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Passage à l’âge accro

Écrit par

Iman M’Fah-Traoré
juin 7th, 2021

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Tourmente. Détresse. Douleur, culpabilité, traumatisme, drame.

Boire, fumer, sniffer, prendre pour dissoudre.

Ce sont des mécanismes d’adaptation. Malsains, gauches, combattant des coups de couteau avec des coups de couteau. Qu’on transporte à l’âge adulte pour apprendre leurs dangers, leur nature tordue, leurs peurs cachées. Endoctrinés très tôt, les tout-petits et les enfants regardent leurs aînés consommer jusqu’à l’ivresse et font un parallèle avec leurs envies de bonbons et de chocolat. Comme les cigarettes en chocolat qu’on distribue aux enfants français dès leur plus jeune âge pour qu’ils imitent leurs parents : ils sortent un bâtonnet de chocolat de sa boîte en forme de cigarette et font semblant d’inspirer, d’expirer, de tousser tout en riant, avant de décoller l’étiquette pour déguster le bâtonnet à moitié rassis, à moitié crayeux.

Il est difficile de se défaire de la normalisation des vices. Les notions de « j’ai besoin d’un verre » ou « j’ai besoin d’une cigarette », de soigner les maux de l’âme et de l’esprit par un plaisir malsain sont profondément ancrées et influencent notre façon de gérer le stress, les douleurs émotionnelles et les situations difficiles liées aux relations, à la carrière, à la santé, etc. Les mécanismes d’adaptation sont-ils nécessaires et à quoi ressembleraient-ils si on nous apprenait qu’ils doivent être positifs plutôt que l’inverse?

Le passage à l’âge adulte m’a apporté des influences et leur teinte aigre-douce d’excitation juvénile non filtrée et d’abus avides de plaisir. N’étant plus en pleine croissance, mon corps étant tel qu’il sera pour la vie (sauf le relâchement et ridage à venir) m’a donné des notions de croissance imperceptible. Celle dont l’origine est interne, celle qui se propage à travers le dehors. La croissance qui se fait en soi est celle qu’il faut accepter malgré les difficultés qui l’accompagnent.

L’amour de soi, le soin de soi peuvent être à la source d’une grande partie de la justification de l’autogratification dans l’influence excessive pour la consommation :

Tu penseras : je suis tellement fatigué·e.

Tu entendras : fais-toi plaisir, bois un verre.

Tu réaliseras : je suis complètement déprimé·e.

Tu diras :  ne sois pas si difficile avec toi-même, fume un joint.

Le danger de se sentir bien tout en mettant le feu à ses entrailles réside dans l’invisible. Ce que nous pouvons toucher, ce que nous pouvons sentir, c’est ce qui est réel. Si vous en abusez, vous souffrirez. Les sentiments nous rattrapent et nos poumons commencent à pleurer, nos foies à gonfler, nos cerveaux à s’embuer et nous décidons « qu’il est temps de changer! ». Nous faisons maintenant face à des violences auto-infligées. Que faut-il pour ne pas retomber dans des mécanismes d’adaptation familiers pour faire face à un tel mal?

On te dira : tu dois travailler sur toi-même.

On te dira : la première étape est d’admettre que tu as un problème.

On t’encouragera à moitié : c’est difficile, mais si tu persévères, tu peux y arriver

Présenter l’abandon des mécanismes d’adaptation malsains comme un travail difficile et problématique peut être au cœur de leur pérennité. Pourquoi enseigne-t-on que les choses sont faciles lorsqu’on les fait pour les autres, mais difficiles lorsqu’on les fait pour soi? Si le concept d’amour de soi est transposé au niveau des êtres chers, on devrait alors devenir l’un de ses propres êtres chers, ce qui simplifierait le travail sur soi. Imaginez que le fait « d’arrêter » de fumer, de boire, etc. soit prescrit comme le fait « de choisir » ou « d’adopter » une autre tactique d’adaptation, en remplaçant plutôt qu’en perdant quelque chose que, bien que néfaste, vous considériez comme utile, chaleureux et apaisant.

L’ennui avec les mécanismes d’adaptation, c’est qu’ils font chier. Le concept entier est recouvert d’une couche de goudron aux connotations négatives. Les choses que l’on doit désapprendre pour grandir dans le confort de soi, quel ennui. Coincée dans la boîte que sont les stéréotypes et les idées collectives, je n’étais jamais montée dans le train des mécanismes qui ne fonctionnent pas tous, jusqu’à ce que j’attende plus loin sur le quai. Le train s’est arrêté, les portes se sont ouvertes, et les publicités ont inondé mes yeux. Méconnaissables et déroutantes, elles me disaient que tous les mécanismes d’adaptation ne nous font pas sentir comme de la merde, que tous les mécanismes d’adaptation ne sont pas nuisibles et que c’est le principe qui est bancal. Elles m’invitaient à choisir mes nouveaux mécanismes dès aujourd’hui.

J’ai choisi de faire du sport.

Par souci de l’idée selon laquelle tout arrive pour une raison, acceptons qu’il ait fallu tant de temps pour commencer seulement à fixer la notion de mécanismes d’adaptation sains. Ne négligeons pas pour autant l’agacement, car il provient de cette frustration qui aurait pu être évitée. Si l’éducation des mécanismes d’adaptation était enseignée sous cet angle, aucun d’entre nous n’aurait à faire des efforts pour désapprendre les connotations négatives.

