Le chant des Aziza

Ce poème est dédié à Shakiro et Patricia, deux jeunes femmes trans qui sont en prison, à Douala au Cameroun et à toutes personnes LGBTQ+ qui mettent leur vie en péril en osant être qui elles sont.
Vous pouvez contribuer au gofund.me « Soutien aux 2 trans Shakiro et Patricia en prison »
À couvert sous le voile du monde
À l’abri des étoiles du firmament
Loin des regards d’autrui
Je vis secrètement avec les miens, les Aziza
Dans notre cité sous terre, notre refuge
Nous ne nous voyons jamais dans la lumière du jour
Nous ne nous promenons jamais sous les étoiles du soir
À l’écart de tout, nous ne brillons que pour nous
Entre nous, nous nous célébrons, nous nous aimons
Dans la cité des exilés, invisible au monde
Nous ne nous voyons jamais dans la lumière du jour
Nous ne nous promenons jamais sous les étoiles du soir
À l’écart de tout, nous ne brillons que pour nous
Entre nous, nous nous célébrons, nous nous aimons
Dans la cité des exilés, invisible au monde
Ainsi devait aller la vie pour une créature comme moi
Vivre cachée hors du danger, vivre heureuse avec les miens
Demeurer à jamais entre nous dans notre cité sous terre.
Dehors, sous le soleil, c’était le règne de nos monstres
Hors du voile, le lynchage nous accueillerait à bras ouverts
Mais, voilà qu’un soir, j’entrevois la possibilité d’une autre vie
Un rêve me montre des créatures semblables à moi
Elles se mariaient, s’aimaient, s’embrassaient au Grand jour
La foule les applaudissait, criait de joie à leur passage.
Et j’ai souhaité une telle vie pour les Aziza de ma cité
Hélas, mon rêve terrifiait les Aziza. Nul ne devait franchir le voile
Se révéler, c’est dévoiler notre existence à tous
Attirer le regard d’autrui sur nous était mortel
Rompre notre secret mettait en péril notre liberté
Vivre caché était notre manière de nous préserver
Depuis ma vision, la vie sous terre me tue à petit feu
Vivre caché, c’est aussi s’effacer du monde, je réalise.
Notre grotte m’apparait désormais comme notre tombeau
Mes amours deviennent une prison à mes yeux
Je veux aimer et présenter mon amour au monde
J’ose! Je franchis le voile qui sépare ma cité du reste du monde
Exposé sous le soleil, la gêne me pousse à nouveau à me couvrir
Je veux me soustraire aux regards des autres, retourner sous le voile
Mais le rêve d’exister sous le soleil m’arme de courage
Apeuré, seul, petit, j’avance dans ce nouveau monde hostile.
Étrange, bizarre, moqué, curiosité de foire, pointé du doigt,
Je suis mis à l’écart, je n’ai pas ma place sous le soleil
Mon rêve se révèle avoir été une illusion
Mais je refuse pourtant de disparaître dans l’oubli
C’est moi qui vais donner vie à mon rêve
Autrefois, les créatures comme moi vivaient librement sous le soleil
Nous occupions tous les royaumes, les cités et les villages.
Il était un temps où nous étions vus comme des êtres spirituels
Nous étions les gardiens des histoires et les détenteurs des secrets
Nous avions notre place sur cette terre qui était aussi la nôtre
Jusqu’à ce que les autoproclamés rois de ce monde aient peur de nous.
Notre liberté les dérobait de leur emprise souhaitée sur notre monde.
Par crainte de la vie, ils s’organisèrent pour soumettre le monde à leurs règles.
Le bûcher, la potence, la flagellation, traumatisèrent les résistants.
Depuis ce temps, les créatures comme moi apprirent à s’isoler sous terre.
À couvert sous le voile du monde
À l’abri des étoiles du firmament
Loin des regards d’autrui
Nous ne vivons pas, nous mourrons lentement
Dans notre cité sous terre, notre refuge
Par notre invisibilité, notre histoire a sombré dans l’oubli
Nos ennemis se chargeaient de nous dépeindre à l’image de leurs peurs
Nos descendants n’avaient plus de modèles, plus d’héritages
Voués à vivre dans la honte, à ne pas exister, à s’auto-exiler en enfer
Ainsi, nous, les Aziza, avons oublié notre histoire et notre destiné.
Pour faire renaître les Aziza dans l’esprit du monde
J’ai révélé leurs couleurs éclatantes aux différents royaumes
Les peuples sont tous entrés en transe avec moi
Nous avons dansé, nous nous sommes libérés
Par notre histoire, nous inspirons les autres à fleurir
Mais la fête terminée, la chasse royale a repris son cours
Mon exposition a révélé la fragilité de leur contrôle
La peur les a fait redoubler de cruauté
De nouveau, ils nous persécutent, nous débusquent
Désormais, nous, les Aziza, ne sommes plus à l’abri
Par le feu, nous sommes chassés de notre refuge
Exhibés de force à la foule, le soleil nous dégoûte
Déportés, enchaînés, enfermés dans leurs prisons
Nous ne brillons plus, nous ne célébrons plus.
Seuls, loin de leur monde, loin de notre sanctuaire
Vivre sous le soleil, c’est guerroyer pour notre vie
Prendre notre place dans le monde, c’est épouser la violence
Donner de l’espoir aux nôtres, c’est s’exposer à la torture
Écrire notre histoire, c’est un combat sans fin
Vivre avec fierté, c’est se confronter à la mort.
À propose de l’auteur
Laurent Maurice Lafontant est né en Haïti et a immigré au Québec en 2001. En 2008, il obtient son diplôme de l’Université Concordia à Montréal en Beaux-arts après une double majeure en études cinématographiques et études littéraires. Depuis 2008, Laurent s’implique dans la communauté LGBTQ+ en devenant intervenant au Gris-Montréal et bénévole à Arc-en-ciel d’Afrique, un organisme qui œuvrait pour les personnes LGBTQ+ des communautés noires. Il a réalisé deux courts documentaires sur la question de l’homosexualité au sein des communautés noires à Montréal: Être soi-même (2012) et Au delà des images (2014). Laurent est actuellement le président de la Fondation Massimadi, et le coordonnateur de l’évènement Massimadi: festival des films et des arts LGBTQ+ Afro. Laurent est également un écrivain qui a publié son premier roman « La dernière lumière de Terrexil » au printemps 2018.
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