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Entrevue: Connie Fleming

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Jordan King, rédactrice en chef du magazine Never Apart, s’est entretenu via Zoom avec Connie Fleming, artiste, performeuse, mannequin et « door bitch » (ses mots) de New York.

Jordan: Merci de discuter avec moi aujourd’hui, Connie Fleming. Je suis en direct du Centre Never Apart. Ce sont vos magnifiques œuvres qui se trouvent derrière moi dans la galerie. Nous nous préparons à inaugurer la première journée portes ouvertes, ce samedi, où les gens pourront découvrir votre travail.

Au nom de toute l’équipe, merci de faire partie de notre saison estivale ici, dans la galerie du rez-de-chaussée. J’ai hâte de partager ces œuvres avec le public.

Connie: Et en mon nom, merci infiniment! Je suis très heureuse et fière d’être invitée à contribuer au centre Never Apart. Ce que vous faites est exceptionnel, essentiel et vital. C’est un honneur.

Et bien, nous nous efforçons de promouvoir la créativité, l’énergie positive et les vibrations d’amour du mieux que nous pouvons! Je veux discuter du rôle que l’art joue dans votre vie. Comme je vous ai déjà interviewée, je sais que vous avez été une illustratrice pour la quasi-totalité de votre vie. C’est exact?

Oui. Cela m’a sauvé la vie à l’école, c’était quelque chose que je faisais bien et pour lequel on me félicitait. L’art m’a donné un oasis, un refuge pour mes pensées et mes rêves. L’art m’a donné un regard sur le monde, sur le fait que les choses sont cycliques. Elles vont et viennent, les modes évoluent, mais le talent et la beauté sont éternels. L’art nous nourrit et nous informe sur nos vies. Nous pouvons regarder un tableau de Gauguin ou de Toulouse Letrec et en apprendre davantage sur cette époque, la mode et la société elle-même. Enfant, l’idée que le futur me réservait peut-être des surprises et que je ne devais pas m’enliser dans le présent m’a toujours inspirée. Parce la vie est faite de hauts et de bas, plein de choses peuvent arriver. Ça m’a nourrie.

Avez-vous étudié dans une école d’art après le secondaire? Ou avez-vous songé à aller dans une école d’art?

Je pensais aller à Parsons ou au FIT. Mais Connie Girl est née et je suis montée sur scène. J’en ai toujours envie, d’une certaine manière. J’en avais assez de l’école vers la fin du secondaire, car c’était une véritable torture. J’étais sexualisée… et, vous savez… victime d’intimidation. Une partie de moi voulait poursuivre mon éducation, mais une autre partie en avait ras le bol. La situation n’avait fait que s’aggraver depuis la première année et je me suis dit que peut-être… en continuant l’école, les choses pourraient dégénérer à un point tel que je ne serais plus là. C’était toujours présent dans mon esprit. J’aurais quand même aimé avoir le courage d’aller de l’avant. Mais j’ai fait des cours du soir et j’ai continué à dessiner. Quand je faisais des spectacles et du mannequinat, j’avais des carnets de croquis, je dessinais, etc. Quand je travaillais au Boy Bar, j’ai réalisé les décors des spectacles.

Wow je l’ignorais.

J’ai donc eu la possibilité de me réaliser et de m’exprimer. La mode, le stylisme, le mannequinat sont de moyens d’expression. Maintenant que j’y repense, tout cela a été une éducation artistique.

Absolument. C’est drôle, parce que je ne sais pas quand j’ai appris que vous étiez également une illustratrice, parce que j’ai l’impression que je l’ai toujours su. Je ne savais pas que vous aviez créé les décors du Boy Bar, mais j’ai toujours su que Connie Fleming était une illustratrice. Pouvez-vous nous parler un peu de cette période jusqu’aux années 2000? Je connais certains des projets auxquels vous avez participé, mais pouvez-vous nous en dire plus?

