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Dis qui tu es

Écrit par

Collective Culture
décembre 11th, 2020

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Cet essai fait partie de la rubrique mensuelle Collective Culture. Écrit par Bobbi Adair et édité par Jazmin Batey.

Ce fut une (autre) année intéressante pour les fxmmes noires. Il y a eu un tourment qui s’est attaqué à nos âmes, à nos esprits, et à nos corps. Mais il n’en demeure pas moins que celle qui a vécu de profonds chagrins est capable de bonheur suprême. Ainsi, avant que la nouvelle année arrive, voici encore un autre article sur l’importance de la représentation. À mes yeux, la représentation est plus que symbolique; elle sert de rappel, d’assurance et d’outil nous permettant de réimaginer qui nous croyons être et qui nous voulons devenir.

Cette année en particulier, j’ai dû m’accrocher aux sources d’inspiration qui ont façonné mon passé, coloré mon présent et éclairé ma vision de l’avenir. Comme des signes d’un autre monde, des indices culturels ont semblé apparaître ou réapparaître dans mon champ de vision au moment même où j’avais besoin de rire, besoin d’un sentiment de communauté et d’une ferveur renouvelée pour continuer à aller de l’avant. Indépendamment des particularités qui caractérisent chaque personnage de fiction que j’ai pu voir, il existe une force indéniable qui dépasse toutes les limites créées par l’espace, le temps ou le scénario. La sociologue et académicienne du hip-hop Tricia Rose a déjà déclaré :

« Ces images ouvrent des possibilités, remettant en question ce que les hommes et les femmes pensent que les femmes devraient être, même si elles finissent par approuver les normes patriarcales d’une autre manière. Hollywood doit réaffirmer le statu quo, bien sûr, mais croyez-moi quand je vous dis qu’en ouvrant ces portes, ils créent une rupture qu’ils ne pourront peut-être pas suturer. »

De nombreuses représentations dynamiques de femmes noires sont récemment apparues ou revenues au premier plan de l’influence : la syndicalisation de la série Girlfriends via Netflix, les élections américaines mettant en évidence la puissance de fxmmes noires comme Stacey Abrams et Kamala Harris et le succès de la série Lovecraft Country sur HBO. J’ai vu des versions passées, présentes et futures de fxmmes noires vivantes et imaginées se fondre dans une série de moments à l’écran qui m’ont donné matière à réflexion. Vous voyez, « les féministes noires ont longtemps insisté pour que nous comprenions les femmes noires comme ayant des identités sociales multiples, qui coexistent simultanément; elles ne sont presque jamais réductibles à une seule de ces identités » (Keeanga-Yamahtta Taylor) et pour chaque itération de fxmmes noires que j’ai absorbée et à laquelle je me suis raccrochée, je suis reconnaissante. Les fxmmes noires n’ont jamais vraiment correspondu aux rôles de soutien ou aux archétypes qui nous ont été attribués, mais le fait de voir des parties de moi-même et de mes réalités représentées en elles a été une bouée dans un océan blanc d’homogénéité.

Dans le troisième épisode de la série Girlfriends, Joan déclare, « Toni, tu es la garce que j’ai toujours voulu être » et cela résume à peu près ce que j’ai ressenti pour chaque personnage au début de la série. J’étais à peine assez grande pour comprendre certains des sous-entendus lorsque Girlfriends était à l’antenne, mais cette série a eu sur moi une influence formatrice, comme celle de sœurs aînées que je n’ai jamais eues, et un aperçu du « genre » de fxmme que je pourrais choisir d’être. Étais-je Toni : puissante dans mes prouesses sexuelles, une incarnation séduisante de la consommation ostentatoire? Étais-je Joan : sûre de mes principes moraux et une grande penseuse… en proie à mes propres névroses? Étais-je Maya : aussi loyale, aussi impétueuse et aussi honnête que je voulais que ma propre voix le soit? Étais-je Lynn : non, je n’étais pas Lynn… mais sa spiritualité décontractée, son désir infini d’apprendre et son besoin d’être soutenue par ses proches personnifiaient une dépendance à l’égard de ses amies à laquelle je pouvais m’identifier.

Bien qu’il y ait eu de nombreux archétypes féminins noirs disponibles lorsque j’étais préadolescente et adolescente, Girlfriends était la série la plus marquante parmi les fxmmes noires que je connaissais. Comme une enfant qui écoute les conversations du samedi au salon de coiffure, les huit années de diffusion de l’émission m’ont paru aussi courtes et aussi longues que les huit heures nécessaires à mon lavage de cheveux, à ma mise en plis ou à mes tresses. Dans le monde télévisuel et dans ce salon de coiffure, le temps ne semblait pas exister. Pendant ces visites de huit heures au salon et ces huit ans de Girlfriends, j’ai prêté attention aux avertissements et aux secrets d’initiées. J’ai inhalé leurs paroles sur le succès, les conflits et le sexe comme le fixatif Pink dont j’aimais tant l’odeur. J’ai gardé leurs leçons en moi jusqu’à ce que je puisse éventuellement m’identifier à mes mentors ou les imiter. À un moment au cours de la diffusion de la série, j’ai réalisé que je n’avais pas à choisir à laquelle des quatre fxmmes je voulais le plus ressembler. Leur épanouissement était tout aussi altérable que le mien. En les regardant — à l’époque et aujourd’hui — je me suis trouvée en Joan, en Toni, en Maya et en Lynn — et finalement en aucune d’entre elles et en chacune d’elles à la fois, à mesure que je trouvais mon propre rythme. Même si la résurgence sporadique du soutien aux fxmmes noires est une tendance régulièrement exploitée par les services de streaming populaires comme Netflix, les personnages de cette série représentent pour de nombreuses fxmmes noires un rappel valideur de notre beauté, nos insécurités, nos traumatismes et nos peines de cœur, mais surtout de l’importance de notre sororité et de la richesse de cet amour. Comme l’a dit récemment une de mes amies, « pourquoi est-ce que j’aurais regardé Sexe à New York alors que j’avais Girlfriends? »

