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Entrevue avec Kis Keya créatrice d’Extranostro, première websérie afro-queer francophone

Écrit par

Laurent Maurice Lafontant
juillet 16th, 2020

Ces derniers temps, nous avons beaucoup entendu parler des communautés noires avec le hashtag #Black Lives Matter en réponse à l’assassinat de Georges Floyd par un policier blanc à Minneapolis aux États-Unis

Cet événement a été la goutte de trop qui a conduit à une série de manifestations pour dénoncer le racisme qui existe encore malheureusement dans nos sociétés occidentales à l’encontre des personnes noires et autres communautés racisées.

Ici à Montréal, plusieurs manifestations ont eu lieu également pour soulever le racisme systémique et la brutalité policière subie de manière disproportionnée par les personnes autochtones, noires, arabes. Ce mouvement planétaire qui a traversé les frontières a poussé plusieurs à se révolter contre l’injustice à base raciale.

Évidemment, tou·tes espèrent que ces démonstrations d’indignation serviront à rendre nos sociétés plus justes et équitables. Toutefois, pour que cela arrive, il faut que les actions suivent la protestation. Il est important que les communautés noires ne soient pas uniquement médiatisées lors de cas d’injustices et de soulèvements populaires. Cela viendrait à les racialiser davantage comme étant l’Autre.

Pour lutter contre le racisme et la racialisation, il faut que les personnes noires soient bien représentées dans toutes leurs diversités et dans toutes les sphères de la société et que leurs voix ne soient pas utilisées pour être seulement politisées.

Ainsi, en ces mois de célébration de la Fierté à travers le monde, pour encourager et faire connaître ce qui se fait au sein des communautés noires LGBTQ+, j’aimerais vous présenter Kis Keya, une artiste militante belge d’origines haïtienne et congolaise, multi disciplinaire; peintre, sculpteure, écrivaine et réalisatrice. Dans cette édition-ci, nous allons nous attarder sur son côté créatrice et réalisatrice de la web-série Extranostro, la première web-série afro queer francophone.

Laurent : Salut Kis keya, j’ai eu la chance de découvrir ta websérie Extranostro lors de la programmation de la 11e édition de Massimadi : festival des films et des arts LGBTQ+ afro à Montréal. C’était la première websérie afro-queer francophone et je me souviens qu’elle avait été très bien reçue lors de sa première présentation à Montréal en février 2019. Beaucoup de nos spectateur·trices étaient enthousiasmes de la représentation des personnes noires queer dans ta série, car ils arrivaient à se reconnaître dans tes personnages. Et personnellement, en tant que programmateur qui reçoit très rarement des créations queer francophones, j’ai été très emballé de découvrir cette série humoristique pour sa célébration de la diversité queer au sein d’une communauté noire.

Peux-tu nous parler de ce qui t’as motivée à créer cette série?

Kis Keya: Ma toute première motivation était d’agir par rapport à l’homophobie qui sévit dans une grande partie des familles africaines et noires de façon plus générale. Je voulais que des jeunes (et moins jeunes) qui sont rejeté·es ou qui sont quelque part dans le monde, seul·es, à se demander s’ils, elles, illes sont «normaux» réalisent que d’autres personnes leur ressemblent. C’est la raison, d’ailleurs, pour laquelle j’ai opté pour une websérie. Je voulais qu’elle puisse être diffusée sur internet et accessible partout dans le monde. Ce qui n’est pas toujours possible sur les chaînes de télévision qui peuvent avoir des restrictions géographiques.

Et puis mes motivations se sont un peu élargies. C’est devenue de façon plus globale, un besoin de créer une visibilité et une représentativité des personnes LGBTQ+ noires et racisées. La série est tournée en Belgique, parce que c’est là que je vis. Mais cela n’a pas d’importance au niveau de la fiction. C’est avant tout une capitale (européenne certes), une ville dynamique, où les personnages évoluent professionnellement et sentimentalement, entre le monde du travail et le monde de la nuit.

Laurent: Effectivement même si la série se déroule à Bruxelles, le public à Montréal, et surtout les personnes noires, ont trouvé beaucoup de ressemblances avec leurs vies. Je dois dire que certaines communautés africaines que l’on retrouve à Montréal ressemblent aussi à celles qu’il y a en Belgique de par leur provenance de pays francophones africains.

Ce que j’ai trouvé intéressant et original dans ta websérie, c’est le fait que les personnages présentés affirment clairement leur orientation sexuelle et qu’il n’est pas question de coming-out (sortie du placard) et d’acceptation de soi. Ainsi, on peut les voir évoluer comme n’importe quel individu dans leurs vies de tous les jours, dans leurs relations, leurs quêtes amoureuses et dans leur travail. Il y a un côté rafraîchissant à voir des personnes noires et queer à l’écran sans qu’aucune de leurs identités ne soient un enjeu de conflit majeur dans l’intrigue. Ça banalise à la fois le côté queer et l’identité noire.

Est-ce que tu dirais que cela correspond à la communauté noire LGBT à Bruxelles?