Après avoir arrêté le mannequinat, j’ai reçu un appel de Patricia Field. Elle avait embauché un nouveau designer, l’incroyable David Dalrymple. Ils s’apprêtaient à réaliser des défilés de mode pour le Conseil des créateurs de mode américains. Ils m’ont dit, « tu es la seule que nous connaissons qui a été dans les coulisses du monde de la mode, alors tu t’occuperas des castings pour nos défilés. » Voilà comment j’ai commencé ma carrière auprès de Pat dans sa salle de montre sur Fashion Avenue. J’ai ensuite assuré les relations publiques pour eux, ainsi que la production de défilés de mode. Un jour, ils avaient besoin d’un dessin pour quelque chose qui devait être soumis à un magazine. J’ai levé la main et j’ai dit, « Je peux réaliser quelque chose et je l’apporterai demain pour voir si vous l’aimez ». C’était il y a presque 25 ou 30 ans. C’est là que tout a commencé. Ensuite, j’ai travaillé avec Pat et David sur leurs collections, sur Sexe à New York (Sex in the City) et Le diable s’habille en Prada (The Devil Wears Prada). Je faisais toutes sortes d’illustrations pour les projets auxquels ils participaient. C’était une expérience d’apprentissage incroyable. Travailler avec des chanteurs et des acteurs de cinéma et de théâtre. David faisait quelque chose pour Beyonce, et je dessinais le tout., puis Pat m’appelait pour me dire, « Dis, j’ai besoin d’un truc pour Swarovski. » Et je le faisais. Il y a eu la fois où ils ont tous les deux fait les costumes pour une production de Barbarella à Vienne et j’ai fait toutes les illustrations. C’était une expérience d’apprentissage d’une valeur inestimable. C’était inestimable non seulement en ce qui concerne les illustration de mode, mais aussi dans la mesure où j’ai pu travailler pour un designer qui allait créer un costume pour quelqu’un. J’ai su tirer parti de mon expérience en tant qu’interprète et j’ai pu dire, « ne mettez pas une manche pareille sur le costume, aussi magnifique soit-elle, parce que l’interprète giflera les danseurs de soutien pendant tout le numéro. C’était un excellent échange et une excellente façon pour mon expérience de vie de nourrir l’art et le client. Cette collaboration a été très enrichissante durant laquelle mon vécu a pu profiter à l’art et au client.

Vous avez joué un rôle dans le processus de création de la mode, mais pas nécessairement dans la construction en soi ou dans la conception complète, mais vous avez vraiment fait partie de cette expérience de collaboration. C’est fantastique. Je ne savais rien de tout ça. Je dois vous demander si ces illustrations existent toujours? Sont-elles en archive quelque part?

Certaines illustrations ont été confiées à Pat. J’ai éventuellement commencé à documenter mon travail. J’ai la plupart des illustrations, David en a beaucoup également. Mais quand il s’agit d’illustrations, on apprend à lâcher prise. Parfois, il le faut. Et à ne pas… essayer sans cesse de rendre un trait encore plus parfait. Ou le transformer en, vous savez, tout feu et musique. Tout ne peut pas être feu et musique, pour citer Betty Davis dans Ève (All About Eve). Mais parfois c’est juste du feu. Puis, on ressent un petit déclic et on doit s’en contenter. J’ai certaines illustrations en numérique, David en a certaines et certains clients en ont d’autres.

Never Apart est très fier de présenter vos illustrations. Cette exposition présente une série complète d’illustrations inédites que vous avez réalisées spécifiquement pour cette exposition. Nous avons donc le privilège absolu de les montrer au monde pour la première fois, surtout de cette manière, dans une exposition en galerie. Que pouvez-vous nous dire sur la série, intitulée Ink?

Eh bien, nous étions tous à la maison dans notre confinement. J’en avais marre de rester assise et je voulais m’occuper l’esprit plutôt que de me demander si j’aurais dû laver mes chaussures après être allée promener mon chien? Je ne pouvais plus plus regarder les actualités parce que c’était trop déprimant. Et… en regardant Instagram, j’ai pensé, “tous ces garçons mignons ont des tatouages, quand est-ce que les tatouages sont devenus aussi populaires?”. Avec les bouleversements politiques avec 45 [Trump] et le mouvement Black Lives Matter, j’ai voulu illustrer cette période historique et représenter sur le corps ce que je pensais que le sujet pensait de lui-même ou voulait projeter à propos de sa personne. Certains dessins sont thématiques et d’autres sont plus une revendication. Tantôt c’est juste un joli garçon. Ou une jolie fille. Je suis devenue obsédée par les do-rags et les bonnets, et par la façon dont ils sont portés. Ils ont une fonction véritable… il n’est pas seulement question de style, mais aussi de mise en plis des cheveux. C’est un moyen de fixer les ondulations, de les maintenir en place. Mais c’est aussi une forme d’expression, une mode. Je voulais donc documenter cela et documenter la transmission de vos sentiments et de vos espoirs sur son corps et sa peau. La peau est l’organe le plus grand de notre corps pour afficher ce que nous ressentons sans parler.

En vous entendant évoquer des artistes comme Toulouse Lautrec et Gauguin, je pense que votre art est un commentaire sur le moment présent dans le temps. Une partie de cette culture est très propre et très spécifique au moment où nous nous trouvons, et je ne sais pas si les gens percevraient immédiatement cette dimension sans y penser. Je suis vraiment reconnaissante d’en être maintenant consciente et de pouvoir l’avoir à l’esprit lorsque je regarde les œuvres maintenant. Je suis impatiente que les gens entendent parler de cet aspect.

Je voulais vous demander de parler de vos inspirations ou de vos influences. Je connais certaines d’entre elles dans une certaine mesure, mais y a-t-il quelqu’un dont le style d’illustration ou le style d’art vous inspire ou vous influence?

