close

L’Amazonie brûle: entrevue avec Paul Rosolie, défenseur de l’environnement

Écrit par

Emma Dora Silverstone-Segal
septembre 14th, 2019

Le ciel de San Paolo est rempli d’une fumée noire si épaisse qu’elle bloque les rayons du soleil. Des images apocalyptiques envahissent les fils d’actualité de nos médias sociaux et dominent nos écrans de télévision. Le monde dénonce enfin un problème qui dure depuis plus d’une décennie. L’Amazonie brûle. La forêt tropicale brûle. La jungle se meurt. Les arbres sont en flammes et les animaux tentent de sauver leur peau sans avoir nulle part où aller. Mais cela dure depuis des années, pourquoi le monde n’en entend-il parler que maintenant ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelle en est la cause ? Comment pouvons-nous l’arrêter ?

L’écologiste Paul Rosolie a passé les treize dernières années sur le terrain à protéger l’Amazonie occidentale à la frontière du Pérou avec son organisme Jungle Keepers. Il est témoin chaque année de la dévastation causée par ces incendies — et on ne parle même pas d’une année record pour les incendies en Amazonie.

Né à Brooklyn, New York, Rosolie a toujours ressenti un lien fort avec les animaux et la nature. Il a abandonné l’école secondaire après sa deuxième année, a réussi ses examens de General Educational Development (GED) et est allé directement à l’université. Depuis, il s’est donné pour mission de sauver le bel et fragile écosystème des forêts tropicales qu’il considère comme les poumons de notre terre.

Qu’est-ce qui est venu en premier, la poule ou l’œuf ? L’agriculture sur brûlis a-t-elle engendré ces feux ou est-ce plutôt le début de la saison sèche qui en est la cause ?

Le feu est une composante naturelle de l’écosystème d’une forêt si on parle de l’ouest des États-Unis, mais ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit des forêts tropicales de l’Amazonie. Les fermiers de tous les différents pays du bassin amazonien attendent toute l’année pour couper les arbres et une fois la forêt abattue, ils laissent les arbres cuire au soleil, ce qui est très intense, puis ils y mettent le feu. Nous sommes encore au début de la saison sèche, les choses pourraient très bien empirer.

Ces incendies ont-ils été causés par l’industrie bovine ?

Le fait est que 60 % de l’Amazonie a été rasé à cause de la production de viande bovine. En réduisant la demande de viande de bœuf, nous pouvons lutter contre la déforestation en Amazonie. Ceci dit, je ne crois pas que le fait de devenir végétalien résoudra tous nos problèmes ; je crois plutôt en une utilisation plus organisée des terres.

Mais que dites-vous à quelqu’un qui mange du bœuf parce que c’est une source de nourriture accessible et bon marché ?

Tout d’abord, ce ne sont pas les éleveurs de bœufs qui sont à l’origine de la demande. Commençons par ça. La demande pour le bœuf brésilien provient de la Chine, des États-Unis et des pays européens. Les Brésiliens ne consomment pas la quantité de bœuf susceptible de complètement déboiser l’Amazonie. Par conséquent, il s’agit des décisions que nous prenons dans les pays industrialisés : nous pouvons dire que nous n’allons pas appuyer les entreprises qui en sont responsables. Sur le plan personnel, vous pouvez faire une différence en achetant de la viande de source durable, en vous assurant que votre soja ne provient pas de l’Amazonie et que vos autres produits végétaliens santé ne contiennent pas d’huile de palme.

Comment ces incendies affectent-ils les communautés locales et autochtones ?

Rien ne peut empêcher quelqu’un, vous et moi y compris, de prendre soin de sa famille et de subvenir à ses besoins. Pour les gens du coin, l’agriculture sur brûlis est souvent la seule chose à laquelle ils ont accès et la seule chose qu’ils connaissent. Ils abattent la forêt tropicale et en cultivent les terres, mais souvent sans savoir que le sol de la forêt tropicale, en particulier dans l’Amazonie, ne contient pratiquement pas de nutriments. Une fois que vous brûlez la forêt, vous n’avez que quelques années de production agricole avant d’avoir des terres stériles et de devoir recommencer le processus. Il s’agit donc d’une situation totalement non durable, et cela, dès le départ.

Mais ce que je m’efforce de faire depuis treize ans, c’est de trouver d’autres options. L’argent parle. Ce n’est pas une mauvaise chose ; ça ne signifie pas pour autant que le monde est un endroit pourri. Les gens ont besoin de survivre et nous vivons dans une économie. Par exemple, j’emploie des gens pour être cuisiniers, guides et conducteurs de bateaux pour l’écotourisme. Nous amenons des gens dans la jungle, j’emploie des gens de toutes sortes, des anciens mineurs, bûcherons, braconniers et agriculteurs, qui ont davantage de plaisir à faire ce travail et gagnent davantage d’argent — c’est une situation gagnante pour tout le monde.

