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Le calme et l’improvisation: une entrevue avec Lyndsie Alguire

Écrit par

Leticia Trandafir
mars 9th, 2018

«Je veux captiver les auditeurs et les laisser suspendus dans cet instant, altérant la manière dont ils vivent le passage du temps. Les sons devraient favoriser une transition d’une réflexion consciente à une expérience plus émotionnelle et physique.» C’est ce que l’artiste Lyndsie Alguire veut accomplir durant sa performance pour Practice le 17 mars à Never Apart.

«J’improviserai à partir d’un petit groupement de sons, en travaillant l’harmonie et la texture. Les sons s’uniront en un tout qui deviendra de plus en plus immersif au fur et à mesure qu’il progresse»

Lyndsie Alguire est une musicienne, photographe et mannequin basée à Montréal. Les textures délicates, sensuelles et mélancoliques de sa photographie, je les ai  retrouvés aussi dans sa musique. La sensation est celle du souvenir d’un rêve qui s’éfface alors que la journée progresse, pour ne laisser place qu’à un affect doux-amer.

Comment décrivez-vous votre musique à quelqu’un qui ne l’a jamais entendue auparavant ?

Ma musique est souvent éthérée, texturale et détaillée. Elle repose sur l’improvisation avec une attention particulière au calme. Elle est surtout à base de piano ou de synthétiseur avec du chant non verbal et d’enregistrements sur le terrain.

Comment avez-vous appris la musique, et comment avez-vous vécu ce processus d’apprentissage?

J’ai supplié mes parents pour des leçons de piano dès un jeune âge et j’ai commencé vers l’âge de sept ans. J’ai reçu une formation classique à travers le répertoire du Conservatoire royal de musique. J’avais un professeur de piano, ainsi qu’un professeur de théorie, et on m’a encouragée à passer les examens du conservatoire.La pression de suivre cette trajectoire et le trac que j’ai ressenti durant ces examens m’ont poussée à abandonner mes leçons. Je me suis ensuite concentrée sur la flûte, l’instrument que j’apprenais à l’école secondaire.

À l’époque, mon synthétiseur n’avait qu’un dispositif d’enregistrement à deux pistes ; c’est la manière dont j’ai commencé à composer de la musique et c’est également ma première expérience avec les enregistrements multipistes. Mon professeur de musique à l’école secondaire a mis en place un studio d’enregistrement et a commencé à enseigner l’ingénierie du son, ce qui m’a passionné un tel point qu’il m’a finalement laissée apporter de l’équipement chez moi, où je pouvais étudier les manuels et expérimenter.

À quoi ressemble votre processus d’écriture et de composition ?

Ça commence toujours avec une humeur et de l’improvisation. Je ressens quelque chose que je ne n’arrive pas à mettre en mots, mais que je souhaite décrire, documenter et partager d’une certaine façon. Il m’arrive fréquemment de lancer l’enregistrement et de simplement commencer à jouer, soit au piano numérique ou avec mon synthétiseur et des pédales pour faire des boucles. Une fois que j’ai assez de contenu, je commence le montage et les arrangements. Lorsque j’ai une sorte de charpente, je peux débuter la surimpression et ajouter plus de détails. Je réserve les voix et les enregistrements sur le terrain pour la fin.

Quels instruments, effets et technologies utilisez-vous dans votre création musicale et de quelle manière ?

J’ai un set up simple et basique. J’ai un Roland HP-2 que j’utilise comme un contrôleur MIDI pour la musique axée sur le piano. J’utilise encore Reason par Propellerhead pour tous mes pianos ; c’est le premier logiciel DAW que j’ai eu et j’ai fini par m’identifier aux patchs de piano que j’utilisais au début. Ils font partie de ma voix. Le Zoom H4n pour prélever des enregistrements sur le terrain et d’autres samples. Quoique récemment, j’utilise surtout la configuration que j’utilise en live pour composer, donc ma voix a changé au cours de l’année dernière. J’utilise un microKorg, un TC Electronics Ditto, la pédale Line6 M13, un Fairfield Electronics Shallow Water et un Shure SM57.