Pourtant, je peux comprendre les arguments qui prétendent que la représentation correspond souvent à du symbolisme purement symbolique, que « nous avons besoin de plus que les clichés noirs et de la solidarité imaginaire qui y est implicite » (Keeanga-Yamahtta Taylor) pour vraiment comprendre d’où nous venons, où nous sommes et où nous choisirons d’aller. Je peux particulièrement comprendre ce sentiment quand on pense à la politique et aux attentes qui semblent accompagner le vote des Noirs et les meneur.se.s noir.e.s. Au Canada, Annamie Paul elle est récemment devenue la première dirigeante noire du Parti Vert, sans parler de la première dirigeante noire d’un parti fédéral. Comme il fallait s’y attendre, les titres nationaux et internationaux, tels que « Highly symbolic’: Canada’s Annamie Paul becomes first Black party leader » (The Guardian), n’ont pu s’empêcher de souligner sa race d’abord et son programme politique ensuite. Comme pour Annamie Paul, la nomination de la Vice-présidente désignée des États-Unis Kamala Harris — la première fxmme noire à gagner la vice-présidence — était également sujette au réductionnisme. Tant pour Annamie Paul que pour Kamala Harris, l’efficacité de leurs programmes politiques a été fortement critiquée. Pourtant, les moments spectaculaires où elles ont été reconnues comme des « premières » dans leur domaine sont des événements que je ne peux pas négliger ou ne pas célébrer. Ces fxmmes ont néanmoins réussi à rompre ce qui était autrefois suturé, comme l’a dit Tricia Rose. Pour moi, c’est quand la télévision est en mode silencieux et que je lève les yeux et vois une version de moi-même commandant l’espace, le temps et les oreilles de millions de personnes. Il y a un courant de fierté qui me traverse en sachant que les fxmmes noires ont réécrit l’histoire en s’inscrivant dans un présent complexe, en créant un avenir qui n’a pas d’autre choix que de les reconnaître au-delà de leur symbolisme.

« Où veux-tu être ? Dis-le. Qui veux-tu être ? Dis-le. »
– Déesse cyborg noire à Hippolyta, Lovecraft Country – Je suis

Dans une entrevue avec la mère de l’afrofuturisme Octavia Butler, Tananarive Due décrit l’afrofuturisme comme « la proclamation des artistes noirs de ‘Je suis, j’étais et je SERAI…’ L’afrofuturisme est l’audace d’imaginer un avenir florissant pour les Noirs, ou un avenir tout court. » En nous appuyant sur l’histoire de la diaspora africaine pour imaginer des possibilités émancipatrices pour l’avenir, nous sommes en mesure d’assister au voyage spirituel de la découverte de soi et de l’expérience de la vraie liberté. En particulier pour les fxmmes noires, qui ont été privées de l’énergie et de l’espace nécessaires pour s’imaginer être qui elles veulent, l’afrofuturisme dépeint un remaniement du temps où les femmes sont habilitées, se connaissent en dehors des limites du patriarcat et peuvent mener le salut de mondes. Hippolyta, l’impressionnante matriarche de Lovecraft Country, nous propulse vers une vision des possibilités illimitées que nous pouvons nous-mêmes incarner au fur et à mesure qu’elle découvre des versions infinies d’elle-même en voyageant à travers un multivers de terres sans limites. En choisissant de se nommer Hippolyta la guerrière, la découvreuse, la danseuse de cabaret, l’épouse et la mère, elle constate que la prison dans laquelle son identité existait autrefois était aussi la clé de sa faculté à se définir et se redéfinir à volonté.

L’année 2020 évoquait pour moi l’avenir, un avenir dans lequel je ne pouvais pas tout à fait m’imaginer. Le chaos de cette année me fait penser aux vies passées de mes ancêtres. Vivre le chaos de cette année m’a rappelé les vies passées de mes ancêtres. Et pourtant, les fxmmes noires ont su saisir chaque moment présent qui leur était offert et trouver un moyen de s’unir davantage, de diriger plus fort et de littéralement prendre de l’espace pour redéfinir notre avenir. Quelles que soient les représentations passées, présentes ou futures, les fxmmes noires n’ont jamais cessé de me rappeler la façon dont elles m’ont élevé, combien leur ténacité me renforce au quotidien et comment leur incapacité à être limitées créeront toujours des différences significatives dans chaque vie qu’elles influencent. Rien qu’en se connaissant et en étant elles-mêmes, même en se battant pour se découvrir, elles m’ont conduite vers moi-même d’une manière aussi inimaginable que sont les années à venir.

À une année intéressante de plus pour les fxmmes noires.

À propos de l’auteure

Se décrivant fréquemment comme une Taureau capricieuse, Bobbi est dans la vingtaine et fatiguée la plupart du temps; elle occupe de l’espace en tant que femme noire dans le monde de la publicité et de la stratégie de marque à Toronto. Bobbi exprime ses rêves, ses craintes, ses expériences et ses réflexions les plus agaçantes sur la race, la technologie et la culture populaire en tant que membre de l’équipe de rédaction de Collective Culture. Elle est également coordinatrice de rédaction, mettant à profit son expérience d’aide-enseignante et son amour général pour les mots. Si vous la cherchez, vous la trouverez ici : @_bobbidigital

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