En ce qui concerne les peuples autochtones, ils se sont révélés être le meilleur moyen de protéger l’environnement. Il y a environ vingt-ans, il régnait partout dans le monde une vision occidentale presque exclusive de la conservation, selon laquelle le moyen de sauver la forêt était de tenir les gens à l’écart de la forêt, alors que l’on comprend maintenant que ce n’est pas le cas. Ce n’est simplement pas juste. Les autochtones sont les personnes les plus conscientes du fait que l’écosystème leur permet de gagner leur vie et par conséquent sont les personnes les plus investies dans sa protection. Lorsqu’une société minière s’installe, si les personnes du coin viennent récemment de rejoindre la région et sont originaires d’ailleurs au pays, elles sont probablement beaucoup plus susceptibles de vendre des droits sur la terre pour gagner de l’argent. Les autochtones, quant à eux, ont tendance à être beaucoup plus liés à la terre sur le plan spirituel et émotionnel et sont investis dans la protection de leur mode de vie. Ces gens sont notre meilleure chance.

Mais pourquoi Bolsonaro rejette-t-il le financement de l’Europe pour éteindre les incendies ?

La question du colonialisme et du Brésil remonte à très très loin — on en parlait déjà dans les manuels scolaires — et l’idée se résume à « nous devons occuper l’Amazonie pour empêcher qu’on nous la prenne. » Pratiquement tous les gouvernements du monde ont utilisé la nature sauvage comme wasteland, un endroit qui n’est pas considéré comme une ressource économique contribuant à la richesse de la nation. Avec le Brésil, ils ont cette forêt géante, et ils se sont dit : « Si nous ne nous enrichissons pas, que faisons-nous de nos terres ». De son côté, la communauté internationale se demande : «  Que pouvons-nous faire, comment puis-je aider, nous nous sentons si impuissants ». Et bien, nous devons commencer à élire des leaders qui comprennent l’interconnectivité de la planète entière. Des leaders qui comprennent que le fait que la forêt amazonienne fournit un cinquième de notre oxygène et un cinquième de notre eau douce est important pour tout le monde. Alors, qu’il s’agisse d’imposer des amendes au Brésil pour la déforestation tout en établissant des avantages économiques ou de payer directement les gens de l’Amazonie pour leurs services écologiques parce qu’ils possèdent ce trésor biologique dont nous dépendons tous, nous pouvons aider la cause.

Pensez-vous vraiment qu’il y a une prise de conscience assez importante dans le climat politique mondial actuel pour que la majorité des gens puissent utiliser son vote comme moyen d’inciter au changement ? S’engager en faveur d’un changement de paradigme des mentalités afin de faire de la conservation de l’environnement un enjeu incontournable et à l’avant-plan de leur prise de décision ?

Absolument. Le simple fait que nous puissions déjà constater que les pressions exercées par les médias sociaux ont un effet le prouve. Bolsonaro n’aurait jamais même songé à envoyer des pompiers si ce n’était de toute cette indignation internationale. Les gens ont une voix, mais ils se sentent également impuissants.

Prenons l’Indonésie, par exemple, où les forêts brûlent pour produire de l’huile de palme. Les consommateurs ont tenu les sociétés responsables de leurs actes en disant qu’ils n’achèteraient plus leurs articles. Le Nutella vient de faire l’objet de critiques pour sa teneur élevée en huile de palme et, même s’ils l’adorent, les consommateurs ont dit : « Tant pis, nous n’achèterons plus de Nutella jusqu’à ce que vous arrêtiez de tuer des orangs-outans et des éléphants. » Les entreprises réagissent à cela, car leurs portefeuilles s’en ressentent. Si nous élisons un leader américain qui s’intéresse à la viabilité à long terme de la vie sur terre et à la santé des écosystèmes, alors nous pouvons absolument le faire. Les accords et les traités commerciaux n’enlèvent rien aux électeurs, c’est plutôt le contraire.

Je l’espère sincèrement, parce qu’il me semble que les gens s’en soucient seulement quand le changement climatique ou un désastre environnemental commence à affecter leur quotidien. Ce qui m’effraie c’est qu’au moment où nous commençons à voir ce genre de répercussions, c’est presque comme s’il était déjà trop tard. Les gens sont détachés de ce dont ils ne sont pas tangiblement témoins. Cela me porte vraiment à croire que les dix prochaines années seront une période cruciale pour l’avenir de notre planète. Tout va bientôt atteindre son paroxysme, si nous ne commençons pas à prendre des mesures immédiates.

Je dois aborder deux sujets très importants. Premièrement, nous devons cesser de nous sur l’appellation changement climatique. Lorsque quelqu’un mentionne le changement climatique, je dois citer des recherches de la NASA et tous ces trucs intenses que les gens ne peuvent sentir, goûter ou toucher. La moitié de la population mondiale vit en milieu urbain et n’est pas en contact avec son écosystème. Je me promène partout au pays et je parle rarement de changement climatique, je parle de statistiques et de données mesurables que je peux prouver. La crise de l’eau, elle sévit partout dans le monde. La perte de biodiversité, l’extinction de 50 % de tous les animaux sur notre planète au cours des cinquante dernières années. Voilà le genre de sujets dont je parle, parce que c’est prouvé, nous l’avons prouvé.