Pour ce qui en vient aux effets, j’aime beaucoup le time-stretching, les séries de délais, la réverbération à convolution et la distorsion fuzz. Les deux premiers apportent à mon son (et à moi) une sensation de calme ou de suspension. La distortion fuzz est très physique pour moi.

Comment le son influence-t-il votre état mental ? Utilisez-vous le son pour moduler votre humeur, et si oui, de quelle manière ?

Le son est tout pour moi. Je suis facilement distraite par le son et je me sens très dépassée par les environnements bruyants, alors j’aime le silence autant que j’aime le son. Je crois qu’ils vont de pair. Je ne suis pas religieuse, mais j’adore cette citation d’Arvo Pärt : « Le silence est la pause en moi quand je suis près de Dieu. »

Si j’écoute quelque chose, et bien c’est probablement la seule chose que j’écoute pendant au moins une semaine parce que je tiens à rester dans cet état d’esprit — l’observer dans ses moindres détails plutôt que d’accepter sa fugacité. Je veux la laisser tout filtrer, dominer mon corps et appuyer ou confronter mes pensées et mes émotions.

C’est lorsque je joue ou que j’enregistre que je me sens le plus en paix. Je suis entièrement concentrée et présente, et tout le reste ralentit d’une façon absolument grisante. C’est à la fois la pleine conscience et une évasion. C’est ma manière de communiquer et de contrôler mon environnement acoustique.

Si je me sens particulièrement anxieuse, j’aime écouter des choses très fort. Si fort que je n’arrive plus à penser. Ça me fait sortir de ma tête et me recentre dans mon corps.

Quel lien entretenez-vous avec l’auditoire lorsque vous vous produisez ?

Je ne me vois pas comme une interprète et je ne veux pas être le point de mire de l’auditoire. J’espère toujours que les auditeurs accepteront mon invitation de vivre ce moment de calme et auront leurs propres expériences, personnelles ou collectives.

Quelle place le corps occupe-t-il dans votre pratique artistique, musicale ou visuelle ? Pouvez-vous nous parler de votre relation face au corps, de votre corps en relation à votre art ?

Ma relation avec mon corps, comme je crois que c’est le cas pour la plupart, est complexe et en constante évolution. Je n’ai pas encore exploré mes pensées et mes sentiments face à mon corps quand je fais de la musique chez moi, mais lorsque je me produis en direct, mon instrument est une extension de mon corps et il remplit la pièce. C’est le seul moment où je peux prendre autant d’espace et me sentir puissante de cette manière.

D’autre part, l’art visuel m’a grandement aidée à me sentir connectée avec mon corps et l’accepter. Grâce au mannequinat et à la photographie, j’ai appris de meilleurs moyens d’établir mes limites et de respecter celles des autres. J’explore ma capacité de confiance, d’intimité et de vulnérabilité. Je repousse également les limites d’endurance et de flexibilité de mon corps. Le fait de voir de quoi mon corps est capable me fait sentir puissante et renforce mon lien avec ce dernier.

J’ai commencé le métier de mannequin à 19 ans, alors que j’étais à mon poids le plus faible. Même à cette époque, certains collaborateurs me disaient de rentrer le ventre. Comprendre qu’il n’y aurait jamais « d’assez mince » m’a aidée à accorder moins d’importance à l’aspect esthétique de mon corps et à me concentrer davantage sur ses forces et ses faiblesses uniques.

Votre pratique inclut la musique, la photographie et le mannequinat. Quel est le fil conducteur entre ces aspects de votre pratique ?

Le calme et l’improvisation. Mon processus est le même pour chacun d’entre eux : Il faut tout simplement commencer et quand on a terminé, on arrête. Le montage et le peaufinement viennent après.

J’espère que tous les trois sont immersifs pour les auditeurs ou spectateurs et les encouragent à se laisser le temps de vivre ce moment suspendu.

Photos par Sofia Ajram

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