et par celle de la pratique. C’est un voyage de chaque instant.

Le yoga est plus que la gymnastique néo-spirituelle ou la relaxation majoritairement présentée sur le marché. Il porte en lui une profondeur qui fait plonger le pratiquant dans le labyrinthe mystérieux de l’être, suivant cette investigation de toute la voie mystique offre depuis des centaines d’années. Si nous prenons quelque peu de recul pour voir l’image globale, alors nous réalisons vite que le yoga moderne s’est fabriqué sur des habitudes de notre culture : il est identifié, il est volontaire et fonctionne par coup de récompenses comme les diplômes ou niveaux auxquels les pratiquants pensent accéder.

Mais le yoga traditionnel, celui qui répond à une résonance du cœur et de l’approche non duelle, est une célébration de l’instant qui dépasse l’action même de bhakti dans sa forme extérieure. Pour la perspective enseignée dans les tantras, la vie en elle-même, par essence, est dévotion, car rien n’est bas ou haut. L’acte le plus dévotionnel est de se placer comme l’observateur-témoin qui célèbre chaque déploiement par son regard clair et qui ne cherche pas à s’en mêler. L’ultime célébration est abdication de soi.

 

Le yoga est la voie qui enseigne comment m’asseoir en moi-même, retrouver ce lieu duquel nous venons tous, intimité sans négociation. Ce profond retour à soi apparaît lorsque la dynamique de défense ou de justification laisse place à l’extrême présence. Il n’y a pas d’espace pour vouloir se détendre, vouloir changer, vouloir être plus ceci ou plus cela. L’enjeu personnel est la seule source de mon mécontentement et de mes commentaires. Il s’élimine face au yoga, l’art d’observer la vie se manifester. La célébration est d’accompagner le déploiement de la vie. Celui qui ne résiste plus à ce qui se présente va découvrir un espace d’activité fonctionnelle qui n’est plus court-circuité par le doute. Il sera totalement guidé par ce qui doit être accompli.

Pour l’observateur extérieur, la pose de yoga semble immobile. Pourtant, pour celui qui la vit depuis la perspective traditionnelle, elle est pleinement mouvement. Lorsqu’elle est libre de compensation musculaire et qu’elle n’est pas pratiquée par affirmation de soi, le yogi accède à un espace dans lequel l’enveloppe statique est supportée par une dynamique vécue au cœur de la sensibilité. Le souffle, l’énergie, la substance corporelle, tout bouge, se vide, se déploie. Si elle n’est pas performance dans une compétition, elle est l’accès direct sur un monde subtil de saveurs et de formes, où les opposés cohabitent. Au sein même du corps, le vécu de la non-dualité dépasse toute formulation verbale et appréhension mentale, il devient évidence de l’instant.

L’expérience profonde, quelle qu’elle soit, n’est pas à mettre en opposition avec la mondanité et ce qui semble appartenir au monde grossier. La corporalité du monde est imprégnée de cette subtilité. Même plus, elle en est la porte. Certaines traditions tentent d’éviter à tout prix ce qui ramène à cette corporalité — le mental et les émotions sont les premiers ennemis dans certaines écoles bouddhistes ou encore dans la tradition patanjalienne. Mais pour le tantrique, ces éléments sont totalement intégrés, car en leur cœur, leur dynamique profonde est le feu divin. Derrière l’émotion de tristesse, celle de rage de colère ou de peur extrême se cache l’état de pure Conscience. Le flux des pensées y prend lui aussi naissance. En d’autres termes, toutes  les manifestations viennent de la Conscience, donc toutes les manifestations y ramènent. C’est là le siège de la perspective directe qu’enseignent les Tantras non duels.

Alors pourquoi n’est-il pas libéré, celui qui éprouve tant d’émotions chaque jour? Parce que nous ne sommes pas pleinement conscients du processus, la personne se trouve donc identifiée avec l’expression manifestée, qu’elle soit l’émotion ou la pensée. Le pratiquant au contraire, qui a conscience que derrière l’émotion, la confusion, ou l’état agité de la pensée, se trouve la Conscience, sera capable de laisser vivre ces éléments totalement. Cette dynamique va le ramener à la source directe. Le yoga dans son approche non-duel, éclairé par cette perspective qui permet la discrimination des situations, permettra d’intégrer les principes métaphysiques au sein du corps et du psychisme.

