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In Spirit: Mantras

Written by

Mariette Raina
July 15th, 2016

It is a challenge to meet indian women when you travel in India. The touristic paths are those of men: shops, ghats, streets, coffee places… Women mainly belong to the private space, and few tourists actually get the chance to enter the intimate space of an indian family. In India, what takes us by surprise, are the encounters. There are some encounters of the heart that are not explainable.

As Alain Danielou explains, from the standpoint of tradition, the intellectual intuition is the only true knowledge because it belongs to the metaphysical level that is beyond the individual. For the modern man, on the contrary, logic is what founds the truth. A logic that uses deduction and which comes from an individual mind, therefore limited to the person: the memory of personal experiences is its reading grid. The analyzing brain depends on time and space sequences, and consequently limited to an understanding of the coarser elements of life while the metaphysical intuition has no frame of reference, it exceeds the personal element.

If India has modernized too, it is nonetheless closer to this vision than the West that has almost completely lost its metaphysical culture. It took me some time to understand that the questions in this country are not those of the Western minds: when someone asks you what you do in life, where you come from and where you are going, it is not about answering with precision and accuracy, because the information is anecdotal. What is important, is the atmosphere of the moment, everything that happens around the answer.

Il est difficile de rencontrer des femmes indiennes lorsque l’on voyage en Inde. Les sentiers des touristes sont ceux des hommes : les boutiques, les échoppes, les ghats, les rues, les cafés… Les femmes appartiennent majoritairement à l’espace privé, et peu de touristes ont réellement la chance de rentrer dans l’espace de vie intime d’une famille indienne. En Inde, ce qui nous prend par surprise, ce sont les rencontres. Il est des rencontres de coeur qui ne s’expliquent pas.

D’ailleurs, comme Alain Danielou l’explique, du point de vue de la tradition, l’intuition intellectuelle est la seule véritable connaissance car elle relève du niveau métaphysique qui est au delà de l’individu. Pour l’homme moderne, au contraire, c’est la logique qui fonde la vérité. Une logique qui utilise la déduction et qui provient d’un esprit individuel, donc limitée à la personne : la mémoire des exprériences personnelles en est la grille de lecture. Le cerveau d’analyse dépend des séquences du temps et de l’espace, et se limite donc à une compréhension des éléments les plus grossiers de la vie tandis que l’intuition métaphysique n’a pas de grille de lecture, elle dépasse l’élément personnel.

Si l’Inde s’est modernisée elle aussi, elle est néanmoins plus proche de cette vision que l’Occident qui a presque intégrallement perdu sa culture métaphysique. Cela m’a pris du temps  pour comprendre que les questions de ce pays ne sont pas celles de l’esprit de l’Ouest. Quand on vous demande ce que vous faites dans la vie, d’où vous venez, où vous  allez, il ne s’agit pas de répondre avec précision et véracité, car l’information est anecdotique. Ce qui importe, c’est l’atmosphère du moment, tout ce qui se passe en dehors de la réponse.

I remember sitting a few times with a baba to “chat” (I did not speak Hindi and him not English); one of the things that fascinated me was this agglomeration of people that was gathering around us, like beings coming closer around a fire at night even if we didn’t know each other. There was nothing to say, and nobody asked anything. But people come to participate to the atmosphere of the moment, then they leave impersonally, still without saying anything. Another time, in that school I was visiting, the principal asked me what was my job. Concerned about the impression I wanted to make to honor my Indian friends who had introduced me, I tried to explain to him clearly my work of research, anthropology and yoga. He then said: “hummmm I can feel when you talk that you are a good person!”. His answer was unexpected. I saw in that moment that I have been off topic, so absorbed by the content of my speech that I had forgotten to feel what was happening – which was for him, before the content, what mattered most.

One of the characteristic points of the modern world and its thought, is this constant need to explain, to justify, to talk about who we are and about what things are. In this trip, I discovered that the frontiers of beings and their interactions is something flexible. There is nothing to define because it is the context that creates what one is in the moment. Boundaries become then movable, there is no need to justify. Only the individual who thinks he is a separate identity from the world seeks to tell , certify, confine …

Words that do not seek to define, to serve the image of a “person” , are the sacred words. This is where lies the power of traditional mantras. Mantras are sounds that go back to the origin of creation : speech, vāk, is the dynamic of expression and resorption of what we call Consciousness . The Gospel writes that “In the beginning was the Word, and the Word was in God , and the Word was God.” It is the same for the Hindu myth of creation; in the sacred texts of India, for the Shaivists , the letters-sounds that Siva pronounces are the origin of Reality. The beginning of the world does not refer here to a linear historical time, it is an allegory . Creation is that of the archetype movement of Consciousness that manifests and resorbs in itself at every moment, like a light projected through a prism that splits into multiple colors.

