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In Spirit: La femme et Dieu

Écrit par

Mariette Raina
octobre 5th, 2020

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Accoucher, curieusement c’est aussi mourir. Cela commence par la grossesse, une sorte d’arbre de vie que la future maman incarne. Elle est prise par un courant vital irrésistible qui pousse en elle. C’est une sensation sans égal lorsqu’on ne la combat pas, c’est un raz marée qui peut même se ressentir, à certains moments, comme un trop-plein que le corps ne pourrait contenir.

Dieu crée la vie, la femme aussi. La femme possède en elle la capacité de faire l’expérience divine de la création. Au cœur de ses entrailles, recueilli dans son bassin — centre énergétique du corps — le germe se transmute pour grandir, le monde se fait. Envers et contre tout, malgré elle, la création s’opère. Ce mouvement parfaitement pris en charge est ce qu’il y a de plus animal et instinctif, ce qui le rend magnifique. Nous sommes face au profondément humain, puisque c’est là que l’incarnation débute, au coeur de la chair qui enfante un nouvel être. C’est en même temps le total divin qui se manifeste; la Conscience prend corps. 

La femme est aux premières loges du processus de création. Son propre corps est le mécanicien qui orchestre tout le fonctionnement des systèmes respiratoires, digestifs, neuro-cognitifs, endocriniens, cardio-vasculaires, urogénitaux, sensoriels, musculo-squelettiques de son futur enfant. Il crée aussi le cerveau dans lequel se dépose la pensée, système énigmatique de la connaissance. Ce véhicule se forme au cours des neuf mois de gestation afin que la Conscience s’incarne. Le corps devient réceptacle, navire de l’être à venir. C’est pour cette raison que l’image de la mère et de l’enfant a tant été dépeinte à travers les âges et les cultures. Cette figure qui appartient aussi à l’art religieux voit représenté très tôt la Vierge tenant Jésus adulte sur ses genoux en miniature;  on l’appelle sedes sapientiae, le « Siège de la Sagesse » ou « Trône de la Sagesse ».

On se demande alors pourquoi, depuis tant de siècles, la femme est mise au rebut et diminuée? Et en fait, on en comprend très bien la raison. Elle fait peur, parce qu’elle symbolise cette dynamique de création directe de l’état spirituel et divin qui s’ancre dans la matière. Elle personnifie la verticalité entre la terre et le ciel, dans tous les aspects que cela comporte.

Mais ce courant, au-delà d’être femme, doit être compris comme l’archétype féminin auquel chacun peut avoir accès. J’ai rencontré quelques hommes à la sensibilité exacerbée, très touchés par la maternité. Cette empathie, c’est vivre cette expérience d’une certaine manière. Reconnaître ce vécu, c’est avoir accès à cette réalité qui existe en chacun. À l’opposé, j’ai aussi été face à des hommes et des femmes en total rejet face à la grossesse. Expérience méprisée parce qu’elle est trop dans l’émotion, trop terre à terre. Comme si c’était se rabaisser à ce qu’il y a de plus humain dans sa forme animale, où l’incarnation charnelle est en opposition avec la dissolution divine. Pourtant, tout ce qui relève de l’humain n’est pas incompatible avec le spirituel. Au contraire, il faut incarner son corps pour toucher au divin, pour que la porte vers la verticalité s’ouvre. Le rejet de tout ce qui est profondément incarné, tel qu’on le confronte dans ce rapport à l’enfantement, n’est que le reflet d’une plaie à vif envers une histoire non  acceptée. 

L’archétype maternel invite à l’oublie de soi pour laisser l’autre être avec sa propre justesse, accueillir sa fragilité et son cheminement intérieur. Quant à mon lien à la mère, c’est en fait mon rapport au gourou, à Dieu, au monde. Totalement explorer ces deux types de relations (de la mère à l’enfant et de l’enfant à la mère) les accepter dans leur composante humaine et charnelle dont nous sommes issus, d’une certaine manière, c’est tout simplement nous ancrer dans notre substance, que celle-ci puisse recevoir les informations verticales.

Après l’accouchement, c’est la mort. Les cheveux de la femme devenue mère tombent comme des feuilles d’arbre en automne. Le corps change de nouveau. Il prendra trois ans pour se remettre complètement de cette grossesse-accouchement-allaitement. En donnant la vie, c’est un aspect de nous-mêmes qui meurt, et le corps nous le signifie. On se vide de notre substance. Après avoir tout donné pendant neuf mois pour créer un être humain, lors de l’accouchement pour l’expulser, une partie de nous meurt comme un serpent qui mue et se déleste d’une vieille peau. La mort et la vie sont profondément liées. Il ne peut y avoir de vie sans mort, et la mort est toujours contrecarrée par la vie. C’est dans cet équilibre que le mouvement de création peut s’opérer et se régénérer sans cesse.

La mort, c’est aussi de remettre en question de vieilles croyances qui nous sautent aux yeux, quand on est prêt à les voir. J’ai souvent entendu « si j’avais rencontré le yoga plus tôt, je n’aurais pas fait certaines erreurs » ou encore « si j’avais eu cette maturité plus tôt, j’aurais pu éviter certains écueils de ma vie ». Bonne nouvelle : tu n’aurais rien pu éviter. La conscience, la clarté ou la maturité n’ont rien à voir sur ce que tu vis. Ce qui t’arrive appartient à une autre catégorie. Tu vis ce que tu as à vivre. Une personne qui traverse des étapes complexes, ça ne signifie pas pour autant qu’elle est plus pathologique que celle qui a une vie tranquille. Parfois d’ailleurs, c’est même le contraire. Il n’y a pas de vase communicant entre la maturité profonde et les événements de notre existence. Par contre, un travail sur soi offre un recul face aux événements. La connaissance de nos émotions, de nos limites et de nos mécanismes internes est une boîte à outils qui permet de faire face aux imprévus, c’est cela qui va faire la différence lorsque les évènements seront vécus. En d’autres termes, pour utiliser une métaphore : nous sommes comme des marins qui arpentent la mer. La connaissance de moi-même et ma vie intérieure sont mon bateau. La vie et ses événements, la mer. Ce n’est pas parce que je construis un grand bateau fort qu’il y aura un quelconque impact sur la mer. La mer possède ses propres raisons d’être, sa météo. Par contre, mon bateau me permettra de faire face aux tumultes de l’océan. Morale de l’histoire, si vous mettez toutes vos forces à changer l’humeur de l’océan, c’est une tâche vaine qui vous épuisera sans résultat. Mettez plutôt votre énergie à vous construire un bateau robuste plutôt que de naviguer sur un radeau.

Un enfant n’empêche rien. Il dévoile la personne, parce qu’alors, face à l’enfant, on ne peut plus tricher. Le yoga devient une sadhana plus interne qu’externe. L’exploration de soi se déploie à travers ce nouvel être qui habite notre vie, comme si pour la première fois, on apprenait à réellement s’habiter soi-même. J’intègre la matière, et c’est au spirituel que j’accède, parce que finalement, ils résonnent du même fond divin.

Crédit Photo

Image #1 : Maternité par Olivia

Image #2 & #3 : Maternité par Nicolas Bourque

Image #4 : Maternité (autoportrait) par Mariette Raina

Image #5 : Maternité par Anshul Mehta

 

 

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