 

Pour la majorité des personnes, l’exploration est progressive et volontaire. Il faut du temps au corps et au psychisme pour se déconditionner des mécanismes. La forme de questions-réponses des séminaires et la pratique des asanas orientée sont des guides qui tendent vers une vérité informulable que chacun doit découvrir au cœur de son exploration. Sans attente, il faut se laisser guider par le corps, par l’espace et le sol, par l’environnement, qui vont nous ramener à l’expérience organique de l’asana, c’est-à-dire l’espace dans lequel il n’y a rien à défendre. Dans l’honnêteté avec soi, dans la non-quête d’expérience extraordinaire, mais au contraire dans l’exploration directe de ce que m’offre la vie quotidienne (émotion, confusion, mécanismes) se trouve la grâce la plus directe. Cette grâce qui me prend quand je m’y attends le moins fait couler sur mes joues et sur mon cœur des larmes de reconnaissance .L’absolu est invisible. Il est cet espace au-delà du silence et du bruit, au-delà de l’acceptation ou du rejet, il est cet espace avant que les opposés naissent.

Il ne faut pas le chercher, il faut le laisser me trouver. Mon travail est de me rendre disponible en observant mon fonctionnement de chaque instant : opinions, attentes envies et préjugés. Je ne peux pas voir la clarté, car je suis issue d’elle. Je ne peux pas objectifier ma source, et dela même manière le contextuel ne peut pas comprendre le global. Par contre, je peux voir sa projection — si la Conscience est le soleil, que je suis l’arbre, alors l’ombre que je perçois au sol est la projection de cette source. À force d’observer mes mécanismes, mes ombres portées, je vais me placer du point de vue du regard de la Conscience, depuis la perspective de ce qui illumine l’écoute.

Face à l’évidence de la vie. La confiance me porte, l’honnêteté face à moi-même est ma grâce sur l’exploration de cette voie non duelle.

 

« Rêve

Le Gange est sacré, car là où il prend sa source au cœur de l’Himalaya, il s’emplit des larmes des yogis. Les larmes de joie, les larmes d’abdication face à l’évidence de la vie, les larmes d’absorption du divin, les larmes d’émotion qui, lorsqu’elles n’ont plus de raison ou de justification, deviennent des larmes d’offrandes.

Le lingam devant moi, je prends la fleur de lotus qui vient de fleurir dans ma poitrine. Je la dépose au sommet du lingam, ultime offrande. Le lingam se fond en moi, je me fonds en lui. La fleur est la concrétisation de ma substance, la substance est cette offrande. Dans l’offrande du cœur, la substance retrouve sa source, elle retourne en moi, dynamique de la manifestation qui se résorbe dans son état essentiel, non-duel ».

Mariette est diplômée d’un master en anthropologie de l’Université de Montréal. Elle enseigne un yoga qui fait écho à la philosophie du Shivaisme tantric non-duel du Cachemire. Elle voyage régulièrement en Inde pour poursuivre ses recherches sur les traditions ésotériques des Tantra. Mariette est aussi artistie visuelle, employant la photographie notamment comme notes de terrain et eploration des cultures.

marietteraina.com

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Commentaires (2) (Cacher)

  1. Et s’il n’y avait plus de quête, plus de pratique, plus de travail…
    Qui en a besoin en fait?
    La Conscience?

    • Sur un plan, on peut dire que le travail, la quête, est un jeu de la Conscience qui se cherche elle-même. Mais peut importe, car c’est une belle question, qui si elle est répondue intellectuellement, va perdre sa profondeur. Le travail est pour cela: apprendre à laisser la question vivre totalement, et découvrir ce qu’il y a derrière. Pas intellectuellement, mais par le senti. Et dans l’instant: quelle émotion monte avec la quetion? Sentir ce qui se passe en toi, à ce moment précis. Il n’y a que ça de valable.

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