Kis Keya: J’ai effectivement la chance d’évoluer auprès de personnes qui vivent, ou semblent vivre très bien leur situation de personnes queer racisées. Mais le fait de ne dépeindre que des personnages positifs·ves et fier·es est avant tout un choix scénaristique. Un choix politique! Pour une fois qu’il y a une vraie visibilité de cette communauté, je trouvais qu’il était important de la traiter avec légèreté et positivisme dans l’idée de donner de la force et de l’espoir. Et puis surtout de crier haut et fort qu’on peut être afro, queer et fier·e. Que nous avons tou·tes droit à l’amour, l’humour, la joie de vivre, l’arrogance… Et à notre comédie romantique!

Laurent: Je sais que la web-série a beaucoup voyagé; Paris, Marseille, Luxembourg, Abidjan, Los Angeles… Comment le projet a été reçu dans les autres villes où il a été présenté?

Kis Keya: Je n’ai pas toujours pu me déplacer lorsque la série était projetée à l’étranger. Mais partout où j’ai été, j’ai été très touchée par l’accueil positif. Et le plus fort émotionnellement, c’était lorsqu’il y avait une rencontre avec le public. Parce que partout j’entendais des témoignages de personnes qui expliquaient à quel point ça leur faisait du bien d’enfin voir des gens qui leur ressemblent à l’écran. Cela veut dire que l’objectif est atteint. Certaines personnes m’ont même dit «Je vais la montrer à ma famille pour qu’ils comprennent». Et sur les réseaux sociaux, une fille m’a dit que grâce à la série elle a osé faire son coming-out auprès de son père. Ça, ça donne la larme à l’oeil!

Laurent: Peux-tu nous parler de la suite de la websérie?

Kis Keya: Une première campagne de financement participatif a été lancée pour créer le pilote. Avec la diffusion du pilote sur Youtube, cela a fait connaître la série et ses objectifs. Cela a permis de nous prouver (si cela était nécessaire) que l’existence d’une telle série est importante. Que le public est en demande. Maintenant, nous lançons une deuxième campagne pour la réalisation d’une saison complète, la saison 1. On espère, avec le temps, attirer la confiance de partenaires ou d’une grande plateforme de streaming, pour un jour faire vivre la série sans ne plus avoir à faire appel à ces campagnes de crowdfunding.

Laurent: Tu m’as personnellement dit que tu comptais inclure un personnage Montréalais. Peux-tu en dire plus?

Kis Keya: La série a déjà un côté très urbain, dynamique. Je voulais y ajouter une dimension internationale. Un des nouveaux personnages principaux de la série arrive de Montréal. Et pendant la saison, il sera en lien par webcam avec un de ses amis là-bas. C’est pour cet ami que je vais organiser un casting à Montréal. Pour la saison 2, peut-être que l’intrigue du côté montréalais pourra s’étendre… C’est une porte ouverte.

Laurent: Pourquoi cette websérie est-elle importante pour toi?

Kis Keya:

L’identification, la représentativité, la visibilité sont des notions existentielles.
On en parle de plus en plus et cela se vérifie. Pour les femmes, pour toutes les différences physiques (vitiligo, surpoids, albinisme…), pour les personnes LGBTQ+…

On se rend de plus en plus compte que la sous-représentativité est égale à discrimination et crée ou alimente une sous-estime de soi. À contrario, des films comme Wonder woman, Black Panther ou Hidden Figures prouvent bien que la représentativité renforce l’estime de soi et le bien être dans la société. Avec Extranostro, je veux donner de la visibilité et de la représentativité à un «groupe» qui est encore presque invisible dans la sphère audiovisuel et cinématographique, principalement du côté francophone, les personnes afro queer. Les rares fois où il y a un personnage homosexuel noir, c’est un rôle étendard. Je veux sortir de cette image clichée, limitante et porte drapeau, du meilleur ami noir/homo/efféminé bien sympa, mais qui n’a pas sa propre histoire. (pour les rôles lesbiens noirs, là c’est quasiment inexistant.)

Dans Extranostro, il y a un panel de personnages. Ils ont chacun leur singularité et leur histoire. Ce sont des vrais personnages.

Merci Kiskeya ! J’ai très hâte de voir la suite de la série et de la présenter au festival Massimadi.

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À propos de l’auteur

Laurent Maurice Lafontant est né en Haïti et a immigré au Québec en 2001. En 2008, il obtient son diplôme de l’Université Concordia à Montréal en Beaux-arts après une double majeure en études cinématographiques et études littéraires. Depuis 2008, Laurent s’implique dans la communauté LGBTQ+ en devenant intervenant au Gris-Montréal et bénévole à Arc-en-ciel d’Afrique, un organisme qui œuvrait pour les personnes LGBTQ+ des communautés noires. Il a réalisé deux courts documentaires sur la question de l’homosexualité au sein des communautés noires à Montréal : Être soi-même (2012) et Au-delà des images (2014). Laurent est actuellement le président de la Fondation Massimadi, et le coordonnateur de l’évènement Massimadi : festival des films et des arts LGBTQ+ Afro. Laurent est également un écrivain qui a publié son premier roman « La dernière lumière de Terrexil » au printemps 2018.

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