Je me souviens m’être assise quelques fois avec un baba pour “discuter” (je ne parlais pas le hindi et lui pas l’anglais); l’une des choses qui me fascinait, c’était cette aglomération de personnes qui se faisait autours de nous, comme des êtres qui se rapprochent autours d’un feu la nuit même si personne ne se connait. Il n’y avait rien à dire, et personne n’avait rien demander. Mais les gens viennent pour participer à l’atmosphère du moment, puis s’en vont impersonnellement, toujours sans rien dire. Une autre fois, dans cette école que je visitais, le directeur me demanda quel travail je faisais.  Soucieuse de l’impression que je voulais faire sur lui pour honorer mes amis indiens qui m’avaient  présentée, je tentais de lui expliciter clairement mon travail de recherche, d’anthropologie et de yoga. Alors il me dit : “hummmm, je sens quand vous parlez que vous êtes une bonne personne!”. Sa réponse fut inattendue. J’ai vu à cet instant que j’avais été à côté, tellement absorbée par le contenu de mon discours que j’en avais oublié de sentir ce qu’il se passait – ce qui était pour lui, avant le contenu, ce qui importait le plus.

L’un des points caractéristiques du monde moderne et de sa pensée est ce constant besoin d’expliquer, de justifier, de parler de qui on est et de ce que sont les choses. Dans ce voyage, j’ai découvert que les frontières des êtres et de leurs interactions est quelque chose de souple. Il n’y a rien à définir car c’est le contexte qui créé ce que l’on est dans l’instant. Les frontières deviennent alors flexibles et il n’y a pas à justifier. Il n’y a que l’individu qui se prend pour une identité séparée du monde qui cherche à dire, certifier, confiner…

Les mots qui ne cherchent pas à définir, à servir l’image d’une “personne”, sont les mots sacrés. C’est là que se cache le pouvoir des mantras traditionnels. Les mantras sont des sons qui remontent à l’origine de la création : la parole, vāk, est la dynamique d’expression et de résorption de ce que l’on nomme la Conscience. L’Evangile écrit qu’“Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu”. Il en est de même pour le mythe de création hindou; dans les textes sacrés de l’Inde, pour les Sivaïtes, les lettres-sons que prononce Siva sont l’origine de la Réalité. Le commencement du monde ne se réfère pas ici à un temps historique linéraire, il est une allégorie. La création est celle du mouvement archétype de la Conscience qui se manifeste et se résorbe sur elle-même à chaque instant, telle une lumière projetée à travers un prisme qui se divise en de multiple couleurs.

“Mantras, whether phonemes, syllables, words or phrases, etc., derive their value and power from the vibration that underlies them. They allow to enter another temporality, to slide from the perception of the unstable time to the perception of the constantly living instant, assimilated to the pulsation of Consciousness, in the Kashmiri philosophies. Beneath the countless sound nuances of speech (svara), remains the vibration of silence, like the colors of the visible world derive their life from a single light “

(Colette Poggi, 2012, p.125)

“Les mantras, qu’il s’agisse de phonèmes, de syllabes, mots ou phrases, etc, tirent leur valeur et leur puissance de la vibration qui les sous-tend. Ils permettent d’entrer dans une autre temporalité, de glisser d’une perception du temps instable à celle de l’instant sans cesse vivant, assimilé à la pulsation de la Conscience, dans les philosophies cachemiriennes. Sous les innombrables nuances sonores de la parole (svara), veille la vibration du silence, comme les couleurs du monde visible tirent leur vie d’une unique lumière”

(Colette Poggi, 2012, p.125)

The sacred does not exist in the form, it exists in the eyes of the one who is aware of this incessant movement of deployment and resorption. The sacred exists in the mantra that becomes the play of this expansion: from the silence emerges the sound, the breath produces a tone that strikes the body, mirror of the universe on a microscopic scale. Every tone, every sound of the Sanskrit alphabet activates this dynamic, to finally subside at the end of expiration. The yoga pose is identical in its essence, because body and sound are two forms that emanate from the resonance of this same orientation. If in today’s world, yoga has become a way to be healthier, be more flexible and less stressed, these worldly expectations have their place just on a personal level, but do not resonate from the traditional orientation that challenges the idea of a person. While the person has a plan, a goal, an expectation, the traditional resonance is a free movement without a request. When understood this way from the inside, yoga is no longer a sequence of postures to arrive to something, but becomes the resonance with no demand of the echo of clarity. Like the sound that comes from the real silence, the movement is with no personal dynamics. It is the necessary movement of reality that is replayed: deployment and resorption. This is the heart of the teaching of Bhairava (the terrible form of Shiva) that is discovered in the non-dual shaivist tantras of Kashmir.

