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Baron Samedi Monologue

Écrit par

Laurent Maurice Lafontant
mai 10th, 2021

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Dans le vaudou haïtien, Baron Samedi est un loa (esprit) de la mort et de la résurrection. Associé à la mort dans une religion souvent diabolisée, il est facile de ne voir en Baron Samedi que le côté funeste et morbide. Surtout que dans nos sociétés contemporaines occidentales, la mort est vue sous un aspect négatif. On cherche à la cacher et à l’évacuer de nos vies, comme si les deux étaient en opposition. Tout le contraire de ce que l’auteure et artiste Dieuvela Etienne, nous témoigne dans son œuvre « Baron Samedi Monologue ». Pour elle, on ne peut parler de l’un sans évoquer l’autre puisque la vie et mort sont comme des jumelles.

« Que serait la vie sans la mort ? Que serait la mort sans la vie ? Comme deux âmes sœurs, l’une complète l’autre. Loin de se détester, elles s’aiment. Et la mort suit la vie pas à pas, et la vie jaillit dans les deux mondes visibles et invisibles. »

« Je suis l’entrée et la sortie de toute vie. Je suis le fil d’or tissant la famille. Je suis la clé de toute naissance, car je suis dieu de la conjonction génitale. Je suis le célébrant de votre origine charnelle. »

À travers le discours de Baron Samedi, c’est la Vie que Dieuvela nous invite à célébrer dans toute sa liberté, sans honte et sans tabou. Du point de vue de son Baron Samedi, s’il faut mourir, il faut aussi surtout vivre. Et la vie pour lui n’est pas la retenue et le renoncement aux plaisirs et au moi. C’est plutôt une communion avec son environnement qui s’exprime par la fête, la danse, le sexe et l’amour. Ici, le dieu de la mort est connecté à tous les aspects de la vie, et la mort n’est que la continuité de l’existence. Rien ne s’arrête.

« Je viens vous dire que le chemin est infini. Il contient des courbes mais pas une fin. »

 

Dieuvela voit le vaudou comme une spiritualité libre qui évolue à l’instar de la vie. Celle-ci n’est ni écrite, ni figée, et enfermée dans un livre Saint. Baron Samedi n’est pas punitif. Il n’inflige pas de châtiments. L’humain est seul avec sa conscience.

 

« De l’autre côté, l’enfer des hommes n’existe pas. Et aucun jugement ne vous attend à part celui de votre conscience. Vous serez face à vos actions. Vous verrez ce que vous avez expérimenté, appris et accompli. »

 

Les esprits communiquent directement avec l’humain et font partie intégrante de leur environnement et de leurs activités. Dieu n’est pas distant et au-dessus des affaires humaines et terrestres. Le dieu et le spirituel sont constamment ramenés à l’état humain et à la vie sur terre. Dans le vaudou, les esprits n’ont pas de corps propre à eux. Ils s’expriment en chevauchant les corps des vivants et en s’immisçant dans leurs rêves. Peu importe si l’esprit est masculin ou féminin, il peut prendre possession de tout individu, quels que soient son sexe ou son genre. Chaque humain a sa propre relation avec l’esprit et est appelé à vivre en harmonie avec son être. C’est ce que fait Dieuvela Etienne en nous partageant sa réflexion sur le monde avec son interprétation du Baron Samedi en s’inspirant de ce que représente ce loa dans le vaudou.

 

Les mythes, les histoires spirituelles et religieuses ont été utilisées pour expliquer notre présence sur cette terre, pour comprendre les mystères de l’existence, ce qu’il y a après la mort. Pour les permettre de nous accompagner dans notre cheminement de manière authentique, il est nécessaire de les réinterpréter en fonction de notre époque, des nouvelles connaissances apprises au cours du temps et des problématiques actuelles. Le vaudou haïtien a été la religion créée par les esclaves pour garder leur humanité dans un système qui les traitait comme des êtres dépourvus d’âmes et aussi pour personnaliser la nature qu’ils habitaient. Diabolisée depuis toujours au profit des religions chrétiennes, Dieuvela nous amène à voir le vaudou autrement et continue de faire vivre cette spiritualité qui a contribué à l’indépendance haïtienne en réunifiant les anciens esclaves et en leur redonnant une identité commune basée sur les cultures africaines, amérindiennes et européennes. Aujourd’hui, Dieuvela invite les Haïtiens et leur descendance à se reconnecter avec l’histoire du vaudou dans un processus de décolonisation des pensées et mentalités.

 

Alors que le spectre de la mort s’est introduit à grand fracas dans nos vies avec la pandémie de la Covid-19, l’incertitude de notre monde n’est plus voilée, notre contrôle illusoire sur la vie est démasqué. Nous sommes amenés à repenser notre place dans le monde, notre rapport avec notre planète. Le monologue de « Baron Samedi » nous rappelle de profiter de la vie, de jouir de l’instant présent et de ne pas attendre pour être soi-même.

 

« Beaucoup d’humains ne vivent plus. Ils se sont laissé mettre en cage par le jugement des autres. Et comme des bêtes de foire, ils se contentent de plaire en se montrant normaux, civilisés, dressés. Moi, je suis celui qui dérange et loin d’être intimidé, j’épouvante. »

 

« Le temps de la liberté, c’est la vie que vous avez en ce moment même. La vie est un fruit mûr qui ne tarde pas à pourrir. Il faut la croquer sans perdre de temps. »

 

 

Le livre « Baron Samedi Monologue » de Dieuvela Etienne est disponible à :

 

LIBRAIRIE RACINES

6524, Saint Hubert, Montréal (Québec, Canada)

 

BOTANICA 7 FEUILLES

2708, Boulevard Concorde Est, Laval (Québec, Canada)

 

Vous pouvez suivre Dieuvela Etienne sur sa page Facebook.

À propose de l’auteur

Laurent Maurice Lafontant est né en Haïti et a immigré au Québec en 2001. En 2008, il obtient son diplôme de l’Université Concordia à Montréal en Beaux-arts après une double majeure en études cinématographiques et études littéraires. Depuis 2008, Laurent s’implique dans la communauté LGBTQ+ en devenant intervenant au Gris-Montréal et bénévole à Arc-en-ciel d’Afrique, un organisme qui œuvrait pour les personnes LGBTQ+ des communautés noires. Il a réalisé deux courts documentaires sur la question de l’homosexualité au sein des communautés noires à Montréal: Être soi-même (2012) et Au delà des images (2014). Laurent est actuellement le président de la Fondation Massimadi, et le coordonnateur de l’évènement Massimadi: festival des films et des arts LGBTQ+ Afro. Laurent est également un écrivain qui a publié son premier roman « La dernière lumière de Terrexil » au printemps 2018.

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