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In Spirit: À propos de la douleur physique

La douleur est un monde commun à toute personne humaine de cette planète. Pour des raisons de maladie, maux de corps, douleurs somatiques, tensions liées à un choc, chacun de nous la connaît. Il y a deux types de douleur, et c’est ça qu’il est intéressant d’apprendre à identifier par le senti et un respect profond de cet espace qui va nous enseigner à être plus sensible. Il y a la douleur qui sauve, celle qui permet de ne pas se faire mal. Et l’autre douleur, celle qui est provoquée par la réaction contre la douleur physique.

La semaine dernière, je travaillais avec une artiste qui vient d’Iceland et fait des performances dans l’eau et sur les glaciers. Lorsque je l’interrogeais à propos de son expérience du froid, elle me disait que le corps, lorsqu’il est en choc thermique même léger, a une tendance à se tendre et se crisper, ce qui bloque la circulation du sang qui empêche donc l’oxygénation et le réchauffement du corps. En quelque sorte, le corps fait la même chose avec la tension. Il se raidit contre la douleur qu’il vit comme un choc, surtout si elle est vive. Et c’est là qu’il est intéressant de voir le mécanisme : finalement, ce que l’on sent est la réaction à la douleur, plus que la douleur elle-même. Ça demande une forme d’entraînement, au sens d’explorer, d’habiter et de visiter cet espace pour apprendre à voir la réaction, la sentir, pour la laisser se dissoudre et vraiment rencontrer la douleur qui se cache derrière.

D’un autre côté, cette jeune femme m’expliquait qu’à un certain moment, quand le corps devient trop engourdi, alors il faut sortir de l’eau tout de suite, parce qu’on peut se blesser et ne pas le sentir. La sensation de douleur est aussi ce qui sauve, ce qui permet de préserver le corps. C’est un instinct de survie naturel qui permet de garder le corps vivant et en bonne santé. Donc, en quelque sorte, le travail de sensibilité, c’est vraiment d’apprendre à dissocier les deux espaces. Nous allons parler dans cet article de la douleur et de la réaction psychique qui l’accompagne, parce que c’est l’expérience de presque tout le monde et celle qui engendre le plus de questionnements. Si la douleur était claire, elle ne nous dérangerait pas, nous n’aurions pas besoin de poser la question. Donc, la question, c’est aussi le pressentiment que quelque chose de plus profond se cache derrière la douleur, une possibilité de rencontre avec soi-même, si l’on peut dire.

Finalement, lorsque je sens la douleur qui apparaît, il n’y a pas trop d’autres choix que de laisser vivre. Il n’y a pas grand-chose d’autre à faire. Au plus tu as une disponibilité autour de cette douleur qui se présente, au plus tu vas pouvoir l’écouter. L’acte d’essayer d’éliminer une douleur, comme si elle dérangeait, c’est ça qu’il faut voir. Tout le monde connaît cette sensation qu’il y absolument quelque chose à changer ou à corriger. On anticipe avant qu’elle n’arrive, on prépare des subterfuges pour qu’elle n’apparaisse pas. Ça, ça veut dire qu’il y a une forme de compensation, quelque chose que je ne veux pas sentir et pas voir. Si on rectifie, on va peut-être faire partir la douleur, mais comme l’origine est plus profonde, et elle va se fixer ailleurs. Donc, quand on comprends ce mécanisme, une posture de laisser aller va naturellement être adopté et une présence à l’observation de ce qui est là va se mettre en place. La douleur possède sa juste place.

La douleur est un senti qui peut être un guide extraordinaire dans l’exploration, tant qu’elle ne prend pas une forme qui fait entrer le corps dans un état de réactivité totale, zone où le ressenti est annihilé. Il faut découvrir l’espace où on peut explorer le senti de cette tension qui apparaît, puis son lâcher-prise. L’instant du passage de l’apparition à la disparition est très important. C’est pour cela que quand on pratique, il faut commencer par sentir les espaces de détente du corps, comme ça on apprend petit à petit à apprivoiser et connaître ce ressenti d’un espace dans le corps qui se tend, et simultanément d’un autre espace qui est vide. Habituellement, par réactivité comme on peut le sentir avec le froid, lorsqu’une partie du corps se contracte, instinctivement, c’est la structure entière des muscles qui vont se tendre, un peu comme une réaction en chaîne. Mais il y a une autre possibilité. On peut totalement sentir une zone de tension et en même temps, une autre partie du corps qui fait l’expérience de la détente. Je sens la douleur, mais la réaction n’apparaît pas, il n’y a plus de réaction en chaîne. Et cette expérience n’est possible qu’en permettant au corps et au mental à totalement se donner au senti de l’instant présent, à l’espace où il n’y a plus d’opinion ou de croyance sur comment devrait être le corps, la manière dont il devrait réagir ou pas. Il s’agit de donner complètement à ce qui est là et faire corps avec le senti, dans tous les sens du terme.