Travelling is above all a journey towards oneself, which pushes us to see our limitations, our prejudices, our fears and defenses without having to change who we are when we understand from the inside that it is this vision that drives us to mature. Spirituality is not something and even less a recipe of practices to be accumulated. The practices help us to better see how much we want to be something, when unconsciously we only aspire to be nothing and be devoured by the ocean. No one can be spiritual, because every life cannot be nothing but the inexorable deployment of the depth of Life, that some tantras call Consciousness. Each being is a reflection, an extension of this movement, it’s just that some have not realized it yet. There is nothing to learn, only to be guided by this feeling, towards this non negotiable and inevitable intuition.

But, let’s remind that there is no need to understand. Just be carried by the wave of words, by the echo that resonates in us. On a simultaneous plan, there is no worldly word or act, because the one who resonates will dive in a half sleep into the letter to see that the universe is hidden there . The one with non-dual eye sees in the most superficial forms unfold the game of consciousness in each act. Tradition teaches that no one can find the Truth, for it is the one seeking us. We are just its deployment.

Le sacré n’existe pas dans la forme, il existe dans le regard de celui qui a conscience de cet incessant mouvement de déploiement, résorbtion. Le sacré existe dans le mantra qui devient le jeu de cette expansion : du silence nait le son, le souffle produit une sonorité qui vient frapper le corps, miroir de l’univers à l’échelle microscopique. Chaque sonorité, chaque son de l’alphabet sanskrit active cette dynamique, pour finalement se résorber à la fin de l’expiration. La pose de yoga est identique dans son essence, car corps et son sont deux  formes qui émanent de la résonnance de cette même orientation. Si dans le monde d’aujourd’hui le yoga est devenu une manière d’être en meilleure santé, d’être plus souple et moins stressé, ces attentes mondaines n’ont leur place que sur un plan personnel, mais ne résonnent pas de l’orientation traditionnelle qui met en question l’idée d’une personne. Si la personne possède un plan, un but, une attente, la résonnance traditionnelle, elle, est mouvement gratuit sans demande. Compris ainsi de l’intérieur, le yoga n’est plus un enchainement de postures pour arriver à quelque chose, mais devient la résonnance sans demande de l’écho de la clareté. Comme le son qui vient du véritable silence, le mouvement est sans dynamique personnelle. C’est le mouvement nécessaire de la réalité qui est rejouée : déploiement et résorbtion. C’est cela le coeur de l’enseignement de Bhairava (la forme terrible de Shiva) que l’on découvre dans les tantras sivaïtes non-duels du Cachemire.

Voyager, c’est avant tout un cheminement vers soi-même, qui nous pousse à voir nos limites, nos préjugés, nos peurs et nos défenses, sans avoir besoin de changer qui on est lorsqu’on comprend de l’intérieur que c’est cette vision qui nous pousse à murir. La spiritualité n’est pas une chose et encore moins une recette de pratiques à accumuler. Les pratiques aident à mieux voir combien nous attendons d’être quelque chose, lorsqu’ inconsciemment nous n’aspirons qu’à ne rien être et se laisser dévorer par l’océan. Personne ne peut être spirituel, parce que chaque vie ne peut être autre chose que le déploiement de l’inexorable profondeur de la Vie, que certains tantras nomment la Conscience. Chaque être est le reflet, l’extension de ce mouvement, c’est juste que certains ne s’en sont pas encore rendu compte. Il n’y a rien à apprendre, seulement à se laisser guider par ce préssentiment intérieur, vers cette intuition non négociable et inévitable.

Mais, rappelons qu’il n’y a pas besoin de comprendre. Il suffit de se laisser porter par la vague des mots, par l’écho qui résonne en nous. Sur un plan simultané, il n’y a pas de mot ou d’acte mondain, car celui qui résonne plongera lors d’un demi sommeil dans la lettre pour voir que c’est l’univers qui s’y cache. Celui qui possède le regard non-duel voit sous les formes les plus superficielles se dérouler le jeux de la conscience dans chaque acte. La tradition enseigne que personne ne peut chercher la Vérité, car c’est elle qui nous cherche. Nous n’en sommes que son déploiement.

Thanks to Meriem Benachenhou for her help to the translation, Stéphane Desmeules for his photo on the ghâts, and my two indian sisters for sharing their voice

Merci à Meriem Benachenhou pour son aide à la traduction, à Stéphane Desmeules pour sa photo sur les ghâts, et à mes deux soeurs indiennes de partager leur voix avec nous.

Mariette has a master degree in anthropology from the University of Montreal. She teaches yoga enlined with the philosophy of non dual tantric saivaism from Kasmir. She is regularly travelling to India to follow up her research on esoteric traditions from the Tantras.

Mariette est diplômée d’un master en anthropologie de l’Université de Montréal. Elle enseigne le yoga dans la ligne de la philosophie du sivaisme tantric non-duel du Cachemire. Elle voyage régulièrement en Inde pour poursuivre ses recherches sur les traditions ésotériques des Tantra.

yoginibhuh.com

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