« — Rétrécie le chemin vers l’inconscience, dit la Conscience.

— Je vais avoir besoin d’un peu plus d’indices que ça, ma belle, aie-je dit en levant un sourcil.

— Les partis pris, m’a-t-elle répondu. Les humains inventent ça pour avoir quelque chose en quoi croire. Vous prescrivez des compréhensions et peinez à démanteler des idées préconçues en vue de les remodeler en ce dont vous avez besoin pour progresser.

— Alors…, ai-je ajouté en essayant de formuler une pensée.

— Donc…, répéta-t-elle d’un ton moqueur, ce que tu sais n’est peut-être pas ce qui te convient, a-t-elle elle-même prescrit. »

L’idée que les mécanismes d’adaptation sont positifs et sains est en soi un tourbillon de confusion, car même en son sein, il y a de la place pour la négativité. Par exemple, l’exercice physique, qui est sans doute l’un des mécanismes d’adaptation les plus sains, libère votre esprit en vous ancrant, en améliorant et renforçant votre corps. En faire une, deux ou trois fois par semaine est évidemment bénéfique, mais en faire pendant sept heures par jour est indéniablement destructeur. On peut dire la même chose du plaisir de boire un verre de vin tous les soirs, mais se gâter avec une bouteille pleine devient tombe devient de l’excès.

Quelle est la limite entre l’utilisation saine et malsaine de mécanismes d’adaptation soi-disant sains? Considérez la notion d’exutoire par rapport à celle de fuite. La première, une aide, la seconde, un évitement. Dans le premier cas, vous agissez avec les yeux grands ouverts, dans le second, vous les fermez délibérément, vous protégeant ainsi du monde réel.

Une amie m’a récemment demandé :

— Est-ce que tu occupes ton temps avec des femmes?

— Peut-être, je ne sais pas, pourquoi? Ça serait une mauvaise chose?

—Oui, si tu ne fais pas ce que tu dois faire pour l’école, le travail, et tout le reste, c’est un problème . »

Fuir ce qui nous fait souffrir, même par des moyens qui peuvent sembler bénéfiques à notre bien-être général, est tout le contraire de constructif et nous ramène directement au royaume des comportements délétères. S’efforcer de rompre le cycle qui va du malsain au sain, puis au nocif, puis au favorable, puis à l’équilibre, est tellement pénible, aussi bien prendre un verre.

Il existe soi-disant une solution à tout, un seul mot et un seul état d’esprit, qui vous libère des douleurs, de la confusion, des mauvais rêves et du stress imposé par la question « comment je peux gérer? ». On l’appelle « équilibre ». Mais personne ne nous dit comment l’atteindre. Devons-nous simplement nous débattre comme des poissons à bout de souffle et espérer que l’équilibre nous trouvera? Fonctionne-t-il comme l’amour, il ne se trouve pas si vous le cherchez, il faut le laisser venir à nous? L’équilibre est-il une conceptualisation totalement intangible?

Devrions-nous nous efforcer de l’atteindre, ou son existence pure est-elle la cause première de la douleur qu’elle entraîne?

L’un de mes seins est plus gros que l’autre, l’un de mes yeux est plus proche de mon nez que l’autre, mon genou gauche me fait toujours mal, peut-être parce que cette jambe est plus courte que sa consoeur, ma lèvre remonte plus d’un côté, je ne suis pas parfaitement symétrique, je ne suis pas parfaitement équilibrée, alors pourquoi mon esprit et mes actions devraient-ils l’être?

Cela n’a tout simplement aucun sens de demander à des êtres aussi complexes et désordonnés d’atteindre ce que la plupart des balances ne peuvent même pas faire parfaitement. Mon impression préférée de Kant, ou plus précisément la façon dont je l’intériorise, est que nous devrions atteindre la perfection tout en reconnaissant son impossibilité afin de progresser continuellement. On devrait considérer l’équilibre de la même manière, s’efforcer de l’atteindre, mais chérir la réalité que même si nous ne pouvons pas l’atteindre, nous pouvons nous en rapprocher de manière exponentielle.

Ce n’est pas un succès ou un échec, ce n’est pas « relève-toi et recommence », ce pourrait être simplement avancer, avancer de manière constante, parce que les balances vont un sacré va-et-vient avant de s’arrêter sur le bon poids. Le moindre souffle d’air peut provoquer le prochain changement.

La réflexion et autres mécanisme d’adaptation de la pensée suscitent un mouvement indéfinissable, notre nuque se courbe, nos yeux se révulsent et nos cordes vocales émettent un minuscule, mais précieux « fait ch… ».

Ça me donne envie de faire du sport.

À propos de l’auteure:

Iman M’Fah-Traoré est une Franco-New yorkaise. Née à Paris, elle a déménagé à New York dans sa jeunesse et s’est spécialisée en politique et gouvernance à l’université Ryerson de Toronto. Elle fréquente actuellement la New School for Global Studies à New York. L’écrivaine ivoirienne et brésilienne est impliquée au sein de The Womanity Project, une organisation à but non lucratif qui vise à promouvoir l’égalité des genres par des ateliers innovants. Elle travaille actuellement sur la publication de son premier livre de poésie. Ses écrits sont spécialisés dans les domaines suivants : LGBTQ+, deuil et traumatisme, poésie et essais sur la race et l’ethnicité.

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