In spirit: Le bon moment pour faire du yoga ?
Une autre perspective
On attend souvent le « bon moment » pour faire du yoga. On revient de séminaire, on se dit que l’on va pratiquer tous les jours, mais la vie quotidienne nous rattrape rapidement et la pratique devient la dernière chose que l’on a le temps de faire.
Je regarde mon tapis du coin de l’œil, je scrute l’espace de pratique, je sais que je devrais m’asseoir, mais je ne vais pas voir le temps de faire une séance complète de toute manière parce que j’ai un rendez-vous qui arrive dans 15 min, alors à quoi bon… il y a une lessive à mettre en route, un coup de fil à passer, je viens juste de manger et on ne fait pas de yoga avec le ventre lourd…. Je devrais pratiquer le matin, mais quand le réveil sonne je préfère dormir jusqu’au dernier moment, et le soir, épuisée par ma journée, je décide que je ferai ma séance demain matin ! Il y a toujours quelque chose qui m’empêche de faire du yoga. Et pourtant, pendant le séminaire, ou même après mon cours de 2 h, la sensation de retour à la maison est tellement bonne que je me dis à tous les coups « mais pourquoi j’avais oublié de m’asseoir pendant si longtemps, cela me fait tellement de bien ! ».
Prenons les choses sous autre angle. En fait, le yoga a déjà commencé. J’observe et j’écoute les excuses, mais sans jugement ou culpabilité. Le yoga, avant toute posture externe, c’est mon positionnement interne, c’est cet espace de présence à ce qui est, dans lequel j’accepte de me poser. J’écoute le fait que je remets à plus tard pour «quand ce sera le bon moment » ou pour « quand je serai prêt ».
D’ailleurs, probablement que c’est une rengaine que je connais bien, pas seulement avec le yoga. C’est un peu comme une belle robe que l’on garde dans le placard pour la bonne occasion : on l’économise, on se dit qu’il y aura toujours une occasion plus opportune et finalement on se rend compte que le bon moment est passé sans que l’ on s’ en aperçoive.
Les mécanismes derrière tout cela.
J’ai appris par la force des choses que si j’attendais que chaque article soit parfait, je n’écrirais pas, que si j’attendais de me sentir équilibrée dans ma vie, je ne donnerais pas de séminaire de yoga, que si j’attendais d’être une artiste établie, je ne donnerais pas de cours de photographie. Chaque cours, enseignement, page publiée, te montre où tu en es, ce qu’il te reste à apprendre, te permet de te remettre en question, de rester humble, et donc naturellement, d’avancer. En fait, il faut vraiment voir que le jugement que je pose sur moi-même en catégorisant ce qui est bien, pas bien, assez, suffisant, médiocre, acceptable, prêt, juste, faux, est une balise totalement arbitraire. Le « bon » moment n’existe pas, il faut se lancer, accepter la vulnérabilité et l’imperfection, en comprenant profondément que la richesse est dans ce cheminement par l’expérience direct et la pratique.
La peur de ne pas être parfait et de ne pas assez bien faire est une maladie humaine que chacun de nous connaît sans exception. Le yoga commence là où ce qui est dans l’instant n’est plus perçu comme une « erreur », mais au contraire un terreau fertile d’exploration. Ma position lors de l’asana est cet état d’observation et d’écoute auquel je me donne, sans commentaire, avec honnêteté et simplicité, sans préjugé. C’est mon placement intérieur qui devient le fondement de mon quotidien autant qu’il est celui de ma posture de yoga, ou de mon assise lors de la méditation.
Parfois, je fais du yoga avec des asanas, pour stimuler cet espace d’écoute, y revenir, et me déposer dans ce lâcher-prise (et aussi parce que cela fait du bien au corps, cela dérouille le véhicule…), mais c’est aussi au quotidien que tout doit s’opérer, dans cette masse folle et désorganisée qu’est la vie, où tout se bouscule, où rien ne se passe comme prévu. Le seul « bon » moment est celui qui s’impose spontanément, pas celui dont je décide.
On ne « fait » pas du yoga, pas plus que l’on ne fait de la méditation
Je m’assois pour ne rien faire, zéro activité. Le yoga, la méditation, ne sont pas des actions hors de soi-même qui se créent lorsque je les stimule volontairement. Ce sont des états internes qui habitent mon corps et mon être en permanence, même lorsque l’inconscience ou le bruit de la vie externe recouvre ce vécu interne. Le yoga ou la méditation, c’est donc ce retour à ce qui est déjà là. C’est comme d’écouter une rivière qui coule : l’écoute n’est pas une action qui crée la rivière, la rivière existe malgré moi ainsi que mon état de disponibilité à celle-ci. C’est en arrêtant mon activité que je peux me donner au son de l’eau, me laisser prendre par le courant. Que je sois dans le tumulte ou dans la présence n’a aucun impact sur ce flot vivant dont relève mon espace interne. L’écoute n’a pas à être active, elle se présente spontanément lorsque je laisse le corps et le mental s’endormir. Le yoga me fait, la méditation me prend.
Concrètement, se laisser prendre c’est s’asseoir sans demande et sans attente . Pour cela, je retourne tout simplement à la sensation. Si je me sens fatiguée, alors je pars de là : comment est-ce que je ressens le sommeil dans le corps? Est-il lourd? Quel type de lourdeur? Est-ce que je peux sentir une émotion monter comme de l’agacement, de la colère ou de la tristesse ? Je laisse faire, rien à bloquer, juste accueillir ce qui se présente.