Ça a commencé par les dessins animés, avec Mickey Mouse et Bugs Bunny. Enfant, on m’a emmenée voir les Ice Capades. Le programme avait été illustré par George Pette qui a été secondé par Alberto Vargas, qui était l’un de mes héros. Les femmes de Petty étaient un peu plus athlétiques — je crois qu’elles avaient pour modèle sa sœur ou sa cousine, peut-être sa petite amie. Et un soir, en regardant le Late Late Show, comme je le faisais tout le temps en grandissant, il y avait un docu-fiction sur lui. Je ne me souviens plus de l’acteur qui l’interprétait, mais le film était un aperçu formidable de son art et de son monde. Ça m’a amenée vers Erte, qui est également un de mes héros. Then that started me going to Erte who is also a hero of mine.  Ça a été une porte vers le monde de l’illustration de mode. J’ai toujours été fan de Toulouse Letrec et de son style. J’adore René Gruau qui a réalisé toutes les illustrations de mode de Dior. D’une certaine manière, leurs styles se ressemblent; le caractère graphique et la ligne, deux choses qui m’ont toujours passionnée. La ligne est l’une des plus belles choses que nous, les humains, pouvons créer dans l’art.

Erte est un univers à lui tout seul, capable d’explorer non seulement l’illustration, mais aussi la conceptualisation des costumes. De la pure magie.

Je sais, sa pratique s’étend du Ballet russe aux Ziegfeld Follies. Le monde qu’il a créé est absolument incroyable. Tout cela a marqué le début de mon parcours dans l’illustration de mode. J’ai découvert une foule d’artistes fabuleux issus des années 50 jusqu’aux années 60. Puis un jour, j’ai vu les œuvres de George Stavrinos dans un magazine, Vogue Italia je crois. Il y avait un dessin de Stavrinos, un de Tony Viramontez et un d’Antonio Lopez, et j’en ai eu le souffle coupé. Je ne peux pas choisir celui qui a le plus d’influence, parce qu’ils sont tellement différents, autant dans leur style que dans la vie. Comment comparer Tony Viramontes à Antonio Lopez, enfin, leurs vies respectives sont tellement extraordinaires. Faire la fête au Studio 54, puis aller à Paris et avoir Jessica Lange et Grace Jones comme colocataires. Et découvrir Jerry Hall, c’est tout simplement incroyable!

Pendant ce temps, ils prenaient des polaroïds et réalisaient des illustrations… Une telle énergie créative, je veux dire, quelle chance nous aurions eu de les côtoyer au cours de notre vie. À cette époque, l’illustration était une forme d’art très prisée. Elle était vraiment valorisée dans la mode et en faisait grandement partie. J’en avais entendu parler de vos inspirations, mais bien sûr la période où vous avez grandi à New York, le début de l’ère Boy Bar, c’était la même génération également.

C’est également ce qui m’a aidée à décider si je devais aller à l’école, parce que tous ces géants œuvraient dans le domaine, et je pensais qu’il y aurait une place pour moi, mais lorsque l’épidémie [VIH/sida] a commencé et qu’ils ont commencé à mourir les uns après les autres, ce regard et cette énergie sont partis avec eux. Ensuite, tout a vraiment basculé dans la photographie. Et je me suis demandé si je serais capable de subvenir à mes besoins?  Est-ce que je vais pouvoir faire mon chemin dans ce monde en tant qu’illustratrice? Un monde qui tend à s’amenuiser et à disparaître?  On voyait de temps en temps des illustrations, mais comment faire pour y arriver ? Je n’ai pas d’éducation formelle et je n’ai pas de connexions. comment y arriver dans cet univers qui se concentre maintenant sur la photographie… Tous mes héros avaient disparu. Je ne pouvais pas exactement leur demander conseil.

C’est intéressant de réfléchir à l’ampleur de ce qui a disparu avec la mort de ces légendes, mais également de celles des gens qu’ils côtoyaient. On a assisté à une décimation absolue dans les années 80. Des univers créatifs tout entiers ont été décimés.

Oui, tous ses héros, ses amis, des gens qu’on avait rencontrés en passant. Si vous demandiez, « Oh, qu’est-il arrivé à… ? » et la réponse était « il est mort ». Il fallait se ressaisir et continuer à avancer, pas seulement pour soi, mais pour eux et pour une lumière au bout du tunnel de toute cette dévastation.

Je crois fermement que l’avenir est prometteur. À mesure que les gens apprennent à vous connaître en tant qu’illustrateur et artiste visuel, nous ne savons même pas encore ce qui vous attend. Je veux dire, au nom de Never Apart et de moi-même, que je suis très reconnaissante d’avoir participé à la réalisation de cette série. Je suis heureuse de vous connaître et d’avoir discuté de la sorte.

Ce fut un plaisir d’apprendre à vous connaître, de découvrir Never Apart et de constater qu’il existe un espace inclusif comme celui-ci, qui défend les intérêts de tous et toutes et qui est s’efforce de partager les artistes avec le monde.

(Interview has been condensed and edited.)

Photo: Jeiroh Yanga

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