Tout à l’heure, vous avez dit « les dix prochaines années » ; je crois sincèrement que la nature est la chose qui ne devrait pas être un enjeu partisan, particulièrement aux États-Unis. J’ai parlé avec toutes ces sources d’information de gauche comme MSNBC, mais c’est le silence complet de la part d’agences de presse comme Fox News parce que ça ne cadre pas avec leur vision du monde. L’environnement doit être une question sur laquelle nous sommes tous sur la même longueur d’onde parce qu’on parle ici du bien-être de chaque individu. La base de référence de toute économie est l’environnement, il ne devrait donc pas s’agir d’une question partisane, mais d’une question qui nous unit. La nature se rétablira, il n’est pas trop tard. Nous devons simplement arrêter de la détruire avant qu’elle n’ait eu le temps de le faire.

Un autre facteur plus important que nous devons aborder est l’importance considérable accordée à l’action individuelle qui exclut entièrement le changement systémique devant se produire.

Oui, j’y pense beaucoup. Notre société et notre économie sont tellement dépendantes et axées sur le personnel que j’ai parfois bien peur que nous ne puissions pas y arriver.

C’est le problème que je constate avec les feux amazoniens. Certains disent : « C’est quoi le problème ? Ces feux se déclenchent tous les ans. » C’est exact, mais ça ne veut pas pour autant dire que ces feux ne sont pas néfastes. D’autres disent que les hommes sont à l’origine de ces feux et non le changement climatique. Oui, mais cela ne veut pas dire que cela n’entraîne pas non plus un changement climatique. Tout le monde essaie toujours de trouver un moyen de contourner le problème pour éviter d’avoir quelque chose d’impératif à changer.

Je pense qu’il est difficile pour les gens de s’en soucier quand cela n’affecte pas directement leur mode de vie.

Je considère important lorsque nous parlons de cette question, et d’ailleurs, si c’est bon pour les gens, c’est bon pour l’environnement, de se demander la façon dont cela affectera l’économie, le climat… Je vis en Amazonie depuis treize ans et chaque acre de cette forêt abrite des millions et des millions d’animaux. Quand je suis dans ces incendies, chose que j’ai faite, il y a littéralement des singes qui fuient pour sauver leur vie, des jaguars, des serpents, des oisillons et toutes sortes de faune qui se sauvent des flammes ou gisent morts dans les champs parce qu’ils n’avaient absolument nulle part où se réfugier. On peut faire le cumul de tous les génocides, les guerres et de tout ce que les êtres humains s’infligent entre eux et c’est loin d’être comparable à ce qu’on fait aux animaux.

Quelle est, selon vous, la plus grande idée fausse concernant les incendies d’Amazonie qui se produisent à l’heure actuelle ?

Quelques personnalités connues et certaines sources d’information disent que nous devons aller éteindre ces feux, mais une fois de plus, elles ne pensent qu’à la partie continentale des États-Unis et croient qu’envoyer un avion déverser de l’eau en Amazonie résoudra le problème. Non, il ne s’agit pas d’éteindre les feux, il s’agit de protéger suffisamment l’Amazonie qui à son tour génère des nuages de pluie pour que les feux n’aient pas lieu. Éteindre les feux rime à prendre de l’aspirine pour son cancer. Ça n’a pas de sens.

Wow. C’est une analogie frappante.

Oui, je sais. Mais pensez à toutes ces choses complexes dont nous venons de parler. Pour la personne moyenne qui doit courir dans tous les sens, qui a des enfants, un emploi, des factures et peut-être même un parent malade, entendre que le monde s’écroule est difficile à comprendre et semble hors de son contrôle. Mais en fin de compte, c’est très simple : nous ne devrions pas voter pour des gens qui n’ont pas de bonnes politiques environnementales. Nous devons être des consommateurs responsables et nous devons faire pression sur les entreprises afin qu’elles comprennent que nous ne sommes pas d’accord avec la destruction de notre planète. Si vous pouvez vous permettre un abonnement Netflix, vous pouvez vous permettre de donner quelques dollars chaque mois à un organisme de conservation qui protège les habitats naturels et la faune. Que vous vous préoccupiez de la nature ou non ou soyez simplement humanitariste, rien ne cause plus de famines et de souffrances humaines que la détérioration de la nature. Voici une autre analogie : un avion qui vole dans le ciel s’écrasera-t-il si vous enlevez une vis d’une de ses ailes ? Probablement pas. Mais combien de vis pouvez-vous enlever d’une aile d’avion, avant que celui-ci ne s’arrête de fonctionner ? C’est compliqué, mais c’est simple. On doit juste arrêter de couper des arbres.

Photos by Paul Rosolie

Voir les commentaires

Sans commentaires (Cacher)

Laisser un commentaire

Les champs obligatoires sont marqués d'un *.
Votre adresse email ne sera pas publiée.