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Les femmes noires et rondes ont droit au luxe

Écrit par

Collective Culture
juillet 7th, 2021

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Par Alannah Johnson

Édité par Jazmin Batey

Avant que cette année sans précédent n’isole et ne confine nombre d’entre nous, la relation la plus intime que j’entretenais avait déjà commencé à changer. Au début de l’année 2019, mon corps avait à nouveau pris de l’expansion. De nouveaux vestiges du temps, de l’espace et de provenance se sont dessinés sur ma peau et avaient laissé leur marque sur mon large corps noir. J’ai alors commencé à développer une compréhension plus fine de de mon corps qui grossissait et de ma peau noire qui s’épaississait. Je voulais explorer de nouveaux modes de soins et donner un nouveau sens au fait de m’affirmer à moi-même et aux personnes qui m’entourent.

Au plus fort du confinement, j’ai rêvé de créer un espace pour moi rien qu’en m’habillant. Dans un corps plus large, l’espace est un diktat tangible avec lequel il me faut souvent négocier. J’ai décidé que je voulais faire quelque chose qui rende hommage à l’expression de mon gros corps noir malgré les années passées à me débattre pour mettre des vêtements et à me montrer au monde avec très peu d’options parmi lesquelles choisir. Je voulais bâtir une garde-robe. Mais pas une garde-robe générique – une garde-robe grande taille.

Avant ce changement, j’avais rarement considéré les vêtements grandes tailles comme une source de style ou d’identité. Au lieu de cela, je voyais un secteur qui n’existait que par pure nécessité et n’était que vaguement toléré. Trouver des vêtements qui ne s’arrêtent pas à la taille 10/12 reste un défi quotidien. Au fil du temps, j’ai commencé à apprécier le savoir-faire artistique et l’intentionnalité des tailles plus inclusives et des vêtements grande taille. Me boudiner dans des vêtements de taille standard au look « surdimensionné » n’était que m’habiller par dépit. Mon amour pour les grandes tailles confectionnées par des marques appartenant à des Noir·e·s, notamment Zelie for She, Hanifa et Rue 107, affirme mon corps noir et rond d’une manière non négociable. Ces moments où je m’habille dans ma taille sont réparateurs. Néanmoins, dénoncer la grossophobie et la discrimination par la taille qui sont endémiques parmi l’industrie de la mode continue de faire partie intégrante de la lutte pour une justice transformatrice dont les corps grande taille ont besoin et qu’ils méritent.

J’imagine que le mot « gros » perd ses connotations et ses conditions haineuses, laides et injustes. J’imagine les personnes grosses comme étant libres de revendiquer ouvertement leur corps avec la même autonomie dont bénéficient celles et ceux doté·e·s d’autres morphologies. J’imagine que ces personnes – celles qui craignent la normalisation de corps comme les nôtres et utilisent « gros » comme une arme – ne parviennent plus à prendre le contrôle de notre physique, ni de notre émotivité et de nos attitudes envers nous-mêmes.

À dire vrai, je ne prétends pas aimer mon corps chaque jour, je doute que quiconque le fasse. Mais quand je le fais, je suis résolument convaincue que je mérite tout l’amour dont je suis capable. C’est mon luxe. Je m’affiche dans de belles pièces, des ensembles coordonnés d’atelier, disant des affirmations positives à la vue de mon ventre rond dans des robes moulantes interdites et portant des immenses boucles d’oreilles dorées qui rivalisent avec la taille de mon visage, de sorte que je me vois et que je sois vue.

Aimer son corps grassouillet et être à l’aise avec n’est pas une condition préalable à l’accès au luxe. Le luxe nous rappelle simplement que nous existons et que l’amour que nous nous offrons se décline sous plusieurs formes. Peu importe la taille ou le coût, la notion de luxe est une grandeur intérieure. Au grand dam de beaucoup, les corps gros sont normaux et notre plaisir devrait être normalisé. Exister dans un corps gros et l’aimer est normal.

La noirceur est le luxe

Tout au long de mon cheminent, j’ai lu des histoires de femmes noires qui se manifestent à travers le temps dans leur corps corpulent. J’ai commencé à y faire référence à des moments difficiles et à les citer dans des discussions. À présent, les femmes de mon entourage me recommandent des livres, des articles et des fils de discussion sur Twitter qui racontent des histoires de corps gros, de grossophobie et d’affirmation de sa valeur. Elles ne savent pas que ces textes sont souvent difficiles à lire. Le poids des mots me hante souvent de manière inattendue. Ils me prennent au dépourvu dans l’épicerie ou sous la douche et me rendent vulnérable à mes émotions. Les mémoires Affamée (tradution de Hunger) de Roxanne Gay et The Body Is Not an Apology de Sonya Renee Taylor sont restés longtemps en moi.

D’autant plus que ce que l’on qualifie couramment de « bravoure » est en réalité une honnêteté brutale. Nommer les histoires de violence coloniale, de racisme anti-noir et d’esclavage faites sur le corps et leurs effets générationnels n’offrent pas de répit. Ces liens ne servent que de référence pour cartographier notre corps et les traumatismes que nous transportons en nous. Cependant, au fil des pages, j’ai également vu des corps noirs, leur éclat, leur beauté et leur valeur incommensurable. Peu à peu, il m’est apparu évident que la noirceur est un luxe – c’est pourquoi nous le méritons. Notre existence sur terre, dans l’art, la culture et la fantaisie imprègne tous les espaces d’une présence glorieuse.

Lorsque j’éprouve de l’amour pour mon corps, je recherche le rire, qu’il soit moelleux ou plat. Je suis la trace des veines et des marques qui me rappellent que je suis en train de grandir. Je tâte les régions molles et celles qui sont plus fermes et musclées. J’aime la souplesse et les rainures de mon corps, ses ondulations et ses zones charnues qui gigotent et claquent. Mon corps peut soulever des objets lourds, il peut s’étirer et se courber, il peut se détendre, trembler et pleurer. Je sais également qu’il serait tout autant digne d’amour s’il ne pouvait faire aucune de ces choses, et il y a certainement des moments où c’est le cas. Cela me rappelle que ce qu’un corps peut et ne peut pas faire n’est pas et ne sera jamais une mesure de sa valeur, mais nous avons toujours le droit de célébrer ce qu’il peut accomplir. Et nous devons aussi nous reposer. En nous ressourçant, nous trouvons des moyens de réciter que nos corps méritent notre soutien et non des excuses.

Bio

Alannah Johnson est autrice, éditrice, archiviste noire, libératrice des gros corps et professionnelle de la GÉDI. Son travail consiste à révéler les histoires des diasporas noires et à redéfinir les géographies et les futurs noirs. En 2019, elle a fondé le collectif Burgeoning Bodies. Lorsqu’elle ne travaille pas, elle aime voyager, bâtir sa garde-robe grande taille, lire les oeuvres d’Octavia Butler et écouter en cascade des comédies télévisées des années 90 avec sa sœur.

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