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C’est toi qui décides

Écrit par

Iman M’Fah-Traoré
juillet 7th, 2021

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Mon coming out était anodin et sans histoire et je garde sa chaleur douce amère en mémoire.

J’ai ramené une femme à la maison, alors que nous nous approchions de chez moi main dans la main, ma mère est sortie dans la rue pour acheter du vin. Les yeux écarquillés, j’ai poussé celle avec-qui-j’allais-peut-être-être devant ma mère avec un sourire gêné et des joues légèrement rouges. De ma bouche est sorti un vague semblant de présentation. Nous sommes entrées dans la maison en nous attendant à trouver mon père et mon oncle choisis en train de boire un verre dans la cuisine, mais nous nous sommes plutôt retrouvées face à une horde d’adultes buvant avant un concert qui nous regardaient fixement. Surprise, hésitante et un peu bouleversée, je leur ai présenté mon « amie » légèrement stéréotypée et très clairement non hétéro. La tension ou la question était palpable. Les adultes ont fini leurs verres, bavardé, jeté quelques coups d’œil à nos postures maladroites et à nos visages apparemment figés, et nous ont offert le soulagement de leur absence.

— Amusez-vous, mais pas trop, ai-je dit, ma confiance retrouvée, à l’un des traînards.

— La vraie question, c’est ce que vous, vous allez faire, a-t-il répondu, en nous pointant tour à tour du doigt au rythme de chacune de ses syllabes.

Après des ricanements involontaires et les adultes partis, j’ai regardé dans les yeux de celle que j’allais bientôt appeler ma petite amie avant de mûrir et de rejeter ce terme pour le remplacer par celui de partenaire. Le lendemain, nous avons quitté Brooklyn pour nous rendre en ville où nous avons profité du typique dimanche après-midi des jeunes sans le sou dans Washington Square Park, avant de la raccompagner chez elle.

Sur le chemin du retour, j’ai imaginé toutes les façons dont se déroulerait la discussion découlant du fait de l’avoir invitée chez moi en guise de coming out. Enfin, toutes sauf une….

Personne n’a rien dit, ni ma mère, ni son mari, ni son frère, pendant tout le repas. J’ai commencé à débarrasser la table. Ma mère a répondu à ma nervosité palpable par une question simple, mais empreinte de sens. 

— T’attends quoi, une validation?

— Ça ne nous dérange pas, ce que tu fais, a ajouté mon père.

Le tout pour dire qu’il n’y avait rien à valider ou même à reconnaître. Je ne peux pas dire avec certitude si leurs paroles découlaient de l’intention de me faire sentir que ma sexualité n’avait vraiment aucune importance ou si elles étaient le fruit d’un malaise. Des vibrations saccadées et des non-dits audibles. Leurs esprits semblaient s’agiter tandis que mes pieds se dirigeaient vers l’évier. La vaisselle en main, j’ai savouré la douceur de l’acceptation, mais je me suis sentie blessée par le désintérêt. Pas que mes parents n’aient jamais été particulièrement enthousiastes à l’annonce de nouvelles personnelles, mais, pour la simple raison qu’il devrait y en avoir une, je m’attendais à une réaction qui m’aurait fait sentir d’une manière ou d’une autre. Au lieu de cela, je n’ai ressenti ni l’un ni l’autre. Une étrange combinaison de soulagement et une soif inassouvie d’attention.

Le mieux qu’un enfant gai peut demander est d’être accepté et cette acceptation m’a été donnée de la manière la plus simple qui soit, mais je suis restée quelque peu insatisfaite, ce qui m’a amenée à me demander pourquoi… Indépendamment de l’acceptation ou du comportement familial, le fait d’être homosexuel·le est considéré par la société comme une épreuve. J’ai grandi sans même savoir que l’homosexualité pouvait être une chose pour moi, car j’étais convaincue que c’était un concept réservé aux hommes. Ayant du mal à comprendre ma place, il m’a fallu des années pour me débarrasser de mon masque bi, après avoir découvert que les femmes qui aiment les femmes, ça existe. Je m’émerveille de la beauté de la génération qui suit la mienne et qui est exposée à la communauté LGBTQQAAIP (personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queers, en questionnement, alliées, asexuelles, intersexes et pansexuelles). Prenons ma petite sœur, par exemple : elle a douze ans, sa sœur aînée est ouvertement et fièrement gai, le frère de sa meilleure amie est trans et elle est consciente du fait qu’elle ne connaît pas encore sa sexualité et elle se sent à l’aise de la découvrir sans avoir peur de ce qu’elle pourrait être. Ma sœur grandit dans une ville, une famille, une communauté qui continuera à l’accepter si elle s’identifie comme lesbienne, asexuelle, pansexuelle, ou toute autre identité qui pourrait être la sienne. Sera-t-elle fière ou vivra-t-elle, tout simplement?