J’ai eu des blessures dans le passé, sans elles, je n’aurais jamais pu découvrir certaines subtilités dans mon travail corporel. J’ai compris avec le temps que ce sont des cadeaux pour mieux écouter. Quand j’ai commencé le yoga, j’avais 20 ans, j’avais un corps naturellement très disponible et souple. Lorsque j’ai découvert la pratique du yoga cachemirien, on nous disait de lever une jambe au plafond, ou de descendre en avant, et mon professeur guidait chaque mouvement en parlant de la sensibilité, invitant à sentir les contractions et la limite, les tensions. Je ne sentais absolument rien du tout. J’avais la tête au sol, j’étais en grand écart, et je n’avais rien senti. Je ne comprenais pas de quoi il parlait parce que mon corps avait peu de limites, mais surtout, parce je n’avais aucune sensibilité. Ça m’a pris des années pour découvrir combien mon corps était en résistance et que ma souplesse était une réaction derrière laquelle se cachaient des douleurs. Donc parfois, un corps qui semble souple et très en santé peut en fait être tout le contraire au niveau interne plus subtil.

On pense toujours que pour faire du yoga il faut être souple et avoir un corps très disponible. C’est vrai si le but est la performance, mais c’est totalement faux si vous faites un travail d’écoute. Il faut une souplesse fonctionnelle, mais trop de souplesse casse, elle n’aide pas. C’est quand même très rare dans la vie de tous les jours que l’on ait besoin de faire le grand écart, où que l’on ait besoin de fermer le coffre de sa voiture avec la jambe parce qu’on a un bébé dans un bras et les courses dans l’autre… donc à part pour les vidéos YouTube ou impressionner le voisinage, on en a pas vraiment besoin. Tout ça pour dire, que la souplesse, que l’on associe souvent à un corps détendu et sans douleur, peut autant être un subterfuge et une réactivité, qu’un corps qui présente des tensions. Ce qui aide le plus c’est la limite, où la tension va se présenter. Ça ne veut pas dire qu’il faut la chercher à tout prix, non, ça veut juste dire qu’il faut faire confiance : elle va se présenter spontanément, et si elle me visite, alors il faut l’écouter parce qu’elle va m’aider à devenir plus subtil et sensible dans mon travail corporel quotidien et dans ma vie.

Quand j’allonge le bras, il faut sentir que j’initie le mouvement à partir du centre de la poitrine, voir même de la hanche, ou du pied, et pas seulement utiliser l’articulation. Si je pousse sur l’articulation, que je confronte la douleur ou le blocage dans celle-ci, si je joue en souplesse, alors c’est faux, dans le sens où ça n’est pas organique dans le corps. Ce n’est qu’en revenant à une globalité que le corps va retrouver un mouvement intégré qui ne laisse pas de trace, où même une douleur, si elle est présente, ne sera pas ancrée dans la réactivité corporelle et psychique. La douleur aide vraiment à trouver la ligne juste et elle te ramène essentiellement à l’écoute. Donc, ne cherche jamais à la faire partir.

Bien sûr, je ne peux parler que des douleurs que je connais, et il faut trouver ce qui s’applique à ton cas. Une douleur physique te donne l’information que tu devrais arrêter un mouvement ou sortir d’une situation, c’est pour ça qu’ automatiquement tu vas retirer ta main lorsqu’elle est au-dessus d’une flamme. Mais la réaction à la douleur, le non senti de la douleur, l’évitement de la douleur, c’est vraiment là que tout se joue, parce que c’est au-delà de la douleur en fait. La douleur cache quelque chose de plus profond, des mécanismes de l’être qui sont véritablement des voies vers le cœur de soi-même. Une douleur qui surgit est toujours une forme de mémoire ancienne qui désire quitter le corps.