Si je me sens agitée? Parfait, je m’assois pour écouter cette agitation. Je suis attentif aux légers mouvements du corps, par exemple peut-être je prends note que je ne peux pas m’empêcher de balancer un genou, tripoter mes doigts. Je laisse faire, il n’y a aucune intervention nécessaire pour stopper ou changer quoi que ce soit. Comment est-ce que tu fais pour arrêter d’être agité ? Tu n’interviens pas, tu laisses vivre la sensation de cette agitation, tu lui redonnes sa pleine liberté sans censure. L’agitation traverse ton corps comme si tu avais une grippe ou que tu étais en délire de drogue. Tu laisses faire sans résistance. Quelle zone du corps est stimulée dans le moment d’agitation ? Sois très précis… le visage… sent l’agitation qui se situe dans la partie frontale de la tête, cela crée une tension sur le front qui se plisse, dans les sourcils, au coin des yeux, le menton, la commissure des lèvres qui se durcit. Ne rectifie rien, laisse l’écho se propager dans le corps, devient totalement intime avec ces sensations.
Attention de ne pas créer un senti, un savoir, ce n’est pas une manière de contrôler quoi que ce soit, c’est une exploration comme un danseur qui improvise par l’écoute du moment et le spectateur qui participe activement par son observation. Chacun joue son rôle. C’est le moment de vraiment te donner sans intervenir à ce qui fait surface. Le yoga commence ici.
La pratique, exploration d’un asana
Si tu as 5 min, choisis une posture à explorer. Si tu as 10 min, fais un asana très lentement, ou deux plus rapidement. Si tu es agité, pratique une vingtaine de minutes au moins et augmente un peu le rythme du passage et de la prise des asanas. Si la sensibilité te prend, alors reste dans cet espace où la lenteur du monde se déploie dans ta posture, et laisse le rythme s’imposer naturellement, organiquement, dans cet espace qui t’aspire où le temps disparaît.
Allonge une jambe vers l’avant, sens la jambe qui fait le trajet sur le sol. Ne prends ni la jambe, ni le pied, ni le sol pour acquis. Sois le sol, devient le pied, vis la jambe. Habite ce qui t’entoure. Allonge l’autre jambe, reste dans la même sensibilité. Sens la poitrine, le buste, les hanches, et laisse toute la partie frontale du corps aller à la rencontre des jambes sans avoir besoin de descendre à tout prix ou de toucher tes jambes. Ce n’est pas un concours de souplesse, ne tire pas avec tes mains. Ces mains au contraire, au lieu de t’en servir pour tirer ou pousser, offre leur la chance de goûter à cet espace de manière parfaitement neutre ; déposées de chaque côté des jambes, paumes sur le sol dont elles peuvent sentir la température et la texture. Les épaules n’ont pas non plus besoin de tirer, laisse-les descendre vers les hanches, et laisse les tensions couler dans les bras comme de l’eau qui ruisselle jusque dans le sol en passant par tes mains. Questionne ce schéma utilitariste de toujours pousser et d’attendre d’arriver quelque part. Autorise le corps à reprendre sa respiration qui émane naturellement lorsqu’il n’y a plus d’attente.
Avec le buste, explore le retour dans la position verticale. Une ligne se déploie, partant de la région pelvienne jusqu’à la gorge. Puis lâche les hanches, comme si elles coulaient vers l’arrière et emportaient la colonne vertébrale avec elles, ce qui initie comme un croissant de lune dans le dos du coxis au somment du crâne. Reste dans le voûtement, sans pousser, sans tirer. Donne toi au repos naturel du corps. Laisse les jambes s’ouvrir à droite à gauche. Tactilement, les jambes se décollent du bassin, l’espace se crée dans l’articulation des hanches.
De là, imagine un fil qui part du nombril qui te tire vers l’avant. Le nombril veut venir caresser le sol, tandis que la poitrine couvre l’espace jusqu’au mur devant toi. Ne descends pas avec le dos, c’est le buste explore l’espace entre les jambes. Là aussi, le mouvement n’est pas mort et vide. L’intention est passive, mais la présence est active : engage-toi consciemment dans chaque partie de ton corps. Tu deviens l’aire qui caresse le buste et la jambe, tu deviens la jambe caressée par l’énergie du sol et de l’aire. Sois présent entièrement, pas seulement « en toi », mais aussi autour. Parce que la présence n’a pas de corps, elle n’a pas de limite, ne t’arrête pas à la peau, laisse l’image se dissoudre et vis l’espace par le senti.
Tu remontes par le devant du corps, sans utiliser le dos. Les jambes reviennent dans l’assise. Le retour se fait par le senti. Maintenant c’est le temps de tout déposer dans l’assise et de se donner à l’écho que le mouvement à laissé dans le corps (écoute les hanches, l’arrière des jambes, la poitrine…). Voilà, tu pratiques. Agitation, pensées ou tensions qui émergent, c’est la même chose. C’est à écouter, c’est le corps, une sensation qui va te guider.
Si parfois tu sens la pratique un peu forcée ou mécanique, ce n’est pas grave, assieds-toi quand même et fais une ou deux postures. Le silence te porte, même quand tu ne le sens pas, alors dépose toi dans cette confiance que tu es exactement là où tu dois être. Le meilleur moment pour s’asseoir c’est celui de chaque seconde, en médiation, avec une posture ou avec 10. Il ne peut pas y avoir d’erreur ou de mauvaise pratique. Regarde, elle a déjà commencé …
Voir les commentaires
Sans commentaires (Cacher)