Le concept de la fierté tel qu’il est ancré dans l’histoire découle du choix de la volonté de choisir le combat plutôt que la fuite. Il vient du fait de se sentir en situation de guerre. Cela vient de la nécessité, de l’obligation, de circonstances que nous, les bébés et nouveaux·lles homosexuel·le·s, ne pouvons tout simplement pas comprendre. Je suis éternellement reconnaissante du travail que nos militant·e·s homosexuel·le·s ont accompli pour nous permettre d’en arriver là et je suis infiniment consciente de ne pas pouvoir saisir la gravité de tout cela.

Je ne peux pas saisir les traumatismes, la peur, le combat et leur cohérence envahissante à ce moment-là. Je ne peux que m’incliner en signe de grande appréciation et d’admiration et dire merci. Je ne connais pas les épreuves que vous avez traversées, je ne connais pas la douleur que vous avez ressentie. Je sais être reconnaissante et je sais que ma vie et mon amour sont possibles et visibles grâce à vous. Je suis fière de faire partie de cette communauté qui est la mienne, mais je conteste la notion de fierté d’être homosexuel·le. Naturellement, le fait même que je puisse soulever cette question est un luxe. Si j’étais née dans un endroit où l’on réprimande, dégrade, humilie, bat et assassine des humains parce qu’ils ne sont pas hétérosexuels, je n’aurais pas eu ce luxe. La fierté dans ce sens est liée à la bravoure.

— Félicitations pour ton coming out, tu es très brave.

 Bonne fierté! Tu dois être tellement content·e! 

 

Je ne me sens pas courageuse d’avoir fait mon coming out auprès de ma famille proche, car j’étais parfaitement consciente que rien ne pourrait changer ma position. En revanche, je ressens une légère fierté et une certaine bravoure pour avoir fait mon coming out auprès de ma grand-mère ivoirienne (Côte d’Ivoire, Afrique), car ce faisant, j’avais peur qu’elle ne me considère plus comme sa petite-fille adorée. On ne me mettrait pas à la porte, on ne m’aimerait pas moins, on ne me traiterait pas moins bien. En dehors de la personne que mes parents imaginaient en face de moi à mon futur mariage, rien ne changerait. La fierté existe et est nécessaire parce que certaines personnes sont mises à la porte, moins aimées, moins bien traitées, et pire encore! Remettre en question la notion de fierté est un rêve. C’est se tourner vers l’avenir, vers une époque où personne n’aura besoin de faire son coming out, une époque où pour parler de sexe, les parents ou les tuteur·rice·s diront simplement : « Est-ce que tu sais déjà ce qui t’intéresse, si quelque chose t’intéresse tout court? » Ce sera une époque où la fierté aura moins d’importance, car nous serons complètement intégré·e·s dans la société et nos sexualités auront moins d’importance que nos genres en ont aujourd’hui. 

Nous sommes autres

Ce qui nous fait de nous un·e

Fier·ère·s d’être

Fait·e·s pour l’être

Toujours braves

Défiant le système 

Parfois à terre

Dictant la norme

Un·e de plusieurs

Jamais autres

Je suis fière de la manière dont je me comporte en tant que personne gaie. Heureuse et reconnaissante d’avoir le droit et la capacité de le faire, mais je suis furieuse qu’on me fasse ressentir cela simplement parce que je suis née comme moi. J’espère, je rêve, j’envisage, j’embellis un temps, un espace et un lieu dans lesquels mes enfants ou les leurs n’auront pas à le faire.

À propos de l’auteure

Iman M’Fah-Traoré est une Franco-New yorkaise. Née à Paris, elle a déménagé à New York dans sa jeunesse et s’est spécialisée en politique et gouvernance à l’université Ryerson de Toronto. Elle fréquente actuellement la New School for Global Studies à New York. L’écrivaine ivoirienne et brésilienne est impliquée au sein de The Womanity Project, une organisation à but non lucratif qui vise à promouvoir l’égalité des genres par des ateliers innovants. Elle travaille actuellement sur la publication de son premier livre de poésie. Ses écrits sont spécialisés dans les domaines suivants : LGBTQ+, deuil et traumatisme, poésie et essais sur la race et l’ethnicité.

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