Donc tu acceptes, tu accueilles et tu remercies. Sans comparer, sans commenter. Tu as rarement le choix. Soit tu rentres en guerre contre toi-même, et ça, ça ne rend pas heureux, soit tu acceptes que ton corps est ton collaborateur, et donc tu vas travailler avec. Du coup, au lieu de l’aborder comme si c’est toi qui sait mieux comment il devrait être, et qu’il se trompe, tu inverses les rôles : peut-être que c’est toi qui ne penses pas correctement et que c’est lui qui sait ce qui est bon pour toi. Donc c’est lui qui va t’enseigner quel est le chemin. A partir de là, il n’y a pas de limite, parce qu’il y a plein de zones de sensibilité qui s’ouvrent, il y a plein de zones de limites que tu commences à sentir. Et c’est ça qui est superbe, il n’y a pas d’espace moins intéressant qu’un autre… C’est pour cela aussi qu’il est important d’aborder chaque posture de yoga, travail corporel en général, sans la mémoire, le corps est tellement fantastique que tu peux travailler sur des niveaux très différents d’une pratique à l’autre. Parfois le corps crie de douleur , et tout à coup tu as cette présence et cette vibration émerge, et là tu ne sens plus aucune douleur… et l’instant d’après ça revient. C’est là que tu commences à comprendre que ta douleur se situe sur un autre niveau. C’est quelque chose de plus global qui parle, et donc qu’il faut écouter. Laisse-la venir, et partir. Quand tu travailles sur un autre niveau avec le corps, que tu endors ta structure musculaire, que tu arrêtes de t’y accrocher et que tu lâches, tu vas être pris par autre chose, et c’est là qu’il y a des « vidages » corporels qui vont se faire au niveau profond de l’être, moins tu tiens au niveau psychique, plus ton corps va refléter cete disponibilité. Plus tu cherches à dominer ton corps, à le travailler, l’assouplir, dans une démarche d’imposition par rapport à lui, au plus il va se densifier, et c’est normal parce que tu as créé un rapport totalement duel avec ton corps. Donc, il faut vraiment travailler en l’écoutant et le laissant te guider, c’est ça le senti qu’il faut trouver et suivre. Et de là il y a plein de choses que tu vas découvrir.

Photos par Mariette Raina, série de témoignages sur le corps:

Photo # 1 «Jacinthe«

Jacinthe est professeur de conscience corporelle. Il y a quelques années son corps a été atteint de ce qui semble avoir été des parasites sans diagnostic médical final, la poussant alors à travailler et réapprendre son corps autrement pour se reconstruire. Aujourd’hui elle travaille quotidiennement avec son corps auquel elle allie l’art pour faire grandir sa sensibilité.

Photo #2 “Eva

Eva est chorégraphe et danseuse. Le corps du danseur est un lieu de chantier où tout se passe, et la douleur est une rencontre habituelle qui se traduit parfois par des blessures extrêmes voire irréversibles. Mais la conscience du corps qu’il cultive lui permet en général de se réapproprier son corps d’une manière différente, voire même l’inspirant pour un travail neuf et plus sensible. Il sait que c’est souvent dans la limite qu’il découvre de nouvelles avenues de création.

Photo #3 “Suzanne”

Suzanne est atteinte de polyarthrite rhumatoïde juvénile depuis l’âge de 13 ans. Son corps est une carte de son histoire où cicatrices et déformations témoignent de son cheminement. Suzanne a choisit l’écriture et l’exploration corporelle pour se reconstruire, enseignant à d’autres de quelle manière, ce qui semble être limité, est un chemin vers une plus grande sensibilité, qui, elle, est infinie.

Photo #4 “Rolland

Rolland est atteint de malformation congénitale, conséquence d’un traitement anti-nauséeux mis sur le marché pour les femmes enceintes dans les années 1950. Né sans bras, sans pieds, sans mâchoire inférieure et sans langue, Rolland a été le sujet de nombreuses études médicales, son corps a été photographié, obervé et examiné par de nombreux chercheurs. C’est à travers son travail de modèle pour les photographes et le dessin qu’il a décidé de reconstruire une image de lui-même où seules la beauté et la grandeur du corps persistent.

À propos de Mariette Raina
Anthropologue de formation (diplômée de l’Université de Montréal en 2014), c’est en parallèle de ses 6 années à l’Université que Mariette étudie le yoga cachemirien et évolue dans les milieux artistiques où elle questionne l’acte de perception, le rapport à l’image, ainsi que le corps en tant que véhicule d’expression, à travers la photographie, l’écriture et la performance. Depuis 2015, elle enseigne la photographie aux Activités Culturelles de l’Université de Montréal. Elle travaille pour Centre Never Apart à Montréal depuis 2016 en tant que rédactrice d’articles mensuels et a collaboré à divers projets, tels qu’une exposition et le livre Age of Union de Dax Dasilva.Ses différentes activités sont liées à la même exploration: la compréhension de l’être humain et de